mercredi 14 décembre 2022

Même au cinéma ... mais pas que les Pyrénées, heureusement...

     En cette fin d'automne, alors que la neige a recouvert les pentes, on aura pu facilement trouver le temps pour aller découvrir trois films dont l'histoire se déroulait en montagne et qui étaient à l'affiche dans les salles obscures toulousaines. Deux se déroulaient dans les Alpes, Les huit montagnes (celui-ci en avant première en fait) et Les Engagés, et un dans les Pyrénées Pétaouchnok. Chacun dans un style et registre différents et au-delà des paysages montagnards mis en scène, faisant une belle vitrine pour les collectivités locales et offices du tourisme locaux qui ont bien compris l'intérêt de soutenir ces réalisations, un fil directeur pouvait être facilement trouvé, celui de valeurs aujourd'hui peut-être bousculées, la fraternité et la solidarité, valeurs que l'on trouvera facilement dans l'imaginaire collectif montagnard.

Photo 1 :  Sur les remparts de la citadelle de Briançon réalisée par Vauban. En arrière plan, un peu flou, et menaçant, ce doit être le Pelvoux...
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    Celle-ci est clairement le fil directeur des Engagés, qui raconte l'histoire de David, un homme vivant à Briançon dans les Hautes-Alpes, dont la vie va être bouleversée par la rencontre avec un jeune migrant africain, un adolescent isolé, qu'il cache après un accident de la circulation. Malgré quelques petites lourdeurs dans le scénario liées à l'histoire personnelle et familiale du héros, la réalité racontée fait référence à l'affaire des 7 de Briançon qui dans un premier temps avaient simplement participé à une manifestation qui dénonçait une action du mouvement d'extrême droite aujourd'hui dissous, Génération identitaire, ces derniers ayant bloqué le col de l'Echelle pour barrer le passage de la frontière. La manifestation à Briançon visait alors à exprimer et dénoncer une militarisation de la frontière et la prolifération des discours de haine et de racisme. Dans cette perspective, la réalisatrice Émilie Frèche profite bien de la topographie pour montrer la réalité peut-être ignorée par une majorité du passage de ces migrants dans une montagne encore dangereuse (car sauvage ?) de part notamment ses rigueurs climatiques hivernales. Par un très beau et intelligent plan panoramique miroir qui oppose d'un côté les zébrures du grand domaine skiable enneigé de la fameuse Serre Chevalier avec derrière le massif des Écrins, et de l'autre, séparé par la vallée de la Guisane, le versant du col de Granon, sous les crêtes de Peyrolles probablement, qui apparait plus isolé et sur lequel se trouve un petit refuge dans lequel, en attendant de pouvoir poursuivre le chemin, s'est réfugié un petit groupe de migrants, elle montre de manière fine et pertinente ces deux mondes qui semblent s'opposer et s'ignorer. Quelques petites libertés plutôt divertissantes sont aussi prises avec la réalité géographique puisque tout le monde sait (ou devrait savoir...) que la route qui monte au col du Lautaret ne nous mènera pas en Italie... Ceux qui connaissent les lieux s'y retrouveront aisément et je reste sur l'impression forte et belle et admirablement bien jouée dans laquelle Benjamin Lavernhe, David dans le film réplique à la fille de son amie qui lui demande à propos de l'engagement : "- Ça sert à quoi en fait? - Ça sert à être solidaire, montrer que la fraternité ça n'est pas juste un mot". Mais aussi d'une partie du discours de Anne, jouée par Catherine Hiegel, lors d'une ces fameuses manifestations : "Dans un monde civilisée, la solidarité ne devrait pas être un délit... " et j'ajouterais peut-être aussi pas seulement une affaire de cordées montagnardes (toujours facile à dire..)... Dernier point, ce film vient nous rappeler aussi qu'en France les montagnes ont toujours été des lieux de passage et de communication pour les humains, et qu'en soi, même en étant des frontières politiques, elles avaient finalement une dimension sauvage assez atténuée...


    Dans Les Huit montagnes de Félix Van Groeningen et Charlotte Vandermeersch, adapté du roman éponyme de Paolo Cognetti, il s'agit plutôt d'une histoire d'amitié profonde entre deux jeunes garçons qui évoluent jusqu'à l'âge adulte. Inspiré du roman, avec la participation technique de l'auteur, le film a pour cadre les magnifiques montagnes du Val d'Aoste italien, les Alpes pennines qui séparent ce dernier du Valais suisse et dans lequel se trouve donc le petit hameau de Graines du roman. Aujourd'hui Paolo Cognetti vit d'ailleurs dans le village de Brusson, commune dans laquelle se trouve le fameux hameau. Ce qui est intéressant dans cette histoire c'est ce que la montagne permet, c'est-à-dire l'histoire d'amitié entre deux enfants isolés car fils uniques, de deux milieux opposés (un petit citadin milanais et le dernier enfant du hameau) et également la découverte du père du narrateur ou héros principal sous un autre aspect en être beaucoup plus attentif avec son fils lorsqu'ils se trouvent ensemble dans les hauteurs. En cela, parce qu'elle agit sur les autres, elle est un personnage. Ce qui est intéressant aussi, et contrairement à ce qu'on peut lire abondamment dans la presse critique, il ne s'agit pas ici forcément de l'appel à la nature. L'histoire se déroule dans un contexte de déprise pastorale et rurale. Dans une scène où Bruno vient à la rencontre des amis citadins de Pietro et une discussion s'engage entre eux sur les beautés et bienfaits de la nature, Bruno rappelle alors que la nature il ne connaît pas et qu'il utilise d'autres mots pour décrire ce qu'il voit et pratique... des prés, des forêts... mais de nature point. On pourra alors reprendre l'article de Francesco Fedele dans le numéro 16 (2002) de la revue L'Alpe, dont le titre iconoclaste est sans équivoque La nature n'existe pas. À défaut d'interpréter cette scène ainsi, voici des réalisateurs qui ne se posent pas dans un paradigme réducteur d'opposition nature culture. En tout cas, je l'ai interprété ainsi, sans qu'il faille renoncer à être respectueux de ce milieu dit naturel. Enfin, bien sûr, l'auteur, héros du film, ... parcourt aussi l'Himalaya (et là aussi la montagne est belle..) mais surtout il en revient  avec cette question des huit montagnes. Je préfère alors à ce niveau reprendre un extrait du texte original du roman, dont le passage est mis en scène à la fin du film: 

"Il me demanda pourquoi je m'intéressais à l'Himalaya. J'avais déjà la réponse toute trouvée à cette question: je lui dis qu'il y avait une montagne sur laquelle j'avais grandi, à laquelle j'étais très attachée, et qu'elle m'avait donné envie de voir les plus belles, à l'autre bout du monde.

"Ah, dit-il. Je vois, tu fais le tour des huit montagnes.

- Quelles huit montagnes?"

    L'homme ramassa un petit bâton avec lequel il fit un cercle dans la terre. Le motif était parfait, on voyait qu'il avait l'habitude de le dessiner. À l'intérieur, il traça un diamètre, puis un deuxième, perpendiculaire au premier, et puis un troisième et un quatrième le long des bissectrices, obtenant ainsi une roue à huit rayons. Je me dis que si j'avais voulu arriver à une figure comme celle-là, je serais parti d'une croix, mais c'était typiquement asiatique de partir d'un cercle.

"Tu as déjà vu ce dessin? me demande-t-il.

-Oui, lui répondis-je. Dans les mandalas.

-Exact, dit-il. Nous disons qu'au centre du monde, il y en a un autre, beaucoup plus haut: le Sumeru. Et autour du Sumeru, il y a huit montagnes et huit mers. C'est le monde pour nous."

Tout en disant ces mots, il traça à l'extérieur de la roue une petite pointe au dessus de chaque rayon, puis une vaguelette d'une pointe à l'autre. Huit montagnes et huit mers. À la fin, il entoura le centre de la roue d'une couronne qui devait, pensai-je, être le sommet enneigé du Sumeru. Il jaugea son travail un instant et secoua la tête, comme s'il avait déjà fait mille fois ce dessin mais avait un peu perdu la main dernièrement. Il planta quand même son bâton au centre, et conclut : "Et nous disons: lequel des deux aura le plus appris? Celui qui aura fait le tour des huit montagnes, ou celui qui sera arrivé au sommet du mont Sumeru?" 


    Nous n'irons pas jusqu'à dire que dans ces huit montagnes se trouveraient les Pyrénées... Dans la comédie Pétaouchnok, ce lieu imaginaire censé se trouver loin, Édouard Deluc nous emmène dans les Pyrénées donc, orientales pour être précis, à la suite d'une bande de randonneurs partie avec une agence de voyage nouvellement montée par deux amis un peu en nécessaire remise en cause... Pour arriver au bout de leur périple semé d'embûches il va falloir faire preuve là aussi de solidarité... Ça ferait un peu les randonneurs dans les Pyrénées, et si parfois, on pourrait avoir envie que nos promeneurs arrivent plus vite, il reste que les acteurs, et Pio Marmaï en tête, jouent bien et on se dit qu'ils ont dû passer de bons moments à tourner ce film et au final, on passe nous aussi un agréable moment. Car il s'agit bien sûr pour ces randonneurs en herbe lors d'un cheminement de plusieurs jours de se découvrir, au sens propre, en se baignant dans les lacs d'altitude (ici on devinera le pour moi si beau lac de Pradeilles...) comme au sens figuré surtout...  À noter qu'en 2009 déjà, dans le film J'ai oublié de te dire,  de L.Vinas-Raymond, avec O.Sharif, quelques scènes de l'histoire du film se déroulent au bord de ce lac. Mais comme toute histoire, ou presque, qui se déroule dans les Pyrénées, il faut que l'ours apparaisse à un moment donné même si on a pu oublier qu'il y en avait eu dans les Alpes aussi (et ailleurs), en Vanoise, jusqu'aux années 20 et que le dernier a été tué dans le Vercors en 1937. Ainsi notre plantigrade est encore le garant principal d'une place encore forte de la nature dans notre massif. D'ailleurs il est présent de manière amusante sur l'affiche du film. Là aussi, voici un formidable outil de communication alors que le film nous montre effectivement de beaux espaces montagnards, étages alpins et sub-alpins et que les connaisseurs reconnaitront forcément à un moment donné les sommets du Carlit, du Péric, les étangs évoqués ci-dessus déjà, les environs des stations de ski des Angles, du lac de retenue de Matemale dans ces Pyrénées catalanes bien mises en scène pour le tourisme.


Photo 3: Je trouve personnellement l'affiche marrante et elle procure l'envie d'aller voir le film en donnant le ton. L'ours toujours là derrière comme une grosse peluche est immanquable dans presque toutes les représentations des Pyrénées...




jeudi 8 décembre 2022

Téléski au Cap des Hittes (2369m) à Peyragudes (31) et la partie supérieure de la vallée blanche accessible (presque) à tous... Pfff...

    Et bien voilà que la partie supérieure de la vallée blanche bien connue des skieurs de randonnée, dans la station de ski de Peyragudes (31), est désormais accessible à (presque) tous puisqu'un téléski à enrouleurs de 400 mètres (le téléski des 1000, parce que 1000 mètres de dénivellation à la descente) a été aménagé sous le sommet du Pène Nère à 2260 mètres et ancien sommet de la station, en contrebas du télésiège, pour arriver au sommet du Cap des Hittes à 2369 mètres d'altitude. Désormais, la réalité correspondra davantage aux annonces publicitaires concernant la station qui annonçaient depuis de nombreuses années une altitude maximale de 2400 mètres...  25 ans après le tournage du film "Demain ne meurt jamais" de la série des James Bond avec P.Brosnan, la station est de nouveau sous le coup des projecteurs... James Bond devait alors infiltrer un camp afghan qui avait été reconstitué sur l'altiport (le site avait d'ailleurs été choisi pour sa présence).

Photo 1: Le fameux téléski... Vue prise depuis un peu en dessous de la station d'arrivée du télésiège de Serre Doumengue. Pour voir comment c'était avant...

    Je ne sais pas si nous devons nous en réjouir (personnellement non) mais il est évident que l'adaptation au changement climatique et à la baisse des quantités de chutes de neige depuis plusieurs années ont poussé la direction de la station à repousser les limites du domaine skiable et à l'agrandir. L'avantage évident est d'accéder à la partie supérieure de la dite vallée blanche qui ces dernières années dans sa partie inférieure n'avait plus grand chose de blanche car les quantités de neige insuffisantes ne permettaient plus assez souvent de pratiquer la descente jusqu'au bout c'est à dire jusqu'au virage de la route en contrebas de la station... Effectivement, l'installation de ce nouvel équipement intervient dans un secteur naturellement bien enneigé.
    
Photo 2: Fini le ski de randonnée en toute tranquillité ...

    Ceci dit, cette partie supérieure ne sera peut-être pas accessible à tous vraiment car il s'agit d'itinéraires de pistes noires autrement dit les plus difficiles... D'après le site officiel de la station cela permettra de "prolonger l'espace desservi aujourd'hui par le télésiège de Serre Dumengue et d'ouvrir un quatrième secteur par le haut. Depuis le point culminant, on profitera de la piste la plus longue du domaine avec 1000 mètres de dénivelé quand les conditions sont optimales." Le téléski "desservira d'un côté une piste noire permettant de rejoindre la piste rouge des Marmottes ou de poursuivre sur la piste noire Pène Nère pour rejoindre le télésiège débrayable Serre Doumengue ou finir la vallée blanche." "De l'autre côté, un espace freeride sera mis en place dans le Val de Montségu. Le secteur sera non damé mais sécurisé, 2 itinéraires seront balisés, de couleur noire, d'environ 3 kilomètres chacun, réservés aux bons skieurs ou surfeurs."

    Dans un article de la Nouvelle République des Pyrénées du 07/12/2022, le directeur de la station précise "qu'il y a peu de stations en France à proposer des extensions de domaine skiable. On est dans une logique vertueuse car on n'a pas terrassé les pistes. On n'a pas installé de réseau de neige de culture. On est sur une recherche équilibrée entre l'extension, l'offre de ski et l'aspect environnemental". L'investissement est de l'ordre de 800 000 euros. 

    En ce jour, les équipes s'affairaient à préparer la saison qui devrait ouvrir le week end prochain, malgré une quantité de neige peu importante... Et pour être honnête, nous étions un peu déçus de trouver ce téléski là...

Photo 3 : Depuis le haut de la station vue sur les crêtes de la vallée d'Oeuil en arrière plan...


Photo 4 : Une partie du plan des pistes de la station prise sur le panneau au sommet du télésiège de Cap de Pales.


jeudi 1 décembre 2022

"La perle des Antilles", un restaurant pour enfin (...) manger haïtien à Toulouse à midi (et le soir)...

 Enfin! Enfin, on peut manger (et bien manger) du griot de porc (ou griyo), du riz djon-djon (ou diri djon-djon), des bananes pesées avec du pickles (pikliz), et autres spécialités haïtiennes, à Toulouse à midi dans un petit restaurant agréable et accueillant, La perle des Antilles, que l'on pourra aussi considérer comme une cantine. Il suffira de regarder la carte des plats, des salades et des coupe-faim ou encore mieux d'y aller, car il a ouvert il y a un mois, pour se rendre compte qu'Haïti est un pays où l'on mange bien.

Situé 2 place Antonin Froidure, sous les arcades, à l'entrée sud du parc de la Maourine (ligne 36 du bus), dans le nord de Toulouse, à 15 mn à pied de Borderouge, vous serez accueillis chaleureusement et avec le sourire par la patronne avec un drapeau haïtien au dessus du comptoir et une belle plage de sable et ses cocotiers en fond comme décor sur le mur. 


On peut bien sûr commander à emporter ou consommer sur place. Avec les beaux jours, il sera possible de mettre des tables sur la place ou d'aller manger dans le parc juste en face. Se retrouvent alors immanquablement les saveurs de là-bas et les bananes pesées, craquantes, et pas grasses et la sauce qui va avec. Rien que pour elles on pourra revenir... Enfin, de pouvoir manger comme cela, rappelle le pays, dans lequel il est malheureusement aujourd'hui peu conseillé de se rendre, où les petites cantines donnent une partie de la saveur au pays. Mes compagnons du jour qui avaient pris des légumes haïtiens au boeuf avec du riz collé (diri kole) ne me contrediront pas, hein ... ? La patronne nous a même fait goûter du cabri...

Voilà, il faut y revenir avec ses proches... En attendant on écoutera Tabou Combo


Photo 2: Le fameux griyo ak diri djon-djon pikle et bananes pesées

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lundi 14 novembre 2022

Même à Saint-Dizier... (Les Pyrénées) Avec "Belle et Sébastien, nouvelle génération" (le film)

     Alors que le relief et le paysage environnants de la plaine entre la Marne et la Haute Marne sont assez peu accusés (mais absolument pas dénués d'intérêt) et qu'on est loin de nos montagnes, on pourra, depuis le beau complexe de cinéma Ciné-quai de Saint-Dizier (52), regarder finalement le film Belle et Sébastien, nouvelle génération de Pierre Coré avec un oeil plus complaisant et les immenses panoramas et magnifiques paysages pyrénéens du film feront, de si loin, franchement leur effet. C'est un film grand public pour enfant certes et, si certaines ficelles de l'histoire m'ont paru un peu grosses pour un adulte, il reste quelques belles scènes réellement touchantes comme celle du face à face entre la mère de Sébastien et la louve allaitant ses petits ou quelques-unes autres... On pourra verser une larme aussi quand la grand-mère de Sébastien s'avouera que c'est peut-être la dernière montée en estive de sa vie, le spectateur transpirant dans son siège s'imaginant peut-être lui-même en même temps ne pouvant plus revenir dans ses chères montagnes.

    Cette énième adaptation du roman de Cécile Aubry Belle et Sébastien pose notamment comme originalité de placer l'histoire dans les Pyrénées alors que le roman et les autres diverses versions sont alpins. Une exception notable cependant est l'adaptation en série anime japonaise Meiken Jori, littéralement Jolie, chien fidèle, diffusée pour la première fois sur la NHK en 1982 puis au Québec et en 1983 sur Fr 3, basée sur 52 épisodes de 24 minutes chacun. Même si l'histoire de Belle et Sébastien aurait été inspirée à Cécile Aubry lors d'un séjour à Cauterets.

    À  l'issue de la séance, aussi, on pourra se dire que, au-delà de certaines problématiques abordées de manière plutôt efficace pour un public jeune comme le problème de l'eau, les excès du tourisme, les néo-ruraux, la vie pastorale..., les Hautes Pyrénées dans lesquelles le film est tourné et l'histoire se passe, seraient une destination de vacances idéales. Tout est mis en avant pour montrer en effet les magnifiques paysages de la haute vallée du gave de Pau et beaucoup y reconnaitront des lieux qui leur sont familiers comme la vallée de Barèges et le col du Tourmalet (en plongée), les hauts du cirque de Gavarnie avec la Brèche de Roland et les hauts sommets à plus de 3000 mètres (panoramique et parfois contre plongée) qui nous dominent donc. Mais aussi les activités que les touristes pourraient y faire sont représentées. Ce qui est appréciable reste qu'on se rend compte rapidement que cela se passe dans les Pyrénées mais que l'on ne le rappelle pas de manière ostentatoire et répétitive. Voilà, les paysages sont justes beaux, et la région Occitanie qui a participé au financement l'a bien compris.

    Les Pyrénées n'y sont pas représentées comme un espace totalement sauvage, même si le retour du loup pourrait le laisser croire alors que nos héroïnes luttent pour ne pas laisser l'exploitation et l'élevage périr. Mais peut-être, n'est-ce une étape dans cette direction. Cependant les images d'animaux sauvages sont belles et on peut penser que la collaboration de Vincent Munier n'y est pas pour rien. On fera tout de même attention à ne pas prendre les Patous pour de grosses peluches même si on aimerait bien aussi les prendre dans nos bras. Ce sont d'abord des chiens de protection des troupeaux et non de berger pour ramener les bêtes. Courageux, ces chiens ne se défilent pas face au danger que pourrait représenter une attaque d'un ou des loups ou voire pour certains des ours... Le stress du troupeau de brebis qui sent le danger de l'attaque imminente est mis en scène de manière plutôt réaliste par exemple. La fin est un peu probablement inutile...

Les airs de la chanson de Gaétan Roussel Il y a dans la bande originale arrivent aussi à bon compte.

Alors voilà qu'un film projeté dont l'histoire se passe dans les Pyrénées nous permet aussi de visiter en même temps, le complexe de cinéma construit dans l'ancienne usine Miko (oui oui les crèmes glacées...) dont on a gardé simplement sa tour des années 30 dans laquelle on a placé un mini musée très intéressant sur la famille Ortiz et l'entreprise Miko, toujours présente dans la ville de Saint-Dizier dans le nord est de la France.


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vendredi 4 novembre 2022

Le Pic de L'Estagnas (2613m) et l'étang de Soula Colomer dans la vallée des Bésines (09)

    Le pic de l'Estagnas est un peu en retrait dans la vallée des Bésines, directement à l'ouest de la porteille du même nom qui donne accès à la vallée de Mérens par le petit étang l'Estagnas. Du haut de ses 2613 mètres d'altitude, il ne domine pas outrageusement ses congénères mais la partie supérieure de son versant sud (le nord aussi) est composé de roches assez découpées et de versants abrupts qu'il faudra contourner par le versant nord pour en venir à bout. En effet, en venant du sud, depuis l'Hospitalet près l'Andorre, par le fond fréquenté de la jasse des Bésines (au bout de l'étang du même nom), puis en remontant le versant de la porteille des Bésines, on bifurquera à mi chemin par une sente cairnée sur la gauche et à nouveau à droite au premier replat pour aller à la rencontre du bel étang de Soula Coulomer à 2325 mètres d'altitude (1,8 hectare de superficie pour une dizaine de mètres de profondeur). On sera alors au pied de la face sud et on visera une porteille directement à gauche du sommet qu'il faudra alors franchir pour redescendre d'une cinquantaine de mètres sur le versant nord afin de contourner le sommet pour finir l'ascension complètement à droite après avoir passé les versants abrupts. L'itinéraire, bien que non cairné, une fois sur place paraitra évident et même s'il faut quelque peu poser les mains sous le sommet dans les gros éboulis, le cheminement sera (ça n'engage que moi) bien plus facile qu'escompté, même s'il faut rester concentré... Ça évitera toutefois de s'engager sur la crête pour laquelle du matériel adapté serait obligatoire.

Photo 1 : Sur le chemin du pic d'Estagnas, en se retournant,vue vers le sud et l'étang de Soula Coulomer et le puig Pedros à gauche. Cette vue est immanquablement une des raisons essentielles de cette ascension...

Photo 2: Depuis l'étang de Soula Coulomer, vue sur le pic de l'Estagnas (double sommet). À gauche directement se trouve la porteille qui permet le passage pour le contourner et poursuivre l'ascension en versant nord...Pour y accéder, je suis passé par la droite à la sortie du lac puis monté en diagonale vers la gauche sur les moutonnements pour arriver directement sous la porteille sur laquelle il fallait grimper. Attention au gispet, ça glisse! Soula vient probablement de soulane qui signifie le versant au soleil, généralement exposé au sud. Coulomer, comme peut-être colomer en catalan qui veut dire pigeonnier... (Merci M.)

Le panorama depuis le sommet est assez large et donne sur le massif du Carlit à l'est, les sommets de la vallée d'Orlu, le massif de la Tabe bien détaché et bien visible au nord, et la haute vallée de l'Ariège et la Soulane d'Andorre, ainsi que le pic d'Auriol, et probablement les premiers massifs du massif Central par temps dégagé. Le puig Pedros en face donne dans ces paysages de carte postale avec l'étang de Soula Coulomer au premier plan sous nos pieds. La vue plongeante sur l'Estagnas, au nord est, est également belle. Mais ce que j'ai trouvé d'assez remarquable a été la vue sur les petits étangs de Grat Casal sur le versant nord, dans une zone assez sauvage, accessible hors sentier depuis la vallée de l'Estagnas au dessus de Mérens. On pourra imaginer que les isards s'y promènent en toute liberté. Le plus grand de cet ensemble de trois petits étangs est d'une surface d'à peine 0,4 hectare, perdu au milieu des pins à crochets qui remontent lentement le versant.  D'ailleurs au sommet du pic d'Estagnas, dans le petit abaissement menant à l'antécime (le sommet principal est celui de droite en montant par le sud), se trouve un pin à crochets qui est probablement, à plus de 2600 mètres d'altitude, un des plus hauts du secteur. Un vautour fauve aura eu aussi la délicatesse de me laisser une belle plume sous la porteille...

Photo 3 : Chacun marque son territoire à sa manière... Vous aurez reconnu une plume de vautour fauve. Ils sont bien présents dans le secteur et parfois se nourrissent de carcasses de bêtes tuées et laissées là par certains types de chasseurs indélicats...

    Il sera alors bien dommage que cette quiétude soit un peu gâchée par le va et vient bruyant d'un hélicoptère qui naviguait de la porteille des bésines jusqu'aux confins de la porteille d'en Garcie de l'autre côté de la vallée (là où effectivement aussi on trouve des isards mais aussi des mouflons..). Je ne sais pas ce qu'il fabriquait mais ce qui est sûr c'est que j'ai vu un isard qui y était hélitreuillé... Le lendemain matin depuis l'Hospitalet près l'Andorre où je dormais, après 4 coups de fusils consécutifs entendus, le bal de l'hélicoptère a repris, même dans la soirée... L'ONF propose bien des chasses à la journée sur "ses" domaines de la haute Ariège... Ça m'a gêné... Je ne sais pas si cet organisme public a cette vocation... même si on nous dira que "la chasse est partie prenante de la gestion durable des forêts car elle contribue à la conservation des écosystèmes forestiers et au développement de leur biodiversité". Entendons-nous bien je ne suis pas contre la chasse surtout quand elle est sportive (bien au contraire mais sportive dans le sens, je monte à pied et je redescends de la même manière avec l'éventuelle dépouille sur le dos ou dans le sac, dépouille que l'on mangera bien sûr sinon ça ne sert à rien de tuer la bête!)... Mais les hélicos (même si ce n'est que pour ramener le gibier tué)... ce n'est pas possible.

    Plus harmonieusement, en étant presque seul en cette fin d'après-midi, pour terminer et revenir vers l'Hospitalet près l'Andorre, et sa gare ferroviaire, le sentier arborera ses plus belles couleurs d'automne même si ce début de mois de novembre ressemblait tant aux mois d'octobre d'antan.. (voir photo 4 ci-dessous). On sera alors passé au préalable le long de la retenue de l'étang des Bésines dont le niveau de l'eau semblait être un peu remonté et sur lequel des canards (il m'a semblé que c'était des colverts) barbotaient en cherchant leur nourriture au fond de l'eau. On aura peut-être aussi emprunté au préalable l'ancien sentier du GR10 qui ne passe pas par le refuge gardé des Bésines mais descend directement vers la cabane de berger, au fond de la jasse en bout d'étang, rénovée en 1992 par la commune de Mérens, dans laquelle se trouvait le matériel pastoral et dans laquelle on pouvait dormir paisiblement il y a fort longtemps d'ailleurs. 

Dernier point positif tout de même, il y avait nettement moins de mouchoirs en papier et autres papiers toilettes sur le chemin cette fois-ci... peut-être que les gens ont lu le best seller Comment chier dans les bois? de Kathleen Meyer et se sont interrogés sur leurs comportements...

Photo 5: Et puis encore des couleurs d'automne, parce que probablement ce sera la dernière visite de la saison avant la neige et que parfois le sevrage est un peu difficile... Au fond, la vallée du Sisca, dominée par le pic de la Cabanette...


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Depuis L'Hospitalet près l'Andorre


jeudi 20 octobre 2022

Sur les chemins de la Retirada, en Catalogne, entre La Vajol et Las Illas.

     Il s'agissait aujourd'hui simplement de marcher dans les pas des milliers de réfugiés républicains espagnols qui ont fui par les montagnes catalanes à la fin de la guerre d'Espagne, entre le 27 janvier et le 9 février 1939, pendant l'épisode que l'on a appelé la Retirada. Ils étaient quasiment un demi million. Autrement dit, nous n'étions pas ici pour les grands sommets et les vastes panoramas, même si depuis La Vajol (à 540m d'altitude) par temps clair, la vue vers la plaine de Figueras et l'Alt Emporda est tout de même très vaste.

Photo 1: À La Vajol, on assume cet héritage. "En souvenir de tous les Républicains de la guerre..." Je ne comprends pas toujours pas qu'il n'y ait pas de musée concernant ce sujet à Toulouse. C'est un peu lamentable d'ailleurs...

    Voilà, on vient ici parce que ce chemin est chargé d'histoire et que tout au long de son itinéraire les monuments et les mémoriaux permettent la conservation collective du souvenir de ce fait de l'histoire. Ici donc, par ces anciens chemins de contrebande, sont passés des milliers de réfugiés (civils et militaires) fuyant l'armée de Franco qui acculait la zone car aussi l'itinéraire le plus emprunté, celui du Perthus plus à l'est, était encombré et bombardé. Ici donc, le passage le plus notoire fut celui du président Manuel Azana qui dans la nuit du 5 au 6 février traversa à pied clandestinement dans la neige la frontière en compagnie du chef du gouvernement Juan Negrin Lopezet du président des Corts Diego Martinez Barrio. Ils furent rejoints quelques heures plus tard par le président de la Generalitat de Catalogne Lluis Companys et le président du gouvernement basque José Antonio de Aguirre. Une plaque a été apposée au col le 18 avril 2009. Ils arrivèrent ainsi à Las Illas (Les Illes en catalan car dans cette langue les pluriels sont en -es) sur le versant français, en passant par le col de Lly (à 710m d'altitude, borne frontière 557) et trouvèrent refuge à l'Hostal dels Trabucayres, aujourd'hui sur la placeta de la libertat, où le président mangea une omelette avant de repasser la frontière pour faire son entrée officielle en France, qui lui donna le droit d'asile. Une plaque apposée le 14/04/1990 près de l'entrée de l'auberge rappelle bien que "Par ce lieu le 5/02/1939 passèrent, chassés d'Espagne par l'agression nazi(e) fasciste internationale les présidents...". C'était donc un chemin de l'exil car peu d'entre eux ne reviendront un jour dans leur pays. Le président Azana est enterré aujourd'hui à Montauban. Ce chemin servira également en sens inverse pendant la Seconde Guerre mondiale à fuir les persécutions nazies et vichystes par ce que l'on appellera les chemins de liberté.

Photo 2: À Las Illas, en haut du village au débouché du sentier qui descend du col de Lli...

    Au préalable, à La Vajol, au pied de la frontière que domine le pic des Salines (1333m d'altitude), dans les jours précédents, le président et le gouvernement Negrin s'étaient installés dans une grande demeure datant 19ème siècle à un kilomètre du village "Can barris". Autour de La Vajol, ils cachèrent dans une mine à l'écart les réserves d'or de la banque d'Espagne ainsi que des tableaux du fameux Musée du Prado de Madrid. On aura aussi pu voir, près du parking à gauche à l'entrée du village, un peu à l'écart, le monument dédié à l'exil avec les deux statues de deux réfugiés Mariano Gracia et sa fille unijambiste Alicia arrivant à Prats de Mollo (une autre vallée plus à l'ouest et plus haute en altitude par laquelle les réfugiés ont pu passer) et reprenant la célèbre photo de Roger Violler publiée dans l'hebdomadaire L'illustration.

Photo 3: On est quand même dans la montagne... Pour l'évocation de la montagne et cette guerre, on pourra lire le très beau roman de Irene Solà Je chante et la montagne danse. Vue en remontant vers le col de Manrell.

    Il est donc aujourd'hui possible de reprendre cet itinéraire finalement assez court puisque deux petites heures (en étant large mais cela n'engage que moi) seront suffisantes pour aller d'un village à l'autre. Au départ, hormis quelques pancartes le chemin n'est pas vraiment balisé ce qui d'ailleurs est très étonnant vu le nombre de sites internet qui parle de cet itinéraire... À partir du croisement d'avec une route qui vient de la gauche, un sentier dans la forêt de pins et de chênes, notamment de nombreux chênes lièges (il faut quand même aller le chercher ce sentier car ce n'est pas indiqué, en remontant sur 30 mètres la route croisée), au milieu des jolis affleurements de granit, permet d'éviter de marcher le long de l'assez large route (un bus pourrait y aller me semble t-il) qui monte vers le col de Manrell. Ce sentier (et la route) arrive sur le parking d'un restaurant et juste après, à gauche, une piste s'enfonce dans la forêt pour rejoindre le fameux col. C'est indiqué de toute façon sur des pancartes (Coll de Lly), ce serait compliqué de se perdre. En croisant des promeneurs avec des sacs remplis de châtaignes vous vous rendrez peut-être compte qu'effectivement on remonte une châtaigneraie et que parfois on se met à penser à la montagne corse. Lorsqu'on passe côté français, on est obligé de rentrer dans un enclos avec des vaches (même si c'est balisé désormais), d'en ressortir un peu plus loin en longeant le grillage d'un enclos qui semble servir de réserve de chasse, dans laquelle on voit bien le surpâturage des sols qui n'ont de sol que le nom tellement ils ont été retournés par les sangliers et autres bestioles. Tout cela pour aller se faire flinguer comme des lapins... Je ne suis pas contre la chasse mais celle pour laquelle on élève des bêtes dans des enclos juste pour qu'un public (urbain de manière générale en France aujourd'hui) vienne dézinguer ces bêtes sans défense, c'est un peu gênant... d'autant plus qu'on privatise, sans droit de passage, une bonne partie du territoire... Bon c'est un autre débat...

Photo 4: En redescendant vers Las Illas...

    Pour le chemin du retour, on aura choisi de passer par le col de Manrell, mais cette deuxième partie de l'itinéraire reste assez décevante malgré le monument au sommet, car il s'agit de remonter d'abord une petite route qui passe dans une sorte de lotissement très peu dense (en passant devant un enclos dans lequel des chèvres et autres biches se promènent). Du col, il n'y a plus aucun sentier qui redescend (malgré ce que peut mentionner la carte sur les panneaux à La Vajol, il a été privatisé) et on est obligé de se farcir la route et ses 3,5 kilomètres pour retourner au village, en bénéficiant toutefois de quelques jolis points de vue. sur la vallée. On pourra tout de même prendre un verre dans le bar près de la mairie et constater encore que les espagnols sont chaleureux avant de traverser le vieux village et d'admirer la jolie et vieille église romane (San Martin de La Vajol), son clocher mur, et ses entrées sur la façade sud coincée entre deux habitations; ce qui lui donne un charme certain.

Photo 5 : La fameuse carte sur laquelle il est possible de localiser les principaux sites évoqués dans le texte (Mina Canta, Can Barris, Monument a la retirada, Col de Lli et col de Manrella avec son monument catalanisant Lluis Companys...)

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lundi 10 octobre 2022

Le pic Posets (3375m), champagne en la "puta cima"...

    C'était lors d'une longue et belle descente assez minérale dans sa première partie, depuis le sommet du pic Posets, dans l'Aragon, pendant la dernière pause à côté du refuge belvédère Angel Orus, sous la menace de l'orage encore un peu lointain, au-dessus de la forêt de tous les dégradés de vert, du plus foncé au plus clair, même en cette fin de saison, parsemée aussi de sorbiers des oiseleurs qui ne faisaient pas qu'enflammer la forêt. La sensation grisante du sac allégé après avoir éliminé tous ensemble les deux kilos de fromage, le champagne bu au sommet sous les échos chantants des basques et des catalans présents (bien sûr je n'ai pas balancé la bouteille vide par-dessus bord), la charcuterie et tout le reste (tente, duvet, matelas...) ... Oui nous étions bien et l'ivresse des sommets n'était pas un vain mot... Un groupe de randonneurs espagnols, visiblement content de terminer la descente, et amené par un accompagnateur de montagne réellement chaleureux, s'est alors approché de nous. 

(Bon qu'est-ce qu'ils veulent encore???) (intérieurement)

- Nous avons trouvé une polaire et un cortaviento (coupe-vent). Ça ne serait pas à vous par hasard?

-Ben... (en se regardant tous) non! Non non...

- Je demande comme ça!

Et puis l'ombre d'un doute... On ouvre le sac... Et on court pour les rattraper... La polaire n'est-elle pas noire?? Le coupe-vent n'est-il pas de la marque ...?

- Et oui! Et oui...

- Muchas gracias muchas muchas gracias (j'avais acheté le coupe-vent trois jours auparavant)... Mais quand même (tout ça en espagnol), vous les avez trouvé où ?

- En la puta cima...

Photo 1 : Depuis le col (vers 3010m) sous la Diente de Llardana, vue en direction du sommet des Posets que l'on devine avec la petite pointe blanche qui dépasse de l'ultime ligne de crête.

Photo 2 : Depuis le sommet, vue sur le versant nord et la crête des pics de la Paul (3078m) et le pic de Bardamine (3079m) juste au-dessus de l'étang de ... (il n'est pas présent sur la carte Alpina au 1/25000). Si le photographe se retourne il verra la ligne de crête qui court par Las Espadas (3328m). En dessous, il trouvera les restes du glacier des Posets sous un monticule de débris minéraux le faisant ressembler davantage à un glacier noir. Sur le versant opposé le glacier de Llardana fait de la résistance.

Photo 4: L'ultime partie de la voie par le canal Fonda. Les parois de droite sont celles de la Diente de Llardana. Celle-ci était vraiment tentante mais la montée soudaine du mauvais temps nous a fait préférer y renoncer. Ce n'est que partie remise. 

   
 Alors effectivement, voici une bonne idée que de boire du champagne à fines bulles au sommet de la deuxième plus haute montagne des Pyrénées! Qu'en plus ce pic Posets est en Espagne et qu'en Espagne souvent les hauts sommets ressemblent à des bodegas car les Espagnols aiment la montagne et qu'ils expriment souvent leur joie d'être là de manière chaleureuse et que cette fois-ci avant que le groupe n'arrive, il y avait quatre jeunes catalans et basques (et nos amis basques et commingeois à nous et G. ) à qui on a offert de partager notre champagne et qui ont donc entonné en cœur un joyeux anniversaire à Guillaume, en basque puis en catalan (ou l'inverse). 

    Alors voilà encore que finalement, la description de l'itinéraire peut apparaître secondaire, que malgré tout le panorama depuis ce sommet en particulier me parait être un des plus beaux des Pyrénées car depuis là, en position centrale, et bien au-dessus de la plupart, presque tous les principaux sommets du Balaïtous au Montcalm, en passant par le Cagire ou le pic du Midi de Bigorre, sont visibles. 

    Monter là-haut prend du temps de toute façon, surtout si vous décidez d'aller bivouaquer au bord du très beau lac de Llardaneta (Llardana signifierait terre brulée) vers 2650 mètres d'altitude en s'écartant de peu de la voie normale en direction des granges de Viados (sur l'autre versant), pour y revenir ensuite le lendemain. Au bout du lac, des aires de bivouac informels ont été aménagés et de là on suivra facilement l'itinéraire pour gravir les pics de la Forqueta en guise de bonus, par l'itinéraire du GR11. Le départ se fait depuis le dernier parking de la cascade d'Espigantosa dans la vallée du rio Eriste au-dessus du village éponyme juste avant Benasque, à 1500 mètres d'altitude (jusqu'au 30 septembre normalement un bus vous y emmène). Tout est indiqué (balises et pancartes et cairns) jusqu'au bout et vous passerez devant le refuge d'Angel Orus déjà cité à 2100 mètres, le canal Fonda qui peut-être enneigé tardivement et sujet à avalanche puis le col sous la Diente de Llardana impressionnante avec ses parois vertigineuses... et enfin le sommet à 3375m (ou 3369m fréquemment sur les cartes espagnoles ou sur la borne du sommet). Voilà si vous le faites d'un seul trait c'est minimum entre cinq et six heures qu'il faudra pour monter seulement même s'il n'y a aucune difficulté technique (ça n'engage que moi...). C'est presque sûr que les bergers et chasseurs ont dû gravir la cime avant les premiers pyrénéistes officiels qu'il n'est pas du coup nécessaire de mentionner (bon allez si quand même H.Halkett avec P.Redonnet et P.Barrau le 6 août 1856). Mais je citerai aussi Patrice de Bellefon dans son classique et beau et éternel Pyrénées, les 100 plus belles courses et randonnées : "Son ascension est longue et monotone. Pourtant on aime à le faire et à pénétrer lentement dans l'intimité de ce grand solitaire. Des glaciers poussiéreux et de vastes éboulis engendrent cette monotonie qui, comme celle des déserts, inspire parfois même une mélancolie qui n'est pas dénuée de douceur."

Photo 5: Une douce mélancolie...

    Les géologues en herbe y trouveront majoritairement sur un socle granitique du schiste et du calcaire d'où peut-être la signification du nom du sommet qui voudrait dire gouffre, puit. C'est vrai qu'au bout du lac où nous avions campé, un petit phénomène endoréique empêchait l'écoulement de l'eau du déversoir du lac d'aller directement dans une mer lointaine. L'ensemble fait partie du parc naturel de Posets-Maladeta.

Photo: Au fond de l'ibon (lac) de Llardaneta, tout le monde (merci à tous) est là... Le pic Posets est au fond quelque part dans les nuages, mais pas de regrets car même par beau temps, on ne le verrai pas...  Pour bivouaquer dans le parc naturel de Posets-Maladeta, il faut être à plus de 2300 mètres d'altitude, planter la tente après 19h et l'enlever avant 8h...



mercredi 5 octobre 2022

Le restaurant haïtien à Toulouse Casa Natachou réouvre...

 Voilà qu'en promenant aujourd'hui rue des Polinaires, j'ai pu croiser à l'entrée de la salle du restaurant haïtien Casa Natachou, Natacha qui m'a bien confirmé que le restaurant allait ré-ouvrir ce vendredi 7 octobre 2022, après une trop longue absence. 

Désormais il ne devrait fonctionner que les fins de semaine (vendredi et samedi soir), mais on est déjà bien content de ça!!!

Voici le numéro pour réserver.  05 62 88 04 26 (j'espère qu'il n'a pas changé...)




mardi 20 septembre 2022

Le pic Pédrous (2842m) par les étangs Moulsut et la vallée des Bésines...

     Le pic (ou puig) Pédrous (ou puig pedros en catalan) qui domine l'étang des Bésines (1970m) est le plus haut sommet de cette vallée et un des plus hauts de la haute vallée de l'Ariège. Sa face ouest, qui domine directement l'étang de plus de 800 mètres, est même assez impressionnante avec ses rochers de granit et ses couloirs assez austères. D'ailleurs son nom en catalan, (d'après le lexique de Joan Becat) viendrait de la racine pedra, c'est à dire pierre, dérivé signifiant donc lieux pierreux. Pourtant un itinéraire permet de le gravir en le contournant pour en faire l'ascension très simple, mais un peu longue, par versant est, celui qui donne sur l'étang du Lanoux. Cet itinéraire, au départ de l'Hospitalet près l'Andorre, est donc assez long (au moins 4 heures et trente minutes pour monter au sommet sans trop perdre de temps) mais après être sorti du bois long qui précède et accompagne l'étang des Bésines, on entre sur la zone pastorale, passant devant la jasse du pla, puis celle plus haut des Bésineilles (sous le pic du même nom) et un paysage qui se radoucit car à partir de ce moment-là la face est apparait bien visible comme la ligne de crête que l'on sait être douce depuis le col que l'on doit y rejoindre. Une jasse est une clairière pastorale non clôturée où l'on rassemblait les troupeaux commun pour la nuit. On aura laissé à gauche le vallon de la Coume d'Agnel. Le versant monte en pente plutôt douce et par palier le long des anciennes moraines dont certaines sont peuplées de pins à crochets avant le redressement final vers le col sur la crête à 2488 mètres d'altitude. Les teintes jaunes des pelouses et du gispet un peu desséché se mêlent au rougeoyant des champs de myrtilliers qui s'enflamment peut-être un peu tôt dans la saison et au vert qui entoure le réseau hydrographique. En montant vers cette ligne qui ferme l'horizon, en suivant les balises rouge et or du sentier de randonnée, on passera non loin des deux si jolis étangs de Moulsut (à 2210 m, de 0,8 et 0,3 hectare avec environ 5 mètres de profondeur pour le plus grand) que l'on dominera et dont on déclinera les nuances de bleu au fur et à mesure de la montée. Sur cette crête, l'itinéraire est cairné sur un sentier assez visible jusqu'au pied de l'ultime montée. Au retour en passant devant les étangs, on ira peut-être même y prendre un bain en tenue d'Adam puisqu'on s'y trouvera seul... 

Photo 1 : Vue depuis la crête sur le pic Pédrous à gauche, les étangs de Moulsut au centre et le pic d'Auriol à droite... L'étang des Bésines (d'environ 7 hectares de superficie, dont l'étang d'origine réputé poissonneux a été surélevé par un barrage) est dans le creux à droite.

Photo 2 : Sous la ligne de crête, au pied également du pic des Bésineilles, le petit étang, peu profond, sans nom où l'on arrive vite depuis la porteille en redescendant...

Photo 3 : Les étangs de Moulsut.

    Si le bas de la vallée, et donc la première partie de l'itinéraire, est assez fréquenté (et on évitera de trop penser aux multiples mouchoirs en papier qui jalonnaient le sentier, et même une couche planquée sous un rocher...), jusqu'au refuge des Bésines en particulier, et même un peu plus haut, sur la crête, c'est probablement vous qui serez l'usurpateur vu le nombre d'isards que vous aurez pu voir défiler, qui croiseront votre chemin en ce jour pour aller se réfugier dans le versant assez raide sous la crête, dans le cirque du Pédrous. Peut-être, par vagues successives, une trentaine... et je me demande d'ailleurs si je n'ai pas vu un mouflon également. Il ne restait alors plus qu'à gravir les dernières centaines de mètres pour arriver au sommet, parfois en s'aidant un peu des mains (mais pas trop ...) et bénéficier du beau panorama. À choisir, on prendra d'ailleurs le sommet sud qui semble bien, en contradiction avec certaines cartes, le plus haut par rapport au sommet nord... J'étais assez content ceci dit, mon orgueil un peu flatté car j'étais là enfin sur le dernier sommet qu'il me restait à gravir dans tout le secteur de l'Hospitalet. Je pouvais désormais tranquillement observer le pic Carlit qui était juste en face, au dessus de l'immense retenue du Lanoux (2,5 km de longueur) qui, elle, avait perdu tant d'eau. Regarder également le pic Péric, en constatant un peu déçu que le Canigou est hors de vue. Tant pis, on se retourne alors pour apprécier vers l'ouest et le massif du Montcalm et puis vers les Besiberris. Au nord ce sera la montagne de Tabe et les carrières de talc... Mais plus loin, encore, vers le piémont, cette fois-ci, c'est bouché. J'étais seul et j'étais pas mal...

Photo 4: L'étang du Lanoux est le barrage de retenue le plus grand des Pyrénées. Ce dernier est venu surélevé un grand étang déjà pré-existant et déjà le plus grand étang de la chaîne. Le pic Carlit en arrière plan domine la ligne de crête. On retrouve sur ce versant les formes plus douces du relief qui pour moi caractérisent ces Pyrénées catalanes.

Ceci dit, ce qui m'a quand même étonné en cette saison, dans la montée vers les Bésines, puis dans le bois long, c'est de voir encore des rhododendrons en fleur... Comme si après la période de sècheresse, la végétation repartait pour une nouvelle saison...

Photo 5: Vue sur la partie finale de l'ascension, depuis la crête du cirque de Pédrous, avec le sommet du pic pedrous sud à gauche et le nord à droite.


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dimanche 11 septembre 2022

La Tose du Siscaro (2818m) sur la Soulane d'Andorre et re-descente par la vallée et l'étang du Sisca en haute Ariège (09).

    Au départ de l'Hospitalet près l'Andorre (09), et sa pratique gare SNCF et son accueillant gîte d'étape (où on ira au moins boire un verre au retour sur l'agréable terrasse), il est possible de marcher sur un long itinéraire, aérien au sens de "on est au dessus de beaucoup de choses", transfrontalier (à cheval entre la France et l'Andorre) et qui permet d'admirer de nombreux lacs plus ou moins grands et de terminer en beauté par la vallée du Sisca pour redescendre au village. L'itinéraire, bien que ne comportant pas de difficultés techniques, est assez long (dénivellation d'environ 1600m) et nécessitera au moins entre 6 et 7 heures de marche pour ceux qui ont un bon rythme. Mais la beauté du panorama sur les montagnes d'Andorre, de Cerdagne et de Haute Ariège (jusqu'au massif du Montcalm clairement distingué à l'ouest) bien visible tant qu'on est sur les hauteurs et les nombreux lacs en contrebas est le principal intérêt de cet itinéraire qui n'est balisé que sur une partie. J'avoue que cela aussi est un des atouts car sur la portion sur la crête et la descente sur l'étang du Sisca, à part par quelques marmottes et autres lagopèdes, vous ne serez pas dérangés par grand monde, même si la vue sur la haute vallée de l'Ariège nous offre l'ennuyeux spectacle de ceux qui bravent la circulation pour monter au Pas de la Case...

Photo 1: Impossible de se lasser de cette vue depuis la ligne de crête sur l'étang des Clots (2331m). Au fond, à droite, le Pas de la Case, au milieu le poste frontière et à gauche les mines du Puymorens dans le versant du pic éponyme. Je cite ci-dessous l'article du lexique du catalan Joan Bequat (et son formidable travail): "un clot est un trou ou un creux, que ce soit dans un chemin, dans un champ ou par métaphore, dans une montagne. Il s'agit alors de vallons ou d'ensellements (Clot del Bosc...), parfois de bassins de réception torrentiels. En haute montagne, où abondent ces lieux-dits, les clots sont alors des cirques glaciaires perchés, de petite dimension ou de taille moyenne, aux formes toujours vigoureuses, en demi-bol ou en entonnoir, ou bien de petites cuvettes de surcreusement dans un grand cirque ou dans une plateforme d'érosion glaciaire. Clota, clotada, clotàs désignent des petits clots." 

Photo 2: Le pic de la Cabanette, vue depuis le moment (pratiquement) où l'on bascule vers la vallée du Sisca à gauche en contre-bas. En fait j'aime bien ces montagnes d'influence méditerranéenne...

    L'itinéraire part donc du village et remonte la vallée du Sisca. Un peu avant le barrage du Sisca, il faut prendre un sentier balisé vers la gauche qui remonte le versant, bien visible sur la partie supérieure en travers, pour atteindre le col des Clots à 2142 m. À partir de là, il suffit de suivre la crête par une vague sente, ni balisée ni cairnée, jusqu'aux sommets de la crête (Roc Melé 2811m, Pic de la Cabanette 2843m, et notre Tose du Siscaro 2818m). Sur ce dernier sommet, on bifurque, toujours sur la crête, vers le nord, où lorsqu'on approche le premier petit pic rocheux, on pourra basculer simplement sur la droite (à l'ouest) dans le vaste cirque pastoral, par de vagues sentiers de brebis pour atteindre le bel étang du Sisca à travers des étendues pastorales... À partir de l'étang on regagne des contrées plus "civilisées" et balisées. Il suffit alors de descendre la vallée.

Photo 3: L'estany (étang en catalan) del Siscaro (ou de Baix), à 2355m d'altitude, à droite, d'une superficie d'environ un hectare est voisin de l'estany Canal Roges. En ce jour, l'eau était bien plus verte que ce que montre la photo prise depuis le début de la crête qui descend de la Tose du Siscaro... Derrière la ligne de crête, à gauche, on observe le domaine skiable de Soldeu, et tout au fond, celui de Pal-La Massana.

Je ne reviendrai pas sur l'histoire particulière de la Soulane d'Andorre car je l'ai déjà fait. L'intérêt de l'itinéraire du jour est depuis la Tose du Siscaro d'avoir une vue parfaite sur les étangs andorrans du même nom, que l'on ne peut avoir depuis le pic de la Cabanette. Ces derniers lacs présentent une particularité avec les tiges de l’espèce de soude aux fleurs rosées qui y pousse, la Salsola vermiculata, le “siscall” en catalan, qui donnent un ton différent au bleu de l’eau (ça ne sera pas si visible que cela sur la photo), et son nom au lac qu’on appelle donc communément Siscaró. Cela permet aussi de présenter l'étang du Sisca, côté français, sous un autre point de vue d'ailleurs, dont le nom également a peut-être la même origine. Le contraste est cependant assez intéressant entre le versant au soleil de la soulane et la vallée du Sisca plus verte en cette saison. La nature a fait preuve de résilience et les épisodes inquiétants de sècheresse et de chaleur qui ont marqué l'été, y sont moins visibles...

Photo 4: L'étang du Sisca (2187m), de 4,5 hectares, en contre-bas et en face en remontant la porteille du Sisca (2440m). Sur la droite dans le prolongement de la crête, on accèdera facilement au pic de Nérassol (2633m). Le petit étang de régalecio est dans l'ombre à gauche au dessus de l'étang du Sisca. Regalecio ou en catalan regalessia, selon Joan Becat, déjà cité, vient, en Andorre, comme dans les Pyrénées catalanes ou occitanes, de la regalèssia qui "est le nom donné à un petit trèfle rampant des pelouses alpines (trifolium alpinum), dont la racine a un goût qui rappelle celui de la réglisse (Glycyrrhiza glabra, également regalèssia en catalan). Les pelouses à regalèssia abondent surtout en solana et sont très recherchées par les bergers pour les troupeaux d'ovins."

Photo 5 : D'un peu plus près, l'étang du Sisca et au dessus dans le versant un des cinq petits étangs qui jalonnent le cirque du Sisca. Celui-ci est sans nom et en voie de comblement avancé, et c'est pour cela peut-être que j'ai une affection un peu particulière pour lui... L'autre jour en passant par là lors du trophée de l'isard (toujours le dernier dimanche d'Août normalement), même si j'étais heureux d'y courir (enfin pas tout le temps...) avec mes amis, je m'en suis un peu trouvé frustré de ne pas pas pouvoir l'admirer à ma guise...

Photo 6: Pour terminer la journée, on passera par le barrage du Sisca, bien plein. Le chemin derrière à droite, est celui que l'on aura emprunté à l'aller pour rejoindre la crête... et qu'emprunte (et empruntaient surtout) les troupeaux pour rejoindre aussi la soulane d'Andorre qui faisait partie d'un vaste circuit de pâturages afin de mieux gérer les ressources en herbe pendant les estives.



dimanche 28 août 2022

Une traversée à pied intégrale de l'île de la Réunion, de l'hôtel central (...) de Saint-Denis au Cap méchant...

     C'était annoncé dès l'arrivée à l'aéroport Roland Garros de Saint-Denis, au petit matin avec la grande publicité dans la salle de récupération des bagages Bienvenue Zot tout', Bourbon la bière réunionnaise. À regarder mon profil (surtout au niveau de l'abdomen) à l'issue de ce merveilleux périple, personne ne croira qu'il s'agissait de parcourir environ 160 kilomètres et plus de 9000 mètres de dénivellation, le long d'un sentier, GR R2, réputé exigeant, de gravir quelques sommets au passage et de parcourir des sentiers souvent bien raides, qui montent et qui descendent, tels des escaliers, ou parfois ou souvent remplis de boue ou d'eau (boueuse...) car même pendant l'hiver austral il peut pleuvoir (et bien, d'ailleurs cette fois-ci...). Donc dans le sens que l'on voudra, marche et gastronomie (...) nous conduiront... Ceci dit, on peut relativiser quelque peu car tout cela en douze jours de marche peut paraître abordable surtout sur des chemins bien balisés avec les nuits en gîtes... Alors voilà, même si j'ai trouvé les chemins raides, parfois bien raides, je n'ai pas perdu un gramme... 

Photo 1 : La montagne réunionnaise ne vous prend pas au dépourvu. Tout est annoncé...

    Franchement je voulais vraiment partir du centre de la ville, et même du fameux Barachois que je suis allé revisiter la veille du départ, histoire de partir réellement des rives de l'océan Indien et de ne pas laisser de côté la ville comme si marcher n'était obligatoirement que dans la nature. L'hôtel comme son nom l'indique était vraiment central, à deux pas de la cathédrale où on peut aller boire un rhum arrangé dès le premier soir (histoire de se mettre dans l'ambiance), des sites d'intérêt historique (et Saint-Denis n'en est vraiment pas dépourvue) et des librairies que j'ai gardé pour le retour mais que je suis allé tout de même visiter le frein à main bien serré. Mais débuter la marche en sortant de l'hôtel, en remontant la rue de Paris après le monument aux morts de la Première Guerre mondiale, admirer ces vieilles maisons créoles qui s'alignent avec leurs jardins, passer devant le musée Léon Dierx (à vraiment visiter au retour pour notamment les tableaux représentants les Hauts de l'île) puis le jardin de l'État (aussi et aussi son muséum d'histoire naturelle), enfin par la si joliment nommée Rue des Manguiers, aller récupérer le début du sentier officiel dans le quartier plus périphérique de la Providence, au bout de l'Allée de la Forêt, me paraissait obligatoire et grisant. Cela permet de plus de se mettre en jambe avant le début des "hostilités". Parce qu'en fait surtout je voulais visiter la Réunion et les Hauts de celle-ci à pied...

Photo 2 : La maison de Boisvilliers a été transformée en hôtel et restaurant et est devenue la villa Angélique au 39 de la rue de Paris. Elle a été construite à la toute fin du 19ème siècle mais les transformations opérées par les divers propriétaires en font une synthèse des styles créoles.

Photo 3 : En montant vers Le Brulé, vue sur Saint-Denis. D'ici on ne peut voir le nouveau télécabine urbain qui part du marché du Chaudron vers les Hauts de la ville...

   Effectivement ça monte directement à partir de là et de manière continue jusqu'au premier refuge celui de Roche écrite situé à environ 1800 mètres d'altitude et posé à la limite supérieure de la magnifique forêt de tamarins, peu avant le sommet de Roche écrite (2276m) qui sera aussi le premier belvédère gravi dès l'aube du lendemain. À mi-parcours, dans la brume, on fera étape au Brûlé, village de la commune de Saint-Denis à 1100 mètres, avec son épicerie, son église, son arrêt de bus. On sera alors un peu sorti de la forêt, on aura aperçu Saint-Denis en contrebas, on se dira alors pff que c'est long et on enchaînera alors vers le gîte du soir. Il m'a semblé que celui-ci était annoncé à 7 heures de marche et puis finalement, dans la fraîcheur, tout de même, on sera content à l'idée de s'envoyer le premier repas du soir, qui s'avèrera être un cari poulet super bon. Parce que là, il s'agirait aussi d'être honnête une bonne fois pour toutes : on vient aussi à la Réunion pour manger. C'est ce que j'ai fait. J'étais d'autant plus de bonne humeur qu'en lisant les pancartes de l'ONF, j'ai appris l'existence des fameux Tuit-tuit, espèce de petits oiseaux forestiers endémiques de la Réunion malheureusement en voie de disparition, qui mange des chenilles, d'où son autre nom l'échenilleur de la Réunion. Il n'en resterait que 35 couples dans la forêt de la Roche Écrite mais la population progresserait à nouveau après une intense campagne de dératisation, les rats étant le principal prédateur. J'avais pourtant la sensation d'en voir partout, et notamment le dernier sur un banc à côté de la table devant l'entrée du refuge, et j'avais même l'impression que ce petit Tuit-Tuit me souriait... J'ai débuté alors ce soir-là un rituel qui allait m'accompagner pratiquement tous les soirs tout au long de ce périple : j'ai commencé, après avoir pris deux fois de la soupe, à me servir une bonne ration de cari poulet, super bon, cuit au feux de bois de la cuisine du refuge, et tout en discutant avec d'autres randonneurs, dont certains entamaient comme moi la traversée (et que je retrouverai par la suite avec plaisir), je me suis resservi une deuxième fois. Et puis en fait, sachant que le lendemain dès l'aube, nous allions faire l'ascension du fameux sommet de Roche écrite, je me suis dit qu'une troisième portion ne me ferait pas de mal, que de toute façon je l'éliminerai... mais bon le plat était désormais vide. Je n'étais pas seul...

Photo 4 : Une fougère arborescente parmi tant d'autres, en montant au refuge de la Roche écrite.

Photo 5: Le refuge de la Roche écrite...

    C'est que le matin du deuxième jour, à la frontale, sous un ciel étoilé qui avait effacé la brume de la veille, nous avons pu observer le lever du soleil, rosé puis oranger, mais également qu'il avait un peu gelé pendant la nuit là-haut. Le panorama sur le cirque de Salazie et la mare à Martin en contrebas, celui de Mafate et leurs parois quasi verticales et vertigineuses ainsi que le Piton des neiges, point culminant de l'île à 3071m plus loin, qui contrastaient avec la montée sur un terrain peu abrupt à travers la plaine des Chicots, au sortir de la forêt de tamarins, était spectaculaire et le lieu connu pour cela puisque plusieurs tentes de campeurs coloraient la place. La descente, vers le refuge pour prendre le petit déjeuner ainsi que la suite vers le gros village de Dos d'Âne plus à l'ouest est restée dans cette ambiance car l'itinéraire après le refuge (et les confitures de mangue, ananas au petit déjeuner), suit pendant plus de trois heures la crête nord vertigineuse du cirque de Mafate, souvent sur le fil, dans la végétation touffue, en profil de montagne russe. Après un dernier belvédère à la Roche de Verre bouteille, où un banc n'attend que vous (enfin pas que vous), il débouche sur le plateau de Dos d'Âne après une succession de panoramas pour le moins époustouflants, dont la vue plonge directement dans le cirque pour remonter en face sur le versant opposé qui forme réellement comme un rempart écrasant de part sa hauteur et qui parait infranchissable. En face sur l'autre versant du cirque de Mafate, dans sa partie aval, alors que la rivière des Galets se faufile dans un étroit goulet enserré de ces parois vertigineuses, on peut suivre la trace du sentier qui accompagne la canalisation des orangers le long des courbes de dénivellation vers les 750 mètres d'altitude en plein milieu de la paroi. De cet endroit-là, la vue sur l'entrée de Mafate doit être extraordinaire. Au delà de la pointe de Galets, vers l'aval encore, vers l'ouest, c'est l'océan indien que l'on aperçoit avec parfois des bateaux dont on a l'impression qu'ils flottent quelque part dans l'espace. Bien content d'arriver car il commençait à faire chaud, on sera accueilli au gîte Paule et Jo en ce dimanche par toute la famille qui vient rendre visite aux jeunes et agréables propriétaires qui nous auront préparé un excellent rougail saucisse pour le soir et les citrons de la tarte (aux citrons...) provenaient de leur jardin. Je repense aussi à cet homme rencontré au débouché du sentier sur la route en tenue de traileur créole qui discutant avec nous de ses entraînements, de ses participations multiples à la Diagonale des fous, et de sa vision de la vie, tout simplement, nous montre comment la course en montagne lui a servi de rédemption après un grave accident de moto et à ses dires un usage un peu immodéré des boisons alcoolisées. Ces multiples cicatrices et notamment celle, large, et d'au moins dix centimètres, au genou ne cessent de m'impressionner... Je constate aussi, bien content, après ces premières journées que la pratique de la montagne n'est pas qu'une affaire de z'oreilles.

Photo 6 : Au sommet de la Roche Écrite. Vue sur à gauche le cirque de Salazie, à droite Mafate. Au fond, le plus haut c'est le Piton des Neiges (3071m) et le Gros Morne (3019) et à droite le Grand Benare (2898m)

Photo 7: Vue depuis la ligne de crête qui descend vers Dos d'Âne sur le cirque de Mafate (le piton des Neiges est tout au fond...). La crête de Marianne est à gauche et celle d'Aurère à droite. L'îlet d'Aurère se trouve au milieu...

    Alors le troisième jour peut-être le grand jour car c'est celui qui vous voit entrer dans le fameux cirque de Mafate dont j'ai fait le choix de visiter en prenant le temps ce qui me conduit au fond à faire des petites étapes, en tout cas au début. Effectivement jusqu'à Aurère où je dois me rendre le soir, il est annoncé environ 5 heures. On doit d'abord descendre au fond du ravin de la rivière des Galets par un sentier pas si simple car de temps en temps, il faut se fader une remontée abrupte. Les sentiers sont tracés dans des endroits parfois improbables à cause du relief dont il faut épouser les formes pour arriver à bon port. Une piste remonte ensuite jusqu'à l'embranchement de Deux Bras tout en suivant la rivière qui forment de temps en temps des petits bassins avant finalement de se ressaisir pour attaquer une montée quelque peu brutale de presque deux heures vers le hameau placé sur un des îlets importants du cirque. Les panneaux de l'ONF nous indiquent bien les dangers potentiels auxquels on peut être confrontés, ici le débit des rivières suites aux cyclones, même si ce n'est pas la saison. Les îlets à la Réunion sont des petits plateaux ou plate-formes isolés par des ravines qui en ont fait d'un accès difficile. La toponymie en a élevé un grand nombre qui servent souvent à donner un nom aux villages ou hameaux. Ici celui d'Aurère, dont le nom semble venir d'un dialecte mozambicain d'un esclave marron, c'est à dire fugitif, capturé ici au début du 18ème siècle et signifiant bon, bien en raison de la qualité des sols. Voilà on y est au coeur de Mafate, dont le nom serait peut-être à rapprocher de l'adjectif mahafaty qui en malgache signifie "mortifère, dangereux, qui tue... " et qui pourrait s'appliquer directement à la dangerosité des lieux et notamment à l'époque des noirs marrons qui venaient s'y réfugier au 18ème siècle notamment. La tradition littéraire du 19ème siècle a popularisé le nom d'un des chefs marrons, Mafate, sorcier qui aurait habité près de sources thermales, plus tard devenues station thermale, au fond de la vallée de la rivière à galets, identifié sous le nom de Ran mafac ("eaux puantes"). D'ailleurs il faut attendre la fin du 19ème siècle pour voir apparaître sur une carte le nom de cirque de Mafate, auparavant c'était cirque de la rivière des Galets, voire cirque d'Aurère. On peut lire d'ailleurs pour se plonger dans l'ambiance des chasseurs de noirs marrons le très intéressant roman, devenu un classique, Chasseur de noirs de Daniel Vaxelaire qui décrit bien ce monde à part dans lequel les esclaves tentaient de fuir et de se protéger de l'esclavagisme du littoral. Et il faut reconnaître que l'accès au cirque nous a permis de garder le suspens assez longtemps pour arriver après une ultime raide et longue montée au milieu des pitons saillants sur ce plateau habité avec son école, ses habitations et ses nombreux gîtes. Alors ne vous attendez pas à y être seuls, mais les petits jardinets et certaines habitations coquettes, avec les rues sentiers, ça fait son effet. Ce soir-là je dormirai en tente à la ferme La bonne terre car tous les gîtes étaient complets. Mais ce jour-là, encore, la grâce semblait même au plus haut point, notamment dans la descente initiale d'où la vue sur les vallées qui descendaient du cirque, en face, et se rejoignaient à Deux Bras coupaient de manière tranchante les pitons qui s'élevaient d'entre les murailles. Le ciel était un peu nuageux ce qui permettait de nuancer les jeux de lumières. Le soir, après quelques pages de lecture d'un bouquin d'Hector Abad, L'oubli que nous serons, je me prépare enfin à un élément qui rythme mes journées, le repas du soir... Celui-ci était encore excellent avec deux caris au menu, cari boucané (poitrine fumée) et cari poulet, avec une salade verte pays (c'est à dire local) comme le poulet d'ailleurs (élevé par les propriétaires) ce qui lui donne une saveur particulièrement ferme et bonne, me rappelant ceux d'Haïti. J'ai aimé entendre parler le patron du lieu avec son accent créole (ou parfois français teinté de mots ou expressions créoles) qui disait qu'il recevait toujours les visiteurs qui n'avaient pas réservé et qui arrivaient tard même pour manger. Qu'il y avait toujours quelque chose pour eux, alors que les gîtes ne vont pas au-delà de leur capacité. Ça m'a fait plaisir de l'écouter. Je vois ces familles, autour de la grande table de la salle à manger qui viennent passer une nuit ici depuis le littoral peuplé, les adultes faisant découvrir aux plus petits, je vois aussi ces trois jeunes en groupe venus aussi pour une nuit et se délecter du repas avant de redescendre. Tous sont de la Réunion et aiment leur île, ça se voit et on les comprend. Quand on pense qu'il n'y avait plus qu'un habitant permanent ici sur cet îlet dans les années 60, le garde forestier de l'ONF contre 90 environ aujourd'hui. Je me disais enfin que je mettrai la carte de la Réunion dans ma salle de cours. Il est évident que le tourisme permet de bien mieux vivre et de rester vivre surtout sur place. Toute la famille était affairée pour préparer le repas. 

Photo 8 : En redescendant vers le fond de la rivière des galets, Deux Bras est tout en bas... Au milieu, on retrouve le piton Cabris (1441m) sur la crête d'Aurère. L'îlet d'Aurère se trouve juste derrière.

Photo 9 : Sur les sentiers du centre du bourg d'Aurère, en route pour le camping... 

Photo 10: Cari boucané, le poulet n'est pas loin...

    On est alors au coeur du cirque et l'habitude à ne plus voir de route, à se sentir isolé est plus présente. Finalement on trouve cela normal et on finit par s'y habituer. Poursuivant le chemin vers Grand Place Les Hauts pour une petite étape d'à peine quatre heures de marche en prenant le temps de s'arrêter là où on se trouve bien, même si je ne savais pas encore vraiment où j'allais dormir car au moment de faire les réservations depuis la métropole tout était complet. En discutant hier soir à table, on m'a indiqué un camping. De toute façon, je porte tout l'équipement et les lieux de bivouac sont innombrables, sans qu'on en fasse la liste (c'est à vous à les trouver). On franchit donc des ravines, remontant sur les versants d'en face, traversant d'autres petits îlets... Croisant d'autres badauds multicolores, on discute... On s'arrête ainsi à l'îlet voisin Îlet à bourse, entre l'aire d'atterrissage des hélicoptères et l'école qui domine d'un peu le terrain de foot. À droite se trouve la petite case blanche en bois aux encadrements de fenêtre bleu turquoise de la protection maternelle et infantile que des médecins et autres professionnels de la santé viennent visiter selon un calendrier affiché. Deux tables de pique nique sont installées là, un robinet d'eau et le gîte Chez Johnny, juste à côté. L'ensemble est calme et paisible si ce n'est le bruit des hélicos. Une pancarte indique 890 mètres d'altitude. Sur la partie droite de la façade de l'école est peinte une jolie fresque avec les couleurs de la montagne et je ne peux m'empêcher de penser au film colombien éponyme Los colores de la montaña, sauf qu'ici c'est la paix et aucun risque de se faire assassiner par les milices paramilitaires. Il existe huit écoles dans le cirque avec des classes uniques. Ensuite, pour le collège, les élèves doivent aller sur la plaine littorale, à Saint-Paul ou La Possession, dans des familles d'accueil. Deux orangers le long du chemin, sans plus bouger, presque... On arrive finalement vite à la nuit... Des moments de grâce comme cela parfois... Après avoir mangé n'importe quoi ce soir, ce que j'avais dans le sac et acheté plus tôt dans la journée, car je n'ai pas cherché de gîte où j'aurais pu m'attabler, je me suis envoyé un petit paquet de chips, de la Vache qui Rit, le reste de mon saucisson El Pozo et des BN à la vanille, accompagné de quelques fruits secs... Mais là, je suis propre, changé et reposé et je regarde un peu béa la montagne autour éclairée par la pleine lune en écoutant du maloya (me semble-t-il) que le voisin un peu éloigné met à plein tubes, mais que j'entends et j'écoute atténué avec un vrai plaisir. Les insectes crissent, le vent s'est calmé. Je suis seul sur le terrain de camping Bellevue qui porte si bien son nom. Il n'y a pas beaucoup d'ombres mais les terrasses sont plates avec du gazon et un très bel oranger et ses dizaines d'oranges suspendues. De toute façon, en cet hiver austral, il fait nuit tôt, 18h15 tout au plus. Les nuages ne semblent pas vouloir dépasser la ligne de crête à l'est et l'amical patron du camping s'affaire quelque peu au dessus dans sa case pour le repas avec le reste de sa petite famille et donne de la vie. C'est quand même très étonnant ce cirque de Mafate, éloigné des routes goudronnées et pourtant si bien intégré aux circuits du tourisme. Cela permet de garder la montagne bien vivante comme ici encore avec sa multitude de gîtes. Tous les îlets semblent habités, avec leur zone d'atterrissage d'hélicoptères, leurs tuyaux interminables qui captent les multiples sources pour alimenter ce qui pourrait ressembler à un immense jardin suspendu. Le temps semble parfois suspendu lui aussi, et lorsque je vois les gens d'ici d'un certain âge, que j'entends la musique, ou que je repense au patron de la boutique Le Pavillon, juste en dessous, où j'irai chercher mon sandwich demain matin en partant, probablement descendant des ti-blanc qui ont commencé à coloniser les Hauts de Mafate après la fin de l'esclavagisme (1848) derrière son comptoir et sa vitre anti-covid, je ne peux m'empêcher de penser encore à Haïti. Tout le réseau de sentier, balisé pour la plupart, ou pas, renforce nettement cette impression. En redescendant tout à l'heure, au hameau de Cayenne, plus bas à quarante minutes de marche, en fin d'après-midi, les cases, certaines colorées, mais pas toutes super entretenues m'ont rappelé les ballades dans les mornes antillais, même ici on n'est vraiment pas aux Antilles. On a beau avoir regardé très sérieusement nos magnifiques et efficaces cartes topographiques pour préparer le parcours, la réalité l'emporte tellement en beauté sur l'imagination. Les miennes, anciennes des années 90, car datant de mon premier voyage, indiquent clairement un espace beaucoup moins boisé qu'il ne l'est aujourd'hui. On se croirait au bout du monde mais y est-on réellement? Le bal des hélicoptères et la couverture 3G de tous les lieux feraient penser le contraire. Dans le livre musical pour enfants, Dans les Hauts à la la si jolie couverture de Moniri M'Bae, chez Zebulo éditions, six images et six sons accompagnent les plus petits dans une ballade sonore à travers la montagne. Avec la nuit, les belliers, la pluie sur la tôle, le boeuf moka et le volcan, on trouvera aussi l'hélicoptère.

Photo 11: Depuis la case du patron du camping Bellevue, au coucher de soleil.

    Sur le versant opposé se trouve l'itinéraire qui passant par l'îlet de Lataniers puis celui des Orangers permet d'arriver à Roche Plate. Avant de prendre cette direction, j'avais au préalable vérifié sur le site internet de l'ONF (mais il y en a d'autres) l'état des sentiers pour savoir si celui-ci était bien ouvert. La vue qu'il faut aller chercher depuis la piste d'atterrissage des hélicos de l'Îlet des Lataniers sur celui de Cayenne et son immense versant encaissé était absolument magnifique. Le sentier ne nous y oblige pas car après être complètement descendu au fond de la vallée de la rivière des Galets, il faut remonter de manière aussi abrupte... On domine donc la vallée mais ce qui apparait tout aussi impressionnant est qu'on est à notre tour dominé par les remparts écrasants du Piton Maïdo haut de 2190 mètres d'altitude. On se demande d'ailleurs alors ce qu'il peut y avoir derrière, des titans... une autre vallée merveilleuse... Entre l'îlet des Lataniers et celui des Orangers, 400 mètres plus haut, le sentier nous emmène dans des gorges étroites tout en gardant une pente soutenue, passant à l'embranchement du sentier de la canalisation des orangers. On sera tenté de s'arrêter dans un bar-épicerie un long moment car dans la montée deux jeunes gazelles vous ont quelque peu laissé sur place avec votre gros sac. J'ai d'abord pris juste un soda citron frais et deux conneries à grignoter. Je n'avais pas forcément l'intention de rester là longtemps et puis finalement un hélicoptère a commencé à faire des rotations. La discussion s'est engagée avec des locaux qui travaillaient là et un qui habitait même juste à côté. Ils buvaient des dodos. Il faisait bon et la vue sur les parois ne cessaient de m'impressionner car je me demandais bien comment des gens avaient pu venir habiter jusque là sur des bouts de crêtes aussi haut et à l'écart. Et puis la copine du gars qui nous servait est arrivée pour le remplacer, alors qu'elle faisait des aller-retours dans le gîte auquel le bar-épicerie appartenait et que ce dernier dominait. Elle était sportive, bavarde et créole. Elle paraissait d'autant plus intéressante que juste à côté, avant, étaient assis deux gars qui parlaient de voyages en regardant le panorama, le Japon, l'Alaska, l'Amérique latine...  

- Ça doit être sympa l'Amérique latine! [Oui (t'as raison), ça doit être sympa l’Amérique latine...]

À côté du bar, depuis la terrasse, en contrebas, deux cabris qui grignotaient, étaient attachés. Un des deux a fini par s'étouffer enroulé dans la corde qui devait l'empêcher de s'enfuir et est mort comme ça, presque devant nous, sans qu'on s'aperçoive de rien. Un des jeunes au bar est allé alors chercher sa mère qui est sortie de la maison d'à côté, d'où provenait également une musique plus ou moins ragga fort entraînante, hyper énergique, en engueulant même son fils en créole, se plaignant d'avoir ainsi perdu plusieurs centaines d'euros et lui rigolant plus ou moins. Quand elle est sortie avec sa tenue d'une autre époque et d'un autre milieu socio-économique, marqueur de pauvreté, j'ai eu l'impression de voir surgir une haïtienne des mornes. J'en ai été troublé... La pause a bien dû durer une heure et finalement, j'ai fait comme le jeune couple de randonneur qui fait le même itinéraire que moi depuis le début, et je me suis donc envoyé un sandwich au bouchon sauce pimentée. Le très bel album photographique de Jean Philippe Vivre à Mafate lontan, Hors du temps au coeur de la Réunion, à partir de clichés des années 80 pour la grande majorité révèle bien combien la vie a changé depuis cette période, une période pas si lointaine de ça où la grande pauvreté semblait de mise dans le cirque. Un cliché de l'Îlet aux Orangers en particulier montre l'urbanisation de cet endroit. Il a bien fallu quitter ce lieu particulier pour rejoindre le but de l'étape du jour. En partant de là, le temps s'est couvert un peu plus, quelques gouttes, et mon tee-shirt à manche longue s'était trempé et puait (pas nouveau...). La montée a alors commencé par... une descente abrupte dans la ravine avant de gravir la vallée de l'autre côté par un sentier qui a bel et bien finit par ressembler jusqu'au col à un escalier que trois employés s'amusaient à débroussailler. Je me demandais bien pour qui ils pouvaient bien travailler, quel était leur employeur, probablement l'ONF qui est un puissant acteur dans le cirque. Le passage du petit col, à près de 1300 mètres d'altitude est un moment particulier car la vue s'ouvre sur toute la partie supérieure du cirque et le sentier se poursuit sur une portion d'une cinquantaine de mètres sur laquelle il nous est interdit de s'arrêter à cause des risques permanents d'éboulement, portion qui est complètement bétonnée. L'itinéraire se poursuit alors en pente douce, à travers les dépôts boisés accumulés au pied de la paroi du rempart. On pourra être content à nouveau à l'idée de dormir en gîte (chez Merlin) pour le repas et aussi en se disant que la nuit précédente n'avait pas été si calme que cela car tout du long, sur le versant, les chiens avaient aboyé, se répondant dans des dialogues imaginaires et moi j'avais l'impression d'avoir ingurgité une substance bizarre qui transformait chaque aboiement en feu d'artifice. Je ne pouvais même pas dire que je le regrettais, bien consciemment dans la nuit... Les lieux de bivouac potentiels étaient, et seront, au fond assez nombreux mais je n'en avais pas envie.

Photo 12: Depuis la piste d'atterrissage des hélicoptères de l'Îlet des lataniers, vue sur celui de Cayenne et au dessus à gauche celui de Grand Place.

Photo 13: La canalisation des Orangers qui s'en va alimenter les communes hors du cirque alors que pendant longtemps l'Îlet aux orangers a manqué d'eau.

    Le départ de Roche Plate, après sa délicieuse confiture de tomate maison, vers l'îlet le plus élevé, celui de Marla à 1640 mètres d'altitude marque la dernière étape dans la partie supérieure du cirque. L'itinéraire était au fond assez court alors, et parce que je voulais visiter tous les îlets, j'ai pris la direction du plus important et touristique de tous, celui de La Nouvelle pour allonger mon temps de visite avant de revenir sur l'objectif, mais dans l'improvisation. Ce fut une journée assez intense commencée tranquillement car en deux heures de marche on arrive facilement à l'impressionnante cascade de 3 Roches. Constituée d'une dalle presque plate sur laquelle passe la rivière des Galets avant de tomber brusquement dans une sorte de gorge profonde, elle ressemble à un gouffre dont on voit à peine le fond en s'approchant de (trop) près... L'endroit est paisible le matin avant l'afflux des touristes venant de la Nouvelle, quelques tentes de campeurs, et quelques chats à demi-sauvage qui ont élu domicile par ici. Mais ne nous laissons pas griser par ces beaux matous qui restent de redoutables prédateurs et qui déciment la faune locale (demandez aussi au Tuit-Tuit...) et peuvent donc être clairement nuisibles... Sur le chemin de La Nouvelle,  au début un peu raide, mais on commence à s'y habituer, la pluie a commencé à tomber. J'y avais rendez-vous dans un restaurant à côté de l'école avec un couple de randonneurs qui était au gîte la veille et avec qui j'avais fait une partie du chemin le matin. Mais comme je n'ai pas réussi au prime abord à trouver l'emplacement exact de l'école malgré les panneaux indicateurs, dans ce village à l'habitat dispersé, je me suis réfugié dans une boulangerie dans laquelle je me suis résolu à manger un sandwich américain épicé. La serveuse de la boutique du haut de sa douzaine d'années, malicieuse et rigolote, mettait sur un bout de papier les recettes/opérations du moment et m'a donné des explications pour localiser l'école mais je n'ai rien compris. Dans la salle, se trouvaient deux cartes de France qui étaient annotées par tous les touristes français qui y indiquaient leur origine... J'ai finalement remis le poncho et suis allé à la recherche de la fameuse école que j'ai finalement trouvé en demandant à un employé municipal qui passait par là... C'était donc cette belle maison plantée là au milieu du jardin face à l'esplanade devant laquelle je suis passé plusieurs fois. - Elle est jolie... ! Mais pas de restaurant aux alentours. J'ai quand même retrouvé le couple qui venait juste d'arriver à un bar indiqué par l'employé municipal : le Bar des Songes dont les 5 grosses bonbonnes de rhum arrangé posées sur le comptoir étaient simplement une invitation. Une hésitation qui a bien dû me durer deux secondes pour d'abord goûter celui aux fleurs d'hibiscus, forcément très bon, puis l'enchaînement naturel vers celui dont les tranches de curcuma, d'orange et la citronelle, bien que pas assez macéré à mon goût, était absolument délicieux et étonnant. Oui le curcuma... Le couple ayant pris un rougail saucisse, j'en ai pris un aussi... Le temps d'écouter Still loving you et Careless whisper en version reggae... Et voilà... Chacun est parti de son côté et j'ai pris la direction de la forêt des tamarins que je voulais revoir depuis mon premier voyage à la Réunion il y a fort longtemps. La Nouvelle, à 1450 mètres d'altitude, est l'îlet le plus peuplé du cirque et considéré presque comme une capitale, sachant qu'il est relativement accessible car la route qui mène au col des boeufs par le cirque de Salazie est toute proche, à peine deux heures et quelques à la descente me semble-t-il. Voilà comment la toponymie garde le souvenir d'un temps où les humains transportaient et apportaient dans le cirque les marchandises dont ils avaient besoin, même si cela se faisait aussi simplement à dos d'hommes et de femmes. Une sorte de petite piste presque carrossable même appelée chemin charrette part du village et remonte la pente jusqu'à la plaine des tamarins, où notre itinéraire prendra à droite direction Marla. Et puis en fait, avant d'y arriver, et parce que ça me taraudait depuis très longtemps, voyant que j'avais une petite marge avant la tombée de la nuit, j'ai cherché et finalement trouvé l'amorce du chemin qui monte à la mare de Kerval, cette dernière à quasi 1800 mètres d'altitude sous la crête des fameux Trois Salazes. Je ne sais pas si ce sentier était ouvert à la fréquentation car je n'ai pas vérifié, mais il était assez raide et long (quasiment 300 mètres de dénivellation), dans les bois, rempli de plantes qui avaient parfois tendance à recouvrir la sente, cairné mais glissant en ce jour et qui a fini par déboucher sur un vaste plateau, dans le brouillard. Finalement après avoir pas mal maugrée, je me suis retrouvé dans une ambiance auvergnate ou écossaise quasi-surréaliste (bonjour les clichés...) au milieu des vaches qui paissaient là, au fond peut-être à la recherche d'un paysage qui aurait ressemblé à quelque chose d'européen, avec la mare au milieu qui avait des airs de lac de montagne. J'ai finalement pu arriver au gîte à la tombée de la nuit juste avant de passer à table. Les journées ne s'arrêtent jamais avec la fin de la marche. Car l'accueil au gite chez Madame Hoareau a été simple mais au fond chaleureux. Je n'avais pas réservé le repas car je ne savais pas qu'on pouvait y manger mais j'y ai pris mon repas bien sûr. Ce qui m'a notamment touché chez cette dame c'est qu'au fond malgré une certaine réserve ou timidité de prime abord, c'est sa gentillesse qui semblait déborder. Elle m'avait mis dans un dortoir tout seul alors que j'aurais pu atterrir dans un autre déjà en partie rempli. Lorsqu'on feuillette l'album de Jean Philippe Vivre à Mafate lontan (Hors du temps au coeur de la Réunion) déjà évoqué, on fait déjà connaissance avec le personnage qui déjà accueillait les randonneurs de passage dans les années 80. Bien sûr cela a beaucoup changé, et tant d'années après, il est difficile de reconnaitre les lieux. On trouve même des restaurants-bar. À l'époque, j'avais croisé un randonneur belge qui faisait la traversée intégrale et je me rappelle très bien avoir pensé à ce moment là, lorsqu'il m'a dit qu'ils faisaient cette traversée - Mais c'est ça que je veux faire... Ses gîtes ont été modernisés et franchement on y est bien. Les bâtiments sont presque coquets... J'ai retrouvé à table un des couples de randonneurs qui était la veille à Roche plate, un couple d'avocat qui faisait un circuit en se faisant transporter les affaires. Lui, patient, semble t-il plus âgé qu'elle car il avait 74 ans, travaillait encore, mais je dois reconnaître que j'étais assez admiratif, et elle, jolie et super bavarde, qui tout en faisant la remarque que le pain était quand même rassis (ce n'est pas très étonnant...), m'a glissé, amusée qu'elle trouvait son mari plein d'énergie et que, non sans une pointe d'humour, cela faisait 30 ans qu'elle en cherchait un plus âgé! Assis à ma gauche, une jeune médecin et son mari en face, qui faisaient une petite ballade avec leur garçon de moins de 2 ans qu'il portait la plupart du temps mais qui marchait un peu et semblait tout à fait content d'être là avec ses parents! Elle me disait qu'elle était venue très jeune avec ses parents habiter à la Réunion, pour en repartir afin de faire ses études en métropole, en se promettant de revenir y vivre quand elle voudrait des enfants... Ils y étaient... Comme quoi beaucoup de choses sont possibles.

Photo 14: Plus tôt dans la journée, à l'approche de 3 Roches (mais cette cascade n'est pas Trois Roches)...

Photo 15: Dans la plaine des Tamarins. Il fallait ici prendre à droite, hors cadre pour rejoindre Marla.


Photo 16: La fameuse mare de Kelval dans un lieu à l'écart pour lequel on pourra trouver une certain romantisme, même si les vaches selon 

    De bon matin, mais pas trop quand même, car l'étape du jour, telle que je l'ai choisi, ne sera pas très longue pour rejoindre Cilaos et quitter le cirque de Mafate, ce qui marque le franchissement symbolique de la moitié du parcours, sans oublier la très bonne confiture de chouchou du petit déjeuner au gîte. Et surtout ce qui m'a paru évident c'est que, au delà de son inclusion au patrimoine mondial de l'humanité par l'UNESCO ou de son classement dans le parc national de la Réunion et sa zone habitée, l'on quittait un monde. Je n'ai absolument rien reconnu de mon premier voyage et du col de Taïbit à plus de 2000 mètres d'altitude qui ouvre le passage vers le cirque de Cilaos. Une pause et une dernière vue sur le cirque de Mafate permet d'en embrasser tous les 14 kilomètres de sa longueur vers le nord globalement et de se rappeler à quel point l'érosion a formé son relief car vu d'ici le rempart ouest contraste tellement avec le chaos des versants écroulés et révèle que le phénomène gravitaire a joué dans l'écroulement du flanc du volcan (mais dans les autres cirques c'est pareil). À cela on ajoutera l'érosion classique sur des matériaux peu stables ou peu compacts dans un régime climatique soumis notamment aux cyclones et ses fortes pluies, ce qui donne ce relief si compartimenté, si entaillé, si chaotique donc... Le bal des hélicoptères a repris et s'il apparait nécessaire au maintien d'une activité digne dans ces Hauts, qui permette aux gens de rester y vivre, que je n'ai pas trouvé, à aucun moment, qu'on nous assommait sur les prix, je m'interroge tout de même sur le bilan carbone du touriste randonneur de base que je peux être. Même la tournée du facteur ne se fait plus à pied. Le dernier à avoir réaliser ces exploits hebdomadaires, pour une durée de 4 jours et 120 kilomètres sur des chemins escarpés, Angelo Thiburce, aujourd'hui retraité, a été fait Chevalier de l'Ordre national du mérite en 1999. Un livre écrit par son fils retrace sa vie dans les Hauts et une statue du facteur de Mafate a été érigée à Grand Place Les Hauts, mais je n'y suis pas allé. Le tourisme semble être devenu la principale ressource et l'agriculture semble délaissée malgré les projets de développement et de réhabilitation.. Au col du Taïbit, on serait presque submergé par les randonneurs, les traileurs qui s'entraînent (et ils sont nombreux partout) dans la perspective probablement de la fameuse Diagonale des fous qui aura lieu en octobre prochain. Au milieu de tout ça, un créole porte le maillot de l'équipe de rugby du Stade toulousain. Je peux entamer la descente d'une bonne heure pour rejoindre la route qui m'amènera à Cilaos. Le GR se poursuit néanmoins par un autre itinéraire en fond de vallée avant de remonter vers la ville. Mais mes muscles voulaient faire des grandes foulées, se détendre après avoir encaissé des pentes raides pendant une semaine et nous ont emmené, avec le couple rencontré à Roche plate, après une petite visite de l'église de Cilaos, directement dans un restaurant pour manger un très bon canard à la vanille... Cette petite ville thermale, au bout d'une route de 35 kilomètres appelée la route aux 400 virages, constitue un lieu idéal pour faire une pause et j'aurais finalement bien aimé rester un jour de plus avant de passer à la suite. Mais avec le jeu des réservations dans les gîtes, il y a moins de place pour l'imprévu. Pour me consoler, après avoir fait les emplettes d'usage, être allé à la poste pour renvoyer le bouquin terminé et symboliquement la carte topographique utilisée et été accueilli chaleureusement par la patronne de la pension, je suis retourné au restaurant, un autre dans un cadre plus traditionnel en bois dans une vieille bâtisse, très agréable et beau avec au menu un gratin de chouchou et un cabri massala avec riz et lentilles (de Cilaos), arrosé d'un vin blanc de Cilaos puis un rhum arrangé ...puis la chambre de la pension, où le chauffage avait été allumé, m'attendait.

Photo 17: Les gîtes de madame Hoarau à Marla. La mare de Kelval se situe sous le pic en arrière plan. Au matin, du départ vers Cilaos...

Photo 18: Le long de la route vers Cilaos...

Photo 19: Le repas sous la galerie dans un restaurant complet... 

    Car ce matin-là, le lendemain, j'ai vraiment eu du mal à me lever et sortir du lit sachant que je n'avais pas forcément une longue journée devant moi même si j'avais l'intention d'aller dormir au sommet du Piton des Neiges, point culminant de l'île à 3071 mètres d'altitude, même si les températures annoncées étaient négatives. J'aurais adoré me retrouver sous la neige. Finalement, je suis resté au refuge de la caverne Dufour, à 2478 mètres d'altitude, car il pleuvait des cordes depuis le début de la montée et que les prévisions météorologiques n'annonçaient pas de changement et surtout pas de neige et que je n'avais franchement plus l'intention d'aller me cailler et me tremper là-haut. J'ai donc demandé s'il y avait une place qui se désistait et j'ai pu dormir là dans un dortoir, en retrouvant ceux qui avaient pris le wagon de la traversée avec moi, le jeune couple franco-allemand G. et T., et D. le professeur de français belge vivant aux États-Unis qui se promènent avec ses deux fils. L'ambiance était particulière comme si c'était une veille de combat, avant le levé matinal pour aller affronter la bête... Le refuge est donc quasi complet, ce qui n'empêche pas là aussi un accueil chaleureux. Et si je n'y avais pas réservé c'est parce qu'au moment de le faire c'était déjà complet... La montée depuis le parking, endroit appelé le bloc, est quasiment sans répit pour avaler le rempart que constitue de ce côté-ci le côteau de Kervegen avec environ 3 heures de temps... Beaucoup de randonneurs débutent ici le parcours très tôt dans la nuit en faisant l'itinéraire d'un trait.

    Voilà le morceau de bravoure avec l'ascension du sommet que j'avais déjà visité il y a fort longtemps. Le temps, à nouveau, ne sera pas avantageux mais comme je suis là, comme d'autres aussi, on a envie d'y aller et on y va. Après pour les quelques uns qui descendent vers Bourg-Murat, la journée est longue pour avancer... Du sommet, à part un vent violent, de la pluie qui vous rince brutalement et de manière continue et juste la pancarte indiquant le sommet, je ne verrai rien d'autre. À peine si avant l'aube, dans un ciel quelque peu éclairci par le jour naissant, j'aurais pu voir les lumières de la côte du nord-est, celles de Saint-Pierre également au sud, mais aussi la silhouette massive du Piton de la Fournaise où je devrais être dans quelques jours. Cela suffira à mon bonheur, car j'ai tellement eu froid au sommet avec ce vent que je n'y suis resté que quelques secondes, constamment rincé. Un trailer me double juste avant le sommet m'empêchant d'arriver premier (ah mince!) du contingent parti du refuge dans un silence d'avant-match. Clairement en forme, bien aidé de l'ivresse des sommets ainsi qu'un optimisme béat (qui me joue souvent des tours) me laissant espérer imaginer arriver au dessus de la mer de nuage (mais que nini), comme les autres, je me suis fait rincer simplement en bonne due et forme... Après m'avoir salué et demandé si je venais du refuge, il a enchaîné : - Alors tu as mis combien de temps depuis le refuge? (il est complètement obnubilé par le chronomètre...). Il n'y a plus qu'à redescendre vers le refuge et engager la suite vers la vallée. Cette deuxième partie durera environ 6 heures dans un chemin glissant rempli de flaques d'eau, dans lesquelles on marche joyeusement car si on veut les éviter on va mettre la semaine pour arriver, dans une ambiance quasi-solitaire, parfois d'ailleurs en glissant et en se retrouvant sur le cul. Avant d'arriver sur la plaine des cafres et ses joyeux pâturages grillagés, je suis simplement un homme de boue. Mais la vue de ces bovins dans les prés, donnant à cette montagne une ambiance pastorale tropicale, me met en joie d'autant plus que le soleil se pointe. Le nouvel itinéraire du sentier passe plus au sud pour permettre au marcheur d'arriver directement à la ville de Bourg-Murat, juste en face de la cité du volcan, ce qui est une excellente nouveauté, ce qui évite de marcher le long de la route nationale sur plusieurs kilomètres depuis le col de Bellevue, qui marque symboliquement la limite entre les deux volcans qui forment l'île. Et aux Agapanthes, la pension choisie sur booking, en plus d'être quasiment sur l'itinéraire du sentier, l'accueil est encore plus chaleureux et ce n'est pas ici que j'affinerai ma ligne malgré les efforts du jour. On se retrouvera aussi ici, par hasard, avec notre ami belge, pour partager un apéritif à base d'acras de morue et d'un bon choix de rhums arrangés (...), sorte de mise en bouche avant le repas, son gratin de chouchou et son formidable cari au thon...

Photo 20: Histoire simplement de dire que j'y étais au piton...

Photo 21: Un petit air de Normandie...?

    On est donc prêt à rejoindre le volcan du piton de la Fournaise et le gîte de Bellecombe par une portion très intéressante de l'itinéraire qui permet d'approcher la bête, de changer d'ambiance et de s'y préparer. Au sortir de Bourg Murat, la forêt tropicale humide de moyenne altitude laisse rapidement et souvent la place aux pâturages et ses vaches laitières, donnant une ambiance plutôt douce au paysage traversé et ce globalement jusqu'au Nez de boeuf, voire au piton Textor (2184m) et ses pylones de radio télécommunication. Sur la fin, on trouvera également des arbres typiques des forêts de ces latitudes et altitudes comme le Mahot, le Tamarin des Hauts... On aura également traversé une forêt de cryptomérias (Cryptomeria japonica), espèce introduite par l'ONF dans les années 50 mais dont le sous-bois est plutôt pauvre en végétation à cause de l'acidité des sols et du manque de lumière. Sur la ligne de crête qui termine cette portion, des parkings et des zones de pique-nique sont aménagées et si le temps le permet, comme c'était le cas en ce jour, en se retournant on peut admirer le Piton des neiges qui se dégageait nettement au dessus des quelques nuages, ce qui était encourageant. Ça l'était d'autant que je n'avais pas pu réserver là aussi le gîte et que je devais attendre 15 heures pour appeler et demander si une place se libèrerait, étant donné que la météo pour le lendemain s'annonçait mauvaise sinon exécrable, et que je n'avais une place réservée que pour le lendemain soir... Dans ces conditions-là, je n'avais pas du tout envie de planter la tente même si je savais d'avance que j'allais me faire rincer pendant la journée consacrée à la visite et l'ascension du volcan... La place s'est libérée, ce en quoi j'avais plutôt confiance puisque R., un randonneur parti comme moi pour la traversée le premier jour, et ayant un jour d'avance et donc déjà au gîte, m'a informé par texto le matin qu'il y avait des annulations...  À partir du piton Textor (et même un peu avant), et bien que dans un premier temps, à travers la plaine des remparts, le sentier coupe la piste carrossable du volcan, le paysage semble devenir plus lunaire, plus sec, avec beaucoup moins de végétation même si celle-ci reste buissonneuse. Avec le passage par l'oratoire Sainte-Thérèse, le sentier commence la descente du rempart de la vieille caldeira et marque l'entrée dans la plaine des sables qui apparait dans toute sa largeur et sa splendeur avec ses quelques petits cratères. Ce qui accentue cette beauté sauvage est le contraste qu'elle oppose avec le Fond de la Rivière de l'Est, beaucoup plus verdoyant au nord. Lui aussi est enserré dans les remparts, quelques centaines de mètres en contrebas, comme un gradin, lui même également au-dessus de la vallée encaissée de la rivière de l'Est qu'on devine plus qu'on ne voit mais qui s'engage vers le littoral par un ressaut que l'on devine impressionnant, le Rond des cascades, dans lequel le vide semble nous attirer. Si alors un arc en ciel vient traverser la zone et qu'en regardant également vers le sud-est, le sommet et le cratère principal du Piton de la Fournaise dépassent du rempart de Bellecombe, se dégageant des quelques nuages restants, et qu'en plus, vous venez d'apprendre que c'est bon il y a une place qui vous attend, alors vous n'avez plus qu'à traverser cette plaine des Sables avec une légère émotion, du bonheur simplement car aussi vous touchez au but...

Photo 22: Sur la fin de la plaine des sables après une belle journée. La route du volcan passe bien au fond sur l'image. À droite, le rempart de Langevin. Le volcan serait sur la gauche ainsi que le gîte.

    Mais comme le dit un proverbe anglais, "Il n'y a pas de bonheur sans nuage ("no joy without annoy")",  pour l'ascension du volcan du piton de la fournaise, et en l'occurence du cratère dolomieu, je vais me faire rincer pendant quatre bonnes heures dans un froid certain, et rentrer trempé au gîte où je passerai l'après-midi à faire sécher mes vêtements pour la dernière journée de la traversée. Le sentier est entièrement balisé par des marques blanches au sol, pour éviter que l'on se perde, qui mèneront donc sur le rebord du cratère Dolomieu, dans une zone clairement délimitée à ne pas dépasser, car les rebords du volcan sont fragilisés à quelque 2530 mètres d'altitude, sachant qu'il ne s'agit pas ici du point culminant du volcan qui est à 2632 mètres. Mais le gîte du volcan s'offre comme un havre de paix avec son repas en abondance et son très bon cari d'espadon, mais également l'ambiance. Si j'ai passé l'après-midi près du poêle à granulé, le soir après le repas, une fois tout le monde couché, j'ai pu profiter du lieu pour moi seul à bouquiner tranquillement. On peut profiter alors de la chaleur du poêle et du silence dans le fauteuil, un peu comme à la maison, à la montagne dans un cadre presque intimiste. À ce moment-là, Mafate et son beau-temps me paraissent bien loin... Le projet de nouveau gîte plus respectueux de l'environnement pour absorber la fréquentation croissante et importante (environ 350 000 personnes par an), financé à hauteur de quasiment 60% par l'Union européenne pour un coût total de 9,3 millions d'euros risque encore de changer l'ambiance dans ce lieu tout de même particulier, que je n'ai pas reconnu depuis mon premier voyage.

Photo 23: Comme pour le petit poucet pour ne pas perdre son chemin, entre deux coulées de lave. Le sentier s'en ira dans les nuages vers le cratère Dolomieu tout en haut à gauche...

    Parce que c'est bien beau de se réchauffer près du poêle, il s'agirait quand même d'achever cette traversée en descendant vers le refuge de Basse Vallée, annoncé à 6h20 de marche,  et de là, terminer au Cap Méchant au bord de l'Océan Indien à une heure trente de plus... Par beau temps, l'itinéraire qui remonte du gîte du volcan pour venir suivre le rebord du rempart de Bellecombe, haut de 200 mètres, et permet une vue probablement magnifique sur le volcan, pour redescendre à partir des Puys Ramond n'offre pas trop de difficultés. Mais au gîte du volcan, on vous émettra un avis consultatif pour entreprendre la descente, que j'ai préféré ne pas entendre. Les fortes pluies peuvent entraîner la montée des eaux et le passage infranchissable de quelques ravines, notamment dans la dernière partie. À ce moment-là, il faut être patient et attendre que le niveau de l'eau redescende. Ça peut prendre des heures. Ce ne fut pas le cas. J'avais imaginé un sentier sur un terrain plus effilé sur la crête or cela ressemblait davantage à un plateau sur lequel passait une piste. J'aurais presque aimé poursuivre sur le bord de cette caldeira jusqu'à l'océan vers l'est de l'île. Mais je devais avoir probablement quelque chose à expier et à laver, car pour la dernière fois, en partant assez tôt le matin, avec un vent à décorner les boeufs qui parfois lors des puissantes rafales, m'empêchait tout simplement d'avancer, je me suis, cette fois-ci en petit short, malgré le froid, fait complètement rincé pendant deux-trois heures...  À partir du moment où l'on passe sous les nuages, que l'on peut voir l'océan, quelque peu agité ce jour-là, on se sent simplement rempli de joie, et on sait à ce moment-là qu'on ira balancer d'un grand geste à la poubelle tous les vêtements usés comme mon coup-vent qui ne coupe plus rien, qu'on ira se trouver un hôtel sur la plage à Saint-Pierre et que de là, on pourra admirer une dernière fois la beauté de la couronne de montagnes qui forment le cirque de Cilaos juste au-dessus, avec le piton des neiges qui coiffe le tout, en se disant combien cette traversée fut fantastique de bout en bout...

Photo 24: On quitte enfin le manteau nuageux et on aperçoit l'océan mais pas les baleines dont on nous a dit qu'elles étaient là au large jusqu'au mois de septembre.

Photo 25: Le fameux Cap Méchant... où quand la coulée de lave rencontre l'océan Indien. On n'ira pas tenter de se baigner mais les pirates y avaient l'habitude de cacher leur butin notamment des barils de rhum.


Récapitulatif des étapes :
1/  Centre historique de Saint-Denis - Refuge de la Roche écrite (1800m). (9 juillet)
2/ Refuge de la Roche écrite - Roche écrite (2277m) retour- Dos d'Âne (1080m)
3/ Dos d'Âne - Deux Bras (250m)- Aurère (920m)
4/ Aurère - Îlet à malheur - Îlet à bourse - Grand Place les Hauts (800m)
5/ Grand Place les Hauts - Îlet des Lataniers - Îlet des Orangers - Roche Plate (1150m)
6/ Roche Plate - La Nouvelle (1450m) - Plaine des Tamarins - Mare de Kelval (1790m) - Marla (1640m)
7/ Marla - Col du Taïbit (2080m) - Cilaos (1220m)
8/ Cilaos - Refuge de la Caverne Dufour (2470m)
9/ Refuge de la Caverne Dufour - Piton des Neiges (3071m) retour - Bourg Murat (1580m)
10/ Bourg Murat - Oratoire Sainte-Thérèse (2410m) - Gîte de Bellecombe (2240m)
11/ Gîte de Bellecombe - Cratère Dolomieu (2530m) retour
12/ Gîte de Bellecombe - Piton de Bert (2274m) - Gîte de Basse-Vallée (620m) - Cap Méchant (3m)