lundi 17 avril 2017

Traversée intégrale à pied, seul, de l'île de Santo Antao (Îles du Cap Vert).

Finalement, et ça va paraître prétentieux (et le titre est un peu pompeux), mais le plus difficile sera de faire un choix sur les photos à garder tant les paysages furent souvent époustouflants. La traversée en 6 étapes (avec une journée en plus pour faire l'ascension du point culminant), au départ de Vila de Pombas, sur la côte est, jusqu'à Tarrafal de Monte Trigo sur la côte ouest, à l'aide de la carte Kartenverlag au 40 000è, de l'île de Santo Antao fut magnifique et variée. Voici les étapes:
- Villa de Pombas - Espongeiro
- Espongeiro - Ponta do Sol
- Ponta do Sol - Cha de Igreja
- Cha de Igreja - Alto Mira III
- Alto Mira III - Casa Luciano
- Casa Luciano - Tarrafal de Monte Trigo

Photo 1 : A l'assaut  de la Bordeira de Norte, étape 5. Pour moi, le passage le plus impressionnant.


Je m'étais fait un peu de soucis avant de partir, pensant que ce serait compliqué et puis... Et puis, j'ai imaginé mon itinéraire plus ou moins en fonction de ce que proposait les agences de voyage (elles font quand même passer par les plus beaux endroits...). Et puis, j'ai pu acheter la fameuse carte à la gare maritime de Ponto Novo (mais elle est disponible à l'aéroport de Mindelo-Sao Vicente)... Et puis j'ai constaté qu'elle était franchement précise et que malgré les précautions d'usage, sur place, elle était digne de confiance (et je n'ai plus eu besoin de ce que j'avais trouvé sur internet). Et puis aussi, j'ai pu voir en commençant à marcher que les sentiers étaient, pour les principaux, correctement balisés (sans excès et c'est pas plus mal). Leur qualité était exceptionnelle, car beaucoup sont pavés, avec des petits murs d'accotement. Que de toute façon, il y a toujours, ou au moins très souvent un habitant pour vous indiquer le chemin. Et que les cap-verdiers sont gentils (au sens non péjoratif du terme). Et que, et que, et puis, et puis... Les logements sont biens là, souvent de très bonne qualité, qu'on y mange bien...


Photo 2 : Mon itinéraire...


Alors je ne vais pas faire la critique des voyages en agence. J'ai choisi de partir seul, parce que j'aime être complètement autonome (et que aussi personne n'a voulu venir avec moi...ah ah ah) simplement, et seul... Mais les agences créent des emplois de guide sur place. Et pour en avoir vu et côtoyer un peu, ils permettent aux touristes d'avoir des informations et des connaissances du pays que je n'ai peut-être pas eu... Et vu les difficultés économiques de celui-ci (même s'il progresse), c'est important de créer ces emplois valorisants. Alors, j'ai quand même fait appel sur place à un guide ou au moins à quelqu'un qui vous ouvre le chemin : c'était l'avant dernière journée pour monter au sommet du point culminant de l'île le volcan Tope de Coroa (1983m d'altitude). J'avais lu je ne sais plus où que c'était obligatoire mais en fait apparement non m'a dit le patron de la pension. Et que le lendemain, j'ai repris la même personne pour m'ouvrir le chemin de la dernière étape sur les deux premières heures et demie. Ça m'a coûté 5000 escudos (moins de 50 euros), mais je ne les regrette pas.

Photo 3 : En remontant donc la vallée de Paul. 
Donc voici, les étapes,
- Jour 1 : Vila das Pombas - Espongeiro (environ 7 heures de marche). C'était bizarre mais une fois la marche engagée, le stress m'a définitivement quitté. J'avais cependant eu le temps de me charger de 3 bouteilles d'eau, soit quasiment 5 kilos de plus (pour un sac de moins de 10 kilos que j'aurais pu encore alléger). Et puis la première vendeuse de fromage de chèvre sur le port de Porto Novo a réussi à m'en vendre un, puis en route je n'ai pas su dire non à une autre qui me proposait du café en grain (je déteste cette boisson mais j'adore son odeur), donc me voici avec un petit kilo de plus et enfin, au plus fort de la montée finale, Rosinha vendait aussi du café mais surtout de la confiture de papaye... Heureusement qu'il n'y avait plus d'autres vendeuses... J'aurais dû alors acheter un âne plutôt pour porter toutes les denrées... Un peu de poids supplémentaire...
Photo 4 : Plus haut dans la vallée de Paul, près de la Caeça de Figueiral. les habitations sont toujours globalement construites sur des buttes naturelles en dehors des lieux exposés aux tumultes des rivières en cru (rares mais dévastatrices) ou des glissements de terrains. Le climat est globalement sec (pas plus de 350 mn par an pour les endroits les plus humides) mais lorsqu'il pleut ça tombe fort, généralement en septembre... Demandez à Mimi à Casa de Igreja.
Enfin, dès le premier jour, j'ai appris à affiner la lecture de la carte topographique au fur et à mesure des montées et des descentes... Oui, j'ai voulu prendre l'itinéraire 102 (Figueiral de Paul) de la carte pour éviter la piste (itinéraire 101), pensant à une montée continue. Et puis évidemment, après la Cabeça de Figueiral où j'ai acheté le café (mais ça fait petit bar aussi), ça redescend aussi sec de 250 mètres de dénivelé... (et puis il faut les remonter de l'autre côté...).  La vue sur le haut du cirque et le pico de la Cruz est impayable. C'était au coeur de l'après-midi... Enfin, face à la muraille de basalte du versant dans la montée vers la Cova de Paul, je me suis demandé par où passait ce chemin. Et cela fut une des impressions majeures, fortes et fréquentes de ce périple. Alors on monte, on monte, sur un chemin pavé, dont les virages se resserrent au point de ressembler au corps de python posé sur une branche.
Photo 5 : A l'approche de la Cova de Paul, on se retourne pour voir le chemin parcouru. Et reprendre son souffle...
En se retournant, la vue était fantastique et on reste tellement admiratif du travail des cap-verdiers qui ont construit ce(s) chemin. On prend alors des photos à chaque virage en se disant "c'est beau, c'est beau...". On regarde juste en dessous, sur le lacet précédent, et on en aurait le vertige. J'apprendrai plus tard que la principale route, pavée, qui traverse l'île du nord au sud, de Porto Novo à Ribeira Grande, l'estrada da Corda (la route de Corda) n'aurait commencé à être construite que dans les années 30 et jusqu'en 2009 sera la seule. Les prisonniers de Salazar mettront plus de vingt ans pour la construire et lustrer les petits pavés. Pour une des versions que j'ai pu trouvé, sinon voir le lien c-dessus...  Alors de toute façon, les chemins sont vitaux et une manière de vivre. Mais il n'y a pas que les chemins qui laissent une impression si forte. Cette vallée de Paul est une des plus vertes de l'île, l'eau y coule de manière permanente toute l'année et cette ressource est utilisée par les habitants pour cultiver tous les parcelles possibles avec la canne à sucre, maïs, igname, bananiers, manguiers... Alors on y construit des terrasses de culture partout. Il en va comme des vaches dans la montagne corse, on en trouve à des endroits complètement improbables. La misère et une immense force de travail peuvent engendrer cela. Ce sont de véritables ouvrages d'art. Cela mériterait d'être classé au patrimoine de l'humanité (bon après ils seront envahis peut-être par les touristes...). La Cova de Paul (ancien cratère de volcan au coeur de la forêt de pin) marque donc la fin de la montée et on rejoint au fond la fameuse route pavée qui traverse l'île. On peut la suivre jusqu'au gîte d'Espongeiro (Casa Espongeiro), au bord de la chaussée (mais le trafic est vraiment faible) où je n'avais pas réservé (il en est hors de question) et dont j'avais trouvé la référence dans le guide Le Petit Futé. On y est super bien, il fait frais, l'apéritif en guise de bienvenue, rhum arrangé gingembre, (Casa Natachou, accroche-toi...) et le repas magnifique... Bon j'arrête là, mais vraiment les entrées me parurent exceptionnelles, bonnes et présentées finement... Tout cela après la douche, et le dernier tronçon de marche sur la route pavée qui m'a parut tant plaisant et apaisant, après n'avoir fait quasiment que monter ou descendre brutalement. J'avais l'impression de revoir les reportages documentaires d'Arte. Et j'étais seul, shooté à l'endorphine. Car oui, vraiment, j'étais crevé et je me suis demandé toute la soirée, avec les 3 autres personnes présentes, si j'allais vraiment la faire cette traversée...

- Jour 2 : Espongeiro - Ponta do Sol (peut-être 5 heures de marche)
Après une nuit, d'un trait, lourde et régénérante, oui bien sûr... Mais ce deuxième jour allait être plus cool. J'ai accompagné Trevor qui descendait vers Ribeira Grande, en claquette (lui pas moi...), par choix... Dès qu'il le peut, il le fait m'a-t-il dit... Alors c'était parti pour "probably the slowest hike of your life..." m'a t'il aussi dit avec son accent Irlando-londonien... Effectivement, ce fut long (j'ai eu l'impression de pouvoir le faire dans la matinée et finalement suis arrivé à destination en fin d'après-midi, ah ah ah), car aussi il prenait des photos à chaque virage (et que des virages, il y en a beaucoup...) et qu'en gros on a fait le même type de chemin que j'avais fait la veille mais en descendant, dans la vallée parallèle. Mais ce fut surtout super agréable avec lui et encore magnifique. La descente, sèche, puis la remontée sur Losnã, nous a encore époustouflé par ces paysages où le travail des humains épouse le relief au plus près avec leurs cultures et leur sentiers, avec les petits hameaux sur les lignes de faîte qui descendent vers le fond de la vallée et les cours d'eau au fond.
Photo 6 : En redescendant d'Espongeiro, à Chã de Mato 
On peut aussi sentir plus bas les odeurs, doucereuses, de canne à sucre qu'on est en train de purger de leur jus et qu'on distille. Un peu enivrant mais heureusement aucune vendeuse à l'horizon... C'est le hameau de Xôxô, qui marque l'arrivée de la route bitumée que nous emprunterons jusqu'à Ribeira Grande, la capitale de l'île, et son joli centre ville et sa place bordée de la grande église et de ses bâtiments coloniaux de belle facture...
Photo 7 : Le hameau de Losnã. On remontera en face jusqu'au hameau avant de basculer vers la gauche. 
Peu de traffic, quelques aluguers (transport collectif) et c'est tout. Alors on discute en regardant le paysage. On se séparera au centre de la ville, une heure après, à côté distributeur automatique... Et puis j'ai continué tranquillement jusqu'à Ponta do Sol (Pointe du soleil?) par la belle route côtière pavée, elle aussi, entre la mer et les falaises... Il y a de nombreuses possibilités de logement et beaucoup proposent de la musique live ce soir... Alors on se méfie car ça parait bien touristique... Et puis, et puis encore, une surprise à l'hôtel (le premier en arrivant en amont de la grande place, Résidencial Ponta do Sol 2)... Un groupe avec deux soixantenaires qui jouaient de la morna. C'est magnifique, tellement, qu'après la bière au bord de la mer, j'ai pris deux verres de vin rouge de Fogo, et puis ils m'ont proposé d'aller continuer chez eux, car j'étais le seul à les avoir écouté jusqu'au bout, où là c'était le rhum et hop deux verres de plus, des reprises de Cesaria Evora (on ne vient pas aux îles du Cap vert que pour marcher...), puis on me montre l'atelier de fabrication de mandoline (dont celle avec lequel un des musiciens joue) (il avait l'air un peu déçu que je ne lui propose pas de lui en acheter une, mais bon, pour la laisser sur une étagère au retour et surtout me la coltiner sur le sac à dos...), et puis le troisième, un petit jeune, à minuit passé me propose d'aller boire un dernier verre sur la place, avec la jeunesse locale... Sur ce chemin-là, j'aurai droit à une dernière sérénade à la fenêtre de la soeur d'un des plus vieux musiciens (nous étions encore trois...). Alors bon, ce sera un jus de mangue s'il vous plaît... En plus, il m'invite... Et puis je suis quand même allé me coucher... Et puis, et puis, toujours...
Photo 8: Dans les rues de Ponta do Sol
- Jour 3 : Ponta do Sol - Châ de Igreja (un peu moins de 5 heures)
Alors je n'étais pas trop frais ce matin-là pour partir car on ne peut pas dire que l'alcool apaise le sommeil. Mais le parcours de ce jour, complètement maritime, puisqu'il longe le littoral jusqu'à Cruzinha da Garça (le héron?), avant de remonter un peu vers le joli petit bourg de Chã (le champ) de Igreja (église), réveillera les blasés me semble t-il. Le sentier qui fait suite à une toute petite route carrossable pavée à partir du village perché de Fontainhas (voir photo ci-dessous), est un classique de la randonnée sur l'île. Il n'en reste pas moins magnifique et incontournable.
Photo 9 : Une vue de Fontainhas, une parmi quelques centaines d'autres sur internet...
Les 5 heures nécessaires pour le parcourir dans sa totalité que j'ai pu lire partout, sont évidentes. Ceux qui mettront moins auront soit un bon rythme, soit un sac léger. Le second permettant le premier aussi... ah ah ah. L'ensemble donne une impression sauvage bien qu'on trouve quelques petits bars sur le parcours dans les quelques petits hameaux au débouché de vallées où les cultures en terrasse tendent à s'effacer. Le sentier semble longtemps suspendu au dessus des flots, coincé contre la falaise. Attention aux coups de soleil car le vent marin laisse une impression de fraîcheur un peu traître... En arrivant à Cruzinha da Garça, on pourra alors manger du poisson au petit restaurant du centre avec vue sur la baie de Cruzinha qui immanquablement attire le regard avec ses rouleaux qui viennent s'échouer sur les gros galets noirs du bas des falaises. Ça semble briller de loin. J'apprendrai là aussi plus tard, qu'un itinéraire y passe pour ensuite remonter dans la Ribeira de Inverno.  Mais c'était un peu engagé. Et ça m'a parut quelque peu magnétique...
Photo 10 : Sur le chemin de Cruzinha da Garça (au fond)
Alors après tout ça, en remontant la piste vers Chã de Igreja, on passe devant le lodge (même si ce mot ne me semble pas trop adapté) Kasa de Igreja, tenue par Mimi, une française, et qui pour tout dire est absolument charmant, soigné, fin, où on mange bien et où là aussi, on est accueilli avec un apéritif (cette fois-ci grog c'est à dire rhum, au miel) délicieux. Les prix, vu le confort, m'ont paru plus qu'honnêtes. Cela peut être une bonne base pour rayonner dans le coin tant les possibilités de ballades sont nombreuses. Et puis, franchement la patronne est au petit soin avec ses clients. On peut alors faire juste un petit tour au centre du village en fin de journée, à l'ombre des grands arbres devant l'église. Des personnes  plus âgées discutent tranquillement sur un banc devant une maison basse, tandis que des jeunes hommes sont hypnotisés par le match de foot du championnat portugais (les deux heures de décalage horaire sont parfaites...). J'en profite pour acheter du fromage (queijo) de cabra (avec la confiture de papaye, je m'en délecte d'avance) à l'épicerie (mercearia) du coin pour le lendemain, et de l'eau (en permanence 3 litres avec moi). En fin de journée, avec l'ensemble des cultures, irriguées par l'eau des concessions de la montagne, l'ensemble paraît presque luxuriant...
Quitter ce petit paradis est un effort, si on ne se met pas en tête certaines idées...

 - Jour 4 : Châ de Igreja - Alto Mira III ( au moins 9 heures de marche)
Donc oui, il a fallut quitter ce petit coin de paradis au petit matin pour l'étape la plus longue de cette traversée, en remontant tout d'abord la vallée par la piste, puis la route goudronnée (sur deux-trois kilomètres?), avant de prendre à droite la route pavée vers Garça de Cima, le tout pendant une heure trente environ. Il existe des chemins et des sentiers par le fond de la vallée en guise d'itinéraires bis... Mais j'aime marcher le matin, avec un traffic automobile faible, sur ces routes pavées. Le bruit des pas est absorbé par les pavés qui brillent quelque peu.

Photo 11 : Garça de Cima après avoir récupérer le sentier.
A partir de là (une maison blanche sur la gauche que les locaux vous indiqueront), commence alors la montée proprement dite (bien qu'on soit déjà à plus de 500 mètres d'altitude) vers la Cova d'Espadona, large d'un kilomètre, sur la ligne de crête à 1500 mètres d'altitude et ses zones plus pelées sur la commune de Lagoa. A part un groupe d'allemands que j'ai doublé dans la montée, je n'ai pas croisé grand monde là-haut (itinéraire 210 de la carte). Si ce n'était l'heure, dans l'après-midi, j'oserais dire que le panorama, depuis les petits sommets qui parsèment cette ligne de crête, est fantastique car, au milieu de l'île, il permet une vaste vue. Mais l'air chargé de l'après-midi... Alors j'ai continué en récupérant une sorte de piste qu'il faut laisser après Cruz dos Maroços, en prenant comme point de mire un petit sommet avec une antenne au sommet (côte 1667), puis le sentier continue sur la ligne de crête en dominant la vallée d'Alto Mira où l'on descendra par l'impressionnant chemin de Salto Preto. Désolé mais ces fantastiques chemins suspendus n'ont cessé de m'impressionner. Juste avant le début de la descente proprement dite, le sentier sur la crête disparait sur quelques centaines de mètres, mais c'est dans une zone dégarnie et on voit en permanence le début du chemin suspendu... Après, le chemin de la descente commence, elle sera assez longue, environ 700 mètres de dénivelé et on commence à se dire qu'il faut mieux avoir les articulations en forme et bien s'hydrater si on ne veut pas qu'il se transforme en chemin de croix... On a toujours une vue sur l'ensemble formé par les deux hameaux de d'Alto Mira (le II Chã Queimado et le III, plus haut Chã d'Orgueiro).
Photo 12 : En redescendant vers Alto Mira II.
 C'est vraiment harmonieux car en s'approchant on se rend compte de toute l'activité agricole et de l'irrigation qui ont véritablement aménagé la montagne. Les couleurs de ces cultures et les quelques maisons colorées ressortent d'autant plus. On peut alors s'installer à la terrasse (?)/balcon de l'épicerie Disco à Alto Mira II et s'imprégner de tout cela, écouter les bruits de la vie rurale qui remontent après la torpeur de l'après midi. Le temps se couvre un peu, quelques gouttes... Le terminus de la route, pavée, qui remonte vers Alto Mira III, à 800 mètres d'altitude, et plus loin Chã de Morte, est juste là au-dessus à moins de 100 mètres, avec son petit clocher bleu. Je l'emprunterai plus tard pour rejoindre la pension (impeccable et pas chère 2000 pesos) à Alto Mira III, dont la façade multicolore est immanquable à la sortie... De la fenêtre de la chambre je ne cesserai alors de m'extasier de la vue, au soleil couchant sur la vallée avec les petites exploitations disséminées et les chants de coq (ça chante n'importe quand ces bêtes-là...). Je crois bien que c'est le paysage qui m'a le plus touché durant cette course. J'ai pensé alors à la vallée d'Ota/Porto en Corse pour le côté déchiqueté des versants et la lumière de fin de journée.

- Jour 5 : Alto Mira III - Casa Luciano (un peu plus de 6 heures)
Départ matinal, via l'itinéraire 302, par Forquinha (1040m), en remontant une petite vallée étroite où le chemin là aussi se fraye un passage, à la force de travail des cap-verdiers. Remarquable. Sur l'autre versant, c'est pareil, et je croise alors une troupe d'ouvriers, hommes et femmes, qui viennent de bonne heure, travailler à l'entretien du chemin. J'aimerais bien savoir alors qui s'occupe de l'entretien de ces chemins, qui financent, qui les a construit, quand... Je n'ai pas encore les réponses car je ne parle pas le créole portugais de l'île, ni le portugais d'ailleurs alors je ne peux poursuivre la conversation bien loin. Et pourtant, ça me démange... Jusqu'à Chã de Morte, le chemin s'apaise quelque peu, sur une sorte de plateau au coeur du cirque volcanique. On arrive bientôt vers le volcan point culminant de l'île et on a l'impression que ses versants se sont effondrés il y a longtemps donnant ce type de paysage, où un plateau, strié de ribeiras (rivière au sens littéral en portugais mais à rapprocher peut-être davantage des ravines antillaises ou des barancos canariens, qui au fond de la vallée de manière localisée garde davantage l'humidité) creusées par les cours d'eau intermittents, s'étale au pied d'immenses versants murailles. Pour ceux qui connaissent l'île de la Réunion, peut-être penseront-ils alors à elle, en plus sec. Chã de Morte fait office de petit centre régional.
Photo 13 :  A l'entrée de Chã de Morte. Maison traditionnelle avec le papayer devant. La confiture de papaye est un vrai délice.
On passe devant le collège, tout neuf, et on peut observer la jeunesse locale, que l'on sent pleine d'énergie dans leurs uniformes. C'est toujours réconfortant. Un peu plus haut sur la route pavée, à Curral das Vacas (étable des vaches?) commencera alors le plat de résistance, pour, malgré tout ce que j'ai pu dire jusqu'à présent, le plus beau et le plus impressionnant chemin suspendu de mon itinéraire qui part à l'ascension de la Bordeira de Norte et 800 mètres de dénivellation dans la muraille... (voir photo 1) Chaque anfractuosité, chaque ressaut du relief est mise à profit pour, par un ouvrage d'art, y faire passer le chemin, quitte à basculer sur un autre côté du versant par un chemin suspendu... Une fois là-haut, on pourra faire une petite bifurcation à gauche, au niveau des maisons troglodytes histoire de voir le Covão da Bordeira et puis on reviendra sur notre itinéraire et poursuivre sur les plateaux plus désolés et venteux, vers le gîte de Casa Luciano, 30 minutes après Chã de Feijoal.


- Jour 6 : Casa Luciano - Tope de Coroa - Casa Luciano (entre 4 et 5 heures)

Photo 14 : En route vers le Tope de Coroa. Au fond, à gauche du cratère, la petite pointe, c'est sûrement notre point de départ, la Casa Luciano.
Le gîte de Casa Luciano est le plus rustique d'entre tous mais franchement le service est impeccable et l'accueil n'en est pas moins agréable. Ce n'est pas l'eau courante qui vous est proposée mais cela n'empêchera pas la douche. On peut louer une chambre sur la terrasse du toit avec une vue impeccable sur le Tope de Coroa (couronne). On est encore plus de mille mètres d'altitude et on domine l'océan au loin. On se sent ici un peu loin de tout mais vraiment les propriétaires sont attentifs aux besoins du voyageur. Fidel, le patron du gîte, vous trouvera un guide (3000 escudos par jour), son frère, pour vous accompagner là où vous voulez, et notamment au sommet du volcan. C'est ce que j'avais prévu et que je ferai le lendemain, après une nuit et début de matinée de petite pluie bienvenue. Alors il ne faudra pas hésiter à prendre dans votre sac à dos une petite veste coupe vent, car même s'il se peut que vous lisiez qu'il pleut à certains endroits de l'île que tous les 12 ans et quelques, peut-être que ce sera le jour où vous y serez. Alors, après l'eau, le café, la confiture, le fromage... vous n'êtes pas à 500 grammes près.
Photo 15 : En redescendant du volcan. Les fromages sont vieillis deux heures... 
Le chemin pour le volcan ne semble pas compliqué, d'autant plus que le volcan n'a pas connu d'éruptions probablement depuis 200 000 ans, mais le guide vous fera sans doute gagner du temps et à la descente vous amènera rencontrer les éleveurs de chèvre (et hop deux fromages de plus) dont le dénuement est assez grand. La pluie de la nuit fait ressortir les odeurs des plantes et c'est aussi une ballade odorante des plus agréables qui se présente. Je dois avouer avoir eu souvent des remords à me déplacer là librement avec sur moi des vêtements et un équipement qui représente pour certains pas mal d'argent. Alors essayons d'être discret, même si je porte un pantalon orange (oui, c'est parce qu'avec l'âge, je suis de moins en moins roux, alors il faut compenser...).
La montée en environ deux heures de temps vous conduit d'abord au sommet du cône dans lequel vous trouver le cratère, à 1979 mètres. On domine alors le village de Monte Trigo de quasi deux milles mètres (ce sera pour le lendemain). Mais pour ceux qui veulent vraiment aller au point culminant, il vous faudra poursuivre jusqu' au sommet de la caldeira qui lui fait face vers l'est, et dont la carte indique 1983 mètres. Une formalité.
Photo 16 : Le sommet du volcan depuis le sommet de la caldeira... Au sommet du sommet (...), le cratère...
Quelques pâturages, des arbres de tailles modestes marquent la végétation. On retourne au gîte pour l'heure du déjeuner mais j'en aurais profiter pour faire une longue sieste. Car l'endroit est propice à lâcher... enfin...

- Casa Luciano - Tarrafal de Monte Trigo (pas loin de 8 heures)
La dernière étape se situe dans un environnement plus sec où la végétation arborée est rare. Il est certain que le climat y joue un rôle important. Mais il est évident aussi que l'action des hommes depuis la découverte de l'archipel par les portugais au 15è siècle est aussi importante car une des premières actions a été de lâcher des animaux domestiques qui sont devenus plus ou moins sauvages comme les chèvres ou des ânes. Certes des sècheresses ont souvent fortement réduit les troupeaux mais le mal était fait. En lisant le récit d'A.Chevalier, dans la Revue de botanique appliquée et agriculture tropicale d'oct.-nov.1935, on le mentionne déjà.
Photo 17 : Peu après le départ de Casa Luciano.
Pendant un long moment, environ 2 à 3 heures, on reste à niveau. Je pense que le guide m'a fait passer par un sentier qui est plus en amont que l'itinéraire 310, qui avait la réputation de ne pas être très balisé, et m'a laissé plus ou moins au carrefour avec ce dernier. Il ne me restait plus qu'à descendre seul sur Monte Trigo, le village le plus à l'ouest (au sens géographique) de l'Afrique, complètement autonome au niveau de l'énergie grâce au photovoltaïque, qui possède également sa propre équipe de foot, où il n'y aucune route qui arrive (mais on peut envoyer des textos car le téléphone passe...)... Puis de poursuivre par le beau chemin côtier vers Tarrafal de Monte Trigo, avec pendant longtemps la silhouette du volcan qui me dominait.
Photo 18: Le Tope de Coroa, vue du chemin du littoral. Je ne sais pas pourquoi. Je n'ai pas pensé à faire de panoramiques car l'océan est à gauche. Des fois, on est un peu quiche...
Beaucoup de commentaires mentionnent cette bourgade comme un bout du monde. Et même s'il faut trois heures de route pour venir de Porto Novo, dont la dernière sur une piste un peu difficile, je n'ai pas eu tout à fait cette impression, sans que ce soit négatif. Il y avait des touristes, des logements, et les fêtes de Pâques se préparaient et on y annonçait beaucoup, beaucoup de monde. Et vu le bruit de la sono jusqu'à six heures du mat le deuxième jour, je veux bien le croire. Même avec les boules quies, je n'ai pas trop dormi. Mais j'étais bien à l'hôtel, avec une petite piscine. Mitoyen, une petite épicerie, avec la façade d'un joli vert foncé bien propre, avec en permanence des entrées et sorties de ... sirènes, et puis au dessus un restaurant où les poulpes étaient proprement fantastiques. Ils y attendaient ce soir-là une trentaine de motards... La plage de sable noir y est belle, c'est peut-être la seule vraiment accessible de l'île, là à Tarrafal, qui ressemblerait presque à un oasis. Les groupes attendus pour les festivités étaient ceux qui jouent notamment au célèbre restaurant de Mindelo, Le Goût (le nom est en français) sur l'île de Sao Vicente. Mais sans être le bout du monde, c'est quand même compliqué aujourd'hui à l'heure du tourisme de masse et d'internet, cela n'enlève absolument rien à l'intérêt du lieu. Ici, aussi c'est beau. Et ça le fut d'autant plus qu'après être arrivé le mercredi soir, j'ai à nouveau le jeudi fait en sens inverse le chemin jusqu'à monte Trigo, avec A. que j'avais croisé à la Casa de Igreja et que j'ai retrouvé avec grand plaisir ici. Et puis sur cet ultime chemin, trois baleines, et leurs petits, longeaient le littoral et nous ont accompagné sur une bonne partie. On nous a dit que c'était tout de même exceptionnel. Nous sommes revenus avec les pêcheurs dans leur barque (4000 pesos et cela sert également de ferry gratuit aux habitants) après avoir mangé un plat de poisson à l'unique restaurant. J'indique souvent les prix mais l'impression reste que les cap-verdiens étaient plutôt honnêtes car on n'a pas l'impression qu'ils cherchent absolument à vous soutirer le maximum qu'ils peuvent. Les prix, raisonnables, sont indiqués sans négociation.

Alors voilà, pour une traversée fantastique.
Et pour jouer les prolongations, à Mindelo, on peut s'installer près des fenêtres au restaurant Le Goût, sur le boulevard maritime, devant la baie, et avec un verre de grog Mel, regarder à l'heure du coucher de soleil (un petit peu avant peut-être), la magnifique vue sur Santo Antao, une dernière fois. Le soleil disparait aux environs de Tarrafal... Ce fut la dernière belle surprise. On peut donc écouter Sara Tavares... ou Neuza ou encore Mayra Andrade
Photo 19 : Une dernière vue sur le Tope de Coroa, au matin depuis l'aluguer qui amènent les gens au bateau à Porto Novo. On distingue le petit cône à gauche.


10 commentaires:

  1. Bravo, super trek, merci pour les infos.

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  2. Salut,
    Merci pour ton récit et les photos.
    Au niveau de l'hébergement tu as trouvé tous les soirs où dormir dans chacun des village, tout ça sans reservation ? Pas besoin de prendre la tente et tout ce qui va avec donc ?
    Merci pour l'info
    François

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    1. Bonjour,
      Je réponds avec un peu de retard, excusez moi. Je m'étais renseigné avant pour l'hébergement mais en effet je n'avais fait aucune réservation. Je ne veux pas rentrer dans cette logique. Pas de tente, pas d'équipement de camping.

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  3. Merci pour ce récit passionnant. Nous envisageons une randonnée dans cette région fin novembre, début décembre mais il nous manque certaines infos. Avons-nous besoin, par exemple, d'un guide à partir de Martiene pour rejoindre la Casa Luciano? Où se situe exactement la Casa Luciano? Est-il facile de trouver un guide qui puisse nous conduire vers Pascoal Alves par le chemin 310 afin de rejoindre Monte Trigo ? Merci pour vos réponses. Mon courriel : beulier@gmx.fr

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  4. Merci pour votre commentaire... Casa Luciano se trouve entre Martiene et Tampa Caminho à côté de Morrin d'Égua, au bout de la piste qui vient de Tampa Caminho, pas loin d'une église, si mes souvenirs sont bons. À mon avis ce sera facile de trouver un guide pour vous mener à Pascoal Alves. Il suffit de demander au patron de Casa Luciano. C'est son frère qui m'a servi de guide. Par contre entre Martiene et Casa Luciano, je ne sais pas car je ne connais pas. Mais le chemin devrait ne pas être trop difficile à trouver. En tout cas bon voyage!

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  5. Bonjour,
    Merci pour ce super résumer, ça donne envie!!
    Pouvez-vous nous assurer que sur cette randonnée, nous trouverons des logements (gites, refuges, hôtel,...), tous les soirs ? Pouvez-vous nous donner vos adresses ? Faut-il réserver ?

    Merci pour vos réponses. Mon courriel : ronan.meneux@gmail.com

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    1. Bonsoir, merci pour votre commentaire. Pour être honnête, et car je ne suis pas un guide, je ne peux rien vous assurer! C'était il y a deux ans. J'ai trouvé les logements sur l'itinéraire que j'avais fait et inversement, j'avais un peu construit mon itinéraire aussi en fonction des logements. Sur le reste de l'île je ne sais pas. J'avais trouvé le gîte d'Espongueiro sur le guide le Petit futé, ainsi que le Lodge à Cha de Igreja où la patronne est vraiment quelqu'un d'intéressant et agréable. À Ponta do Sol et Tarrafal il y avait plein de solutions de logements et je ne pense pas que cela a changé. Pour la Casa Luciano, je ne sais pas mais j'espère que ça existe toujours car j'ai vraiment aimé (en fait j'ai tout aimé ...) et pour Alto Mira, vu le bâtiment... j'imagine que ça existe toujours. Mais dans tous les cas, vous ferez un beau voyage!

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  6. Bonjour, j'ai réalisé le même itinéraire que vous en novembre 2018 (quasiment au km prêt).
    Je me suis grandement inspiré de vote blog. Je tiens à vous remercier pour toutes les informations (itinéraires et gîtes)
    Vraiment un super trek, avec des itinéraires à couper le souffle et des gites toujours accueillants.
    Bonne continuation à vous.
    Clément

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    1. Bonjour Clément.
      Merci beaucoup pour votre commentaire. J'avoue que ça fait plaisir. Je garde un tellement beau souvenir de ce voyage...
      Bonne continuation à vous aussi
      Eric

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