dimanche 28 août 2022

Une traversée à pied intégrale de l'île de la Réunion, de l'hôtel central (...) de Saint-Denis au Cap méchant...

     C'était annoncé dès l'arrivée à l'aéroport Roland Garros de Saint-Denis, au petit matin avec la grande publicité dans la salle de récupération des bagages Bienvenue Zot tout', Bourbon la bière réunionnaise. À regarder mon profil (surtout au niveau de l'abdomen) à l'issue de ce merveilleux périple, personne ne croira qu'il s'agissait de parcourir environ 160 kilomètres et plus de 9000 mètres de dénivellation, le long d'un sentier, GR R2, réputé exigeant, de gravir quelques sommets au passage et de parcourir des sentiers souvent bien raides, qui montent et qui descendent, tels des escaliers, ou parfois ou souvent remplis de boue ou d'eau (boueuse...) car même pendant l'hiver austral il peut pleuvoir (et bien, d'ailleurs cette fois-ci...). Donc dans le sens que l'on voudra, marche et gastronomie (...) nous conduiront... Ceci dit, on peut relativiser quelque peu car tout cela en douze jours de marche peut paraître abordable surtout sur des chemins bien balisés avec les nuits en gîtes... Alors voilà, même si j'ai trouvé les chemins raides, parfois bien raides, je n'ai pas perdu un gramme... 

Photo 1 : La montagne réunionnaise ne vous prend pas au dépourvu. Tout est annoncé...

    Franchement je voulais vraiment partir du centre de la ville, et même du fameux Barachois que je suis allé revisiter la veille du départ, histoire de partir réellement des rives de l'océan Indien et de ne pas laisser de côté la ville comme si marcher n'était obligatoirement que dans la nature. L'hôtel comme son nom l'indique était vraiment central, à deux pas de la cathédrale où on peut aller boire un rhum arrangé dès le premier soir (histoire de se mettre dans l'ambiance), des sites d'intérêt historique (et Saint-Denis n'en est vraiment pas dépourvue) et des librairies que j'ai gardé pour le retour mais que je suis allé tout de même visiter le frein à main bien serré. Mais débuter la marche en sortant de l'hôtel, en remontant la rue de Paris après le monument aux morts de la Première Guerre mondiale, admirer ces vieilles maisons créoles qui s'alignent avec leurs jardins, passer devant le musée Léon Dierx (à vraiment visiter au retour pour notamment les tableaux représentants les Hauts de l'île) puis le jardin de l'État (aussi et aussi son muséum d'histoire naturelle), enfin par la si joliment nommée Rue des Manguiers, aller récupérer le début du sentier officiel dans le quartier plus périphérique de la Providence, au bout de l'Allée de la Forêt, me paraissait obligatoire et grisant. Cela permet de plus de se mettre en jambe avant le début des "hostilités". Parce qu'en fait surtout je voulais visiter la Réunion et les Hauts de celle-ci à pied...

Photo 2 : La maison de Boisvilliers a été transformée en hôtel et restaurant et est devenue la villa Angélique au 39 de la rue de Paris. Elle a été construite à la toute fin du 19ème siècle mais les transformations opérées par les divers propriétaires en font une synthèse des styles créoles.

Photo 3 : En montant vers Le Brulé, vue sur Saint-Denis. D'ici on ne peut voir le nouveau télécabine urbain qui part du marché du Chaudron vers les Hauts de la ville...

   Effectivement ça monte directement à partir de là et de manière continue jusqu'au premier refuge celui de Roche écrite situé à environ 1800 mètres d'altitude et posé à la limite supérieure de la magnifique forêt de tamarins, peu avant le sommet de Roche écrite (2276m) qui sera aussi le premier belvédère gravi dès l'aube du lendemain. À mi-parcours, dans la brume, on fera étape au Brûlé, village de la commune de Saint-Denis à 1100 mètres, avec son épicerie, son église, son arrêt de bus. On sera alors un peu sorti de la forêt, on aura aperçu Saint-Denis en contrebas, on se dira alors pff que c'est long et on enchaînera alors vers le gîte du soir. Il m'a semblé que celui-ci était annoncé à 7 heures de marche et puis finalement, dans la fraîcheur, tout de même, on sera content à l'idée de s'envoyer le premier repas du soir, qui s'avèrera être un cari poulet super bon. Parce que là, il s'agirait aussi d'être honnête une bonne fois pour toutes : on vient aussi à la Réunion pour manger. C'est ce que j'ai fait. J'étais d'autant plus de bonne humeur qu'en lisant les pancartes de l'ONF, j'ai appris l'existence des fameux Tuit-tuit, espèce de petits oiseaux forestiers endémiques de la Réunion malheureusement en voie de disparition, qui mange des chenilles, d'où son autre nom l'échenilleur de la Réunion. Il n'en resterait que 35 couples dans la forêt de la Roche Écrite mais la population progresserait à nouveau après une intense campagne de dératisation, les rats étant le principal prédateur. J'avais pourtant la sensation d'en voir partout, et notamment le dernier sur un banc à côté de la table devant l'entrée du refuge, et j'avais même l'impression que ce petit Tuit-Tuit me souriait... J'ai débuté alors ce soir-là un rituel qui allait m'accompagner pratiquement tous les soirs tout au long de ce périple : j'ai commencé, après avoir pris deux fois de la soupe, à me servir une bonne ration de cari poulet, super bon, cuit au feux de bois de la cuisine du refuge, et tout en discutant avec d'autres randonneurs, dont certains entamaient comme moi la traversée (et que je retrouverai par la suite avec plaisir), je me suis resservi une deuxième fois. Et puis en fait, sachant que le lendemain dès l'aube, nous allions faire l'ascension du fameux sommet de Roche écrite, je me suis dit qu'une troisième portion ne me ferait pas de mal, que de toute façon je l'éliminerai... mais bon le plat était désormais vide. Je n'étais pas seul...

Photo 4 : Une fougère arborescente parmi tant d'autres, en montant au refuge de la Roche écrite.

Photo 5: Le refuge de la Roche écrite...

    C'est que le matin du deuxième jour, à la frontale, sous un ciel étoilé qui avait effacé la brume de la veille, nous avons pu observer le lever du soleil, rosé puis oranger, mais également qu'il avait un peu gelé pendant la nuit là-haut. Le panorama sur le cirque de Salazie et la mare à Martin en contrebas, celui de Mafate et leurs parois quasi verticales et vertigineuses ainsi que le Piton des neiges, point culminant de l'île à 3071m plus loin, qui contrastaient avec la montée sur un terrain peu abrupt à travers la plaine des Chicots, au sortir de la forêt de tamarins, était spectaculaire et le lieu connu pour cela puisque plusieurs tentes de campeurs coloraient la place. La descente, vers le refuge pour prendre le petit déjeuner ainsi que la suite vers le gros village de Dos d'Âne plus à l'ouest est restée dans cette ambiance car l'itinéraire après le refuge (et les confitures de mangue, ananas au petit déjeuner), suit pendant plus de trois heures la crête nord vertigineuse du cirque de Mafate, souvent sur le fil, dans la végétation touffue, en profil de montagne russe. Après un dernier belvédère à la Roche de Verre bouteille, où un banc n'attend que vous (enfin pas que vous), il débouche sur le plateau de Dos d'Âne après une succession de panoramas pour le moins époustouflants, dont la vue plonge directement dans le cirque pour remonter en face sur le versant opposé qui forme réellement comme un rempart écrasant de part sa hauteur et qui parait infranchissable. En face sur l'autre versant du cirque de Mafate, dans sa partie aval, alors que la rivière des Galets se faufile dans un étroit goulet enserré de ces parois vertigineuses, on peut suivre la trace du sentier qui accompagne la canalisation des orangers le long des courbes de dénivellation vers les 750 mètres d'altitude en plein milieu de la paroi. De cet endroit-là, la vue sur l'entrée de Mafate doit être extraordinaire. Au delà de la pointe de Galets, vers l'aval encore, vers l'ouest, c'est l'océan indien que l'on aperçoit avec parfois des bateaux dont on a l'impression qu'ils flottent quelque part dans l'espace. Bien content d'arriver car il commençait à faire chaud, on sera accueilli au gîte Paule et Jo en ce dimanche par toute la famille qui vient rendre visite aux jeunes et agréables propriétaires qui nous auront préparé un excellent rougail saucisse pour le soir et les citrons de la tarte (aux citrons...) provenaient de leur jardin. Je repense aussi à cet homme rencontré au débouché du sentier sur la route en tenue de traileur créole qui discutant avec nous de ses entraînements, de ses participations multiples à la Diagonale des fous, et de sa vision de la vie, tout simplement, nous montre comment la course en montagne lui a servi de rédemption après un grave accident de moto et à ses dires un usage un peu immodéré des boisons alcoolisées. Ces multiples cicatrices et notamment celle, large, et d'au moins dix centimètres, au genou ne cessent de m'impressionner... Je constate aussi, bien content, après ces premières journées que la pratique de la montagne n'est pas qu'une affaire de z'oreilles.

Photo 6 : Au sommet de la Roche Écrite. Vue sur à gauche le cirque de Salazie, à droite Mafate. Au fond, le plus haut c'est le Piton des Neiges (3071m) et le Gros Morne (3019) et à droite le Grand Benare (2898m)

Photo 7: Vue depuis la ligne de crête qui descend vers Dos d'Âne sur le cirque de Mafate (le piton des Neiges est tout au fond...). La crête de Marianne est à gauche et celle d'Aurère à droite. L'îlet d'Aurère se trouve au milieu...

    Alors le troisième jour peut-être le grand jour car c'est celui qui vous voit entrer dans le fameux cirque de Mafate dont j'ai fait le choix de visiter en prenant le temps ce qui me conduit au fond à faire des petites étapes, en tout cas au début. Effectivement jusqu'à Aurère où je dois me rendre le soir, il est annoncé environ 5 heures. On doit d'abord descendre au fond du ravin de la rivière des Galets par un sentier pas si simple car de temps en temps, il faut se fader une remontée abrupte. Les sentiers sont tracés dans des endroits parfois improbables à cause du relief dont il faut épouser les formes pour arriver à bon port. Une piste remonte ensuite jusqu'à l'embranchement de Deux Bras tout en suivant la rivière qui forment de temps en temps des petits bassins avant finalement de se ressaisir pour attaquer une montée quelque peu brutale de presque deux heures vers le hameau placé sur un des îlets importants du cirque. Les panneaux de l'ONF nous indiquent bien les dangers potentiels auxquels on peut être confrontés, ici le débit des rivières suites aux cyclones, même si ce n'est pas la saison. Les îlets à la Réunion sont des petits plateaux ou plate-formes isolés par des ravines qui en ont fait d'un accès difficile. La toponymie en a élevé un grand nombre qui servent souvent à donner un nom aux villages ou hameaux. Ici celui d'Aurère, dont le nom semble venir d'un dialecte mozambicain d'un esclave marron, c'est à dire fugitif, capturé ici au début du 18ème siècle et signifiant bon, bien en raison de la qualité des sols. Voilà on y est au coeur de Mafate, dont le nom serait peut-être à rapprocher de l'adjectif mahafaty qui en malgache signifie "mortifère, dangereux, qui tue... " et qui pourrait s'appliquer directement à la dangerosité des lieux et notamment à l'époque des noirs marrons qui venaient s'y réfugier au 18ème siècle notamment. La tradition littéraire du 19ème siècle a popularisé le nom d'un des chefs marrons, Mafate, sorcier qui aurait habité près de sources thermales, plus tard devenues station thermale, au fond de la vallée de la rivière à galets, identifié sous le nom de Ran mafac ("eaux puantes"). D'ailleurs il faut attendre la fin du 19ème siècle pour voir apparaître sur une carte le nom de cirque de Mafate, auparavant c'était cirque de la rivière des Galets, voire cirque d'Aurère. On peut lire d'ailleurs pour se plonger dans l'ambiance des chasseurs de noirs marrons le très intéressant roman, devenu un classique, Chasseur de noirs de Daniel Vaxelaire qui décrit bien ce monde à part dans lequel les esclaves tentaient de fuir et de se protéger de l'esclavagisme du littoral. Et il faut reconnaître que l'accès au cirque nous a permis de garder le suspens assez longtemps pour arriver après une ultime raide et longue montée au milieu des pitons saillants sur ce plateau habité avec son école, ses habitations et ses nombreux gîtes. Alors ne vous attendez pas à y être seuls, mais les petits jardinets et certaines habitations coquettes, avec les rues sentiers, ça fait son effet. Ce soir-là je dormirai en tente à la ferme La bonne terre car tous les gîtes étaient complets. Mais ce jour-là, encore, la grâce semblait même au plus haut point, notamment dans la descente initiale d'où la vue sur les vallées qui descendaient du cirque, en face, et se rejoignaient à Deux Bras coupaient de manière tranchante les pitons qui s'élevaient d'entre les murailles. Le ciel était un peu nuageux ce qui permettait de nuancer les jeux de lumières. Le soir, après quelques pages de lecture d'un bouquin d'Hector Abad, L'oubli que nous serons, je me prépare enfin à un élément qui rythme mes journées, le repas du soir... Celui-ci était encore excellent avec deux caris au menu, cari boucané (poitrine fumée) et cari poulet, avec une salade verte pays (c'est à dire local) comme le poulet d'ailleurs (élevé par les propriétaires) ce qui lui donne une saveur particulièrement ferme et bonne, me rappelant ceux d'Haïti. J'ai aimé entendre parler le patron du lieu avec son accent créole (ou parfois français teinté de mots ou expressions créoles) qui disait qu'il recevait toujours les visiteurs qui n'avaient pas réservé et qui arrivaient tard même pour manger. Qu'il y avait toujours quelque chose pour eux, alors que les gîtes ne vont pas au-delà de leur capacité. Ça m'a fait plaisir de l'écouter. Je vois ces familles, autour de la grande table de la salle à manger qui viennent passer une nuit ici depuis le littoral peuplé, les adultes faisant découvrir aux plus petits, je vois aussi ces trois jeunes en groupe venus aussi pour une nuit et se délecter du repas avant de redescendre. Tous sont de la Réunion et aiment leur île, ça se voit et on les comprend. Quand on pense qu'il n'y avait plus qu'un habitant permanent ici sur cet îlet dans les années 60, le garde forestier de l'ONF contre 90 environ aujourd'hui. Je me disais enfin que je mettrai la carte de la Réunion dans ma salle de cours. Il est évident que le tourisme permet de bien mieux vivre et de rester vivre surtout sur place. Toute la famille était affairée pour préparer le repas. 

Photo 8 : En redescendant vers le fond de la rivière des galets, Deux Bras est tout en bas... Au milieu, on retrouve le piton Cabris (1441m) sur la crête d'Aurère. L'îlet d'Aurère se trouve juste derrière.

Photo 9 : Sur les sentiers du centre du bourg d'Aurère, en route pour le camping... 

Photo 10: Cari boucané, le poulet n'est pas loin...

    On est alors au coeur du cirque et l'habitude à ne plus voir de route, à se sentir isolé est plus présente. Finalement on trouve cela normal et on finit par s'y habituer. Poursuivant le chemin vers Grand Place Les Hauts pour une petite étape d'à peine quatre heures de marche en prenant le temps de s'arrêter là où on se trouve bien, même si je ne savais pas encore vraiment où j'allais dormir car au moment de faire les réservations depuis la métropole tout était complet. En discutant hier soir à table, on m'a indiqué un camping. De toute façon, je porte tout l'équipement et les lieux de bivouac sont innombrables, sans qu'on en fasse la liste (c'est à vous à les trouver). On franchit donc des ravines, remontant sur les versants d'en face, traversant d'autres petits îlets... Croisant d'autres badauds multicolores, on discute... On s'arrête ainsi à l'îlet voisin Îlet à bourse, entre l'aire d'atterrissage des hélicoptères et l'école qui domine d'un peu le terrain de foot. À droite se trouve la petite case blanche en bois aux encadrements de fenêtre bleu turquoise de la protection maternelle et infantile que des médecins et autres professionnels de la santé viennent visiter selon un calendrier affiché. Deux tables de pique nique sont installées là, un robinet d'eau et le gîte Chez Johnny, juste à côté. L'ensemble est calme et paisible si ce n'est le bruit des hélicos. Une pancarte indique 890 mètres d'altitude. Sur la partie droite de la façade de l'école est peinte une jolie fresque avec les couleurs de la montagne et je ne peux m'empêcher de penser au film colombien éponyme Los colores de la montaña, sauf qu'ici c'est la paix et aucun risque de se faire assassiner par les milices paramilitaires. Il existe huit écoles dans le cirque avec des classes uniques. Ensuite, pour le collège, les élèves doivent aller sur la plaine littorale, à Saint-Paul ou La Possession, dans des familles d'accueil. Deux orangers le long du chemin, sans plus bouger, presque... On arrive finalement vite à la nuit... Des moments de grâce comme cela parfois... Après avoir mangé n'importe quoi ce soir, ce que j'avais dans le sac et acheté plus tôt dans la journée, car je n'ai pas cherché de gîte où j'aurais pu m'attabler, je me suis envoyé un petit paquet de chips, de la Vache qui Rit, le reste de mon saucisson El Pozo et des BN à la vanille, accompagné de quelques fruits secs... Mais là, je suis propre, changé et reposé et je regarde un peu béa la montagne autour éclairée par la pleine lune en écoutant du maloya (me semble-t-il) que le voisin un peu éloigné met à plein tubes, mais que j'entends et j'écoute atténué avec un vrai plaisir. Les insectes crissent, le vent s'est calmé. Je suis seul sur le terrain de camping Bellevue qui porte si bien son nom. Il n'y a pas beaucoup d'ombres mais les terrasses sont plates avec du gazon et un très bel oranger et ses dizaines d'oranges suspendues. De toute façon, en cet hiver austral, il fait nuit tôt, 18h15 tout au plus. Les nuages ne semblent pas vouloir dépasser la ligne de crête à l'est et l'amical patron du camping s'affaire quelque peu au dessus dans sa case pour le repas avec le reste de sa petite famille et donne de la vie. C'est quand même très étonnant ce cirque de Mafate, éloigné des routes goudronnées et pourtant si bien intégré aux circuits du tourisme. Cela permet de garder la montagne bien vivante comme ici encore avec sa multitude de gîtes. Tous les îlets semblent habités, avec leur zone d'atterrissage d'hélicoptères, leurs tuyaux interminables qui captent les multiples sources pour alimenter ce qui pourrait ressembler à un immense jardin suspendu. Le temps semble parfois suspendu lui aussi, et lorsque je vois les gens d'ici d'un certain âge, que j'entends la musique, ou que je repense au patron de la boutique Le Pavillon, juste en dessous, où j'irai chercher mon sandwich demain matin en partant, probablement descendant des ti-blanc qui ont commencé à coloniser les Hauts de Mafate après la fin de l'esclavagisme (1848) derrière son comptoir et sa vitre anti-covid, je ne peux m'empêcher de penser encore à Haïti. Tout le réseau de sentier, balisé pour la plupart, ou pas, renforce nettement cette impression. En redescendant tout à l'heure, au hameau de Cayenne, plus bas à quarante minutes de marche, en fin d'après-midi, les cases, certaines colorées, mais pas toutes super entretenues m'ont rappelé les ballades dans les mornes antillais, même ici on n'est vraiment pas aux Antilles. On a beau avoir regardé très sérieusement nos magnifiques et efficaces cartes topographiques pour préparer le parcours, la réalité l'emporte tellement en beauté sur l'imagination. Les miennes, anciennes des années 90, car datant de mon premier voyage, indiquent clairement un espace beaucoup moins boisé qu'il ne l'est aujourd'hui. On se croirait au bout du monde mais y est-on réellement? Le bal des hélicoptères et la couverture 3G de tous les lieux feraient penser le contraire. Dans le livre musical pour enfants, Dans les Hauts à la la si jolie couverture de Moniri M'Bae, chez Zebulo éditions, six images et six sons accompagnent les plus petits dans une ballade sonore à travers la montagne. Avec la nuit, les belliers, la pluie sur la tôle, le boeuf moka et le volcan, on trouvera aussi l'hélicoptère.

Photo 11: Depuis la case du patron du camping Bellevue, au coucher de soleil.

    Sur le versant opposé se trouve l'itinéraire qui passant par l'îlet de Lataniers puis celui des Orangers permet d'arriver à Roche Plate. Avant de prendre cette direction, j'avais au préalable vérifié sur le site internet de l'ONF (mais il y en a d'autres) l'état des sentiers pour savoir si celui-ci était bien ouvert. La vue qu'il faut aller chercher depuis la piste d'atterrissage des hélicos de l'Îlet des Lataniers sur celui de Cayenne et son immense versant encaissé était absolument magnifique. Le sentier ne nous y oblige pas car après être complètement descendu au fond de la vallée de la rivière des Galets, il faut remonter de manière aussi abrupte... On domine donc la vallée mais ce qui apparait tout aussi impressionnant est qu'on est à notre tour dominé par les remparts écrasants du Piton Maïdo haut de 2190 mètres d'altitude. On se demande d'ailleurs alors ce qu'il peut y avoir derrière, des titans... une autre vallée merveilleuse... Entre l'îlet des Lataniers et celui des Orangers, 400 mètres plus haut, le sentier nous emmène dans des gorges étroites tout en gardant une pente soutenue, passant à l'embranchement du sentier de la canalisation des orangers. On sera tenté de s'arrêter dans un bar-épicerie un long moment car dans la montée deux jeunes gazelles vous ont quelque peu laissé sur place avec votre gros sac. J'ai d'abord pris juste un soda citron frais et deux conneries à grignoter. Je n'avais pas forcément l'intention de rester là longtemps et puis finalement un hélicoptère a commencé à faire des rotations. La discussion s'est engagée avec des locaux qui travaillaient là et un qui habitait même juste à côté. Ils buvaient des dodos. Il faisait bon et la vue sur les parois ne cessaient de m'impressionner car je me demandais bien comment des gens avaient pu venir habiter jusque là sur des bouts de crêtes aussi haut et à l'écart. Et puis la copine du gars qui nous servait est arrivée pour le remplacer, alors qu'elle faisait des aller-retours dans le gîte auquel le bar-épicerie appartenait et que ce dernier dominait. Elle était sportive, bavarde et créole. Elle paraissait d'autant plus intéressante que juste à côté, avant, étaient assis deux gars qui parlaient de voyages en regardant le panorama, le Japon, l'Alaska, l'Amérique latine...  

- Ça doit être sympa l'Amérique latine! [Oui (t'as raison), ça doit être sympa l’Amérique latine...]

À côté du bar, depuis la terrasse, en contrebas, deux cabris qui grignotaient, étaient attachés. Un des deux a fini par s'étouffer enroulé dans la corde qui devait l'empêcher de s'enfuir et est mort comme ça, presque devant nous, sans qu'on s'aperçoive de rien. Un des jeunes au bar est allé alors chercher sa mère qui est sortie de la maison d'à côté, d'où provenait également une musique plus ou moins ragga fort entraînante, hyper énergique, en engueulant même son fils en créole, se plaignant d'avoir ainsi perdu plusieurs centaines d'euros et lui rigolant plus ou moins. Quand elle est sortie avec sa tenue d'une autre époque et d'un autre milieu socio-économique, marqueur de pauvreté, j'ai eu l'impression de voir surgir une haïtienne des mornes. J'en ai été troublé... La pause a bien dû durer une heure et finalement, j'ai fait comme le jeune couple de randonneur qui fait le même itinéraire que moi depuis le début, et je me suis donc envoyé un sandwich au bouchon sauce pimentée. Le très bel album photographique de Jean Philippe Vivre à Mafate lontan, Hors du temps au coeur de la Réunion, à partir de clichés des années 80 pour la grande majorité révèle bien combien la vie a changé depuis cette période, une période pas si lointaine de ça où la grande pauvreté semblait de mise dans le cirque. Un cliché de l'Îlet aux Orangers en particulier montre l'urbanisation de cet endroit. Il a bien fallu quitter ce lieu particulier pour rejoindre le but de l'étape du jour. En partant de là, le temps s'est couvert un peu plus, quelques gouttes, et mon tee-shirt à manche longue s'était trempé et puait (pas nouveau...). La montée a alors commencé par... une descente abrupte dans la ravine avant de gravir la vallée de l'autre côté par un sentier qui a bel et bien finit par ressembler jusqu'au col à un escalier que trois employés s'amusaient à débroussailler. Je me demandais bien pour qui ils pouvaient bien travailler, quel était leur employeur, probablement l'ONF qui est un puissant acteur dans le cirque. Le passage du petit col, à près de 1300 mètres d'altitude est un moment particulier car la vue s'ouvre sur toute la partie supérieure du cirque et le sentier se poursuit sur une portion d'une cinquantaine de mètres sur laquelle il nous est interdit de s'arrêter à cause des risques permanents d'éboulement, portion qui est complètement bétonnée. L'itinéraire se poursuit alors en pente douce, à travers les dépôts boisés accumulés au pied de la paroi du rempart. On pourra être content à nouveau à l'idée de dormir en gîte (chez Merlin) pour le repas et aussi en se disant que la nuit précédente n'avait pas été si calme que cela car tout du long, sur le versant, les chiens avaient aboyé, se répondant dans des dialogues imaginaires et moi j'avais l'impression d'avoir ingurgité une substance bizarre qui transformait chaque aboiement en feu d'artifice. Je ne pouvais même pas dire que je le regrettais, bien consciemment dans la nuit... Les lieux de bivouac potentiels étaient, et seront, au fond assez nombreux mais je n'en avais pas envie.

Photo 12: Depuis la piste d'atterrissage des hélicoptères de l'Îlet des lataniers, vue sur celui de Cayenne et au dessus à gauche celui de Grand Place.

Photo 13: La canalisation des Orangers qui s'en va alimenter les communes hors du cirque alors que pendant longtemps l'Îlet aux orangers a manqué d'eau.

    Le départ de Roche Plate, après sa délicieuse confiture de tomate maison, vers l'îlet le plus élevé, celui de Marla à 1640 mètres d'altitude marque la dernière étape dans la partie supérieure du cirque. L'itinéraire était au fond assez court alors, et parce que je voulais visiter tous les îlets, j'ai pris la direction du plus important et touristique de tous, celui de La Nouvelle pour allonger mon temps de visite avant de revenir sur l'objectif, mais dans l'improvisation. Ce fut une journée assez intense commencée tranquillement car en deux heures de marche on arrive facilement à l'impressionnante cascade de 3 Roches. Constituée d'une dalle presque plate sur laquelle passe la rivière des Galets avant de tomber brusquement dans une sorte de gorge profonde, elle ressemble à un gouffre dont on voit à peine le fond en s'approchant de (trop) près... L'endroit est paisible le matin avant l'afflux des touristes venant de la Nouvelle, quelques tentes de campeurs, et quelques chats à demi-sauvage qui ont élu domicile par ici. Mais ne nous laissons pas griser par ces beaux matous qui restent de redoutables prédateurs et qui déciment la faune locale (demandez aussi au Tuit-Tuit...) et peuvent donc être clairement nuisibles... Sur le chemin de La Nouvelle,  au début un peu raide, mais on commence à s'y habituer, la pluie a commencé à tomber. J'y avais rendez-vous dans un restaurant à côté de l'école avec un couple de randonneurs qui était au gîte la veille et avec qui j'avais fait une partie du chemin le matin. Mais comme je n'ai pas réussi au prime abord à trouver l'emplacement exact de l'école malgré les panneaux indicateurs, dans ce village à l'habitat dispersé, je me suis réfugié dans une boulangerie dans laquelle je me suis résolu à manger un sandwich américain épicé. La serveuse de la boutique du haut de sa douzaine d'années, malicieuse et rigolote, mettait sur un bout de papier les recettes/opérations du moment et m'a donné des explications pour localiser l'école mais je n'ai rien compris. Dans la salle, se trouvaient deux cartes de France qui étaient annotées par tous les touristes français qui y indiquaient leur origine... J'ai finalement remis le poncho et suis allé à la recherche de la fameuse école que j'ai finalement trouvé en demandant à un employé municipal qui passait par là... C'était donc cette belle maison plantée là au milieu du jardin face à l'esplanade devant laquelle je suis passé plusieurs fois. - Elle est jolie... ! Mais pas de restaurant aux alentours. J'ai quand même retrouvé le couple qui venait juste d'arriver à un bar indiqué par l'employé municipal : le Bar des Songes dont les 5 grosses bonbonnes de rhum arrangé posées sur le comptoir étaient simplement une invitation. Une hésitation qui a bien dû me durer deux secondes pour d'abord goûter celui aux fleurs d'hibiscus, forcément très bon, puis l'enchaînement naturel vers celui dont les tranches de curcuma, d'orange et la citronelle, bien que pas assez macéré à mon goût, était absolument délicieux et étonnant. Oui le curcuma... Le couple ayant pris un rougail saucisse, j'en ai pris un aussi... Le temps d'écouter Still loving you et Careless whisper en version reggae... Et voilà... Chacun est parti de son côté et j'ai pris la direction de la forêt des tamarins que je voulais revoir depuis mon premier voyage à la Réunion il y a fort longtemps. La Nouvelle, à 1450 mètres d'altitude, est l'îlet le plus peuplé du cirque et considéré presque comme une capitale, sachant qu'il est relativement accessible car la route qui mène au col des boeufs par le cirque de Salazie est toute proche, à peine deux heures et quelques à la descente me semble-t-il. Voilà comment la toponymie garde le souvenir d'un temps où les humains transportaient et apportaient dans le cirque les marchandises dont ils avaient besoin, même si cela se faisait aussi simplement à dos d'hommes et de femmes. Une sorte de petite piste presque carrossable même appelée chemin charrette part du village et remonte la pente jusqu'à la plaine des tamarins, où notre itinéraire prendra à droite direction Marla. Et puis en fait, avant d'y arriver, et parce que ça me taraudait depuis très longtemps, voyant que j'avais une petite marge avant la tombée de la nuit, j'ai cherché et finalement trouvé l'amorce du chemin qui monte à la mare de Kerval, cette dernière à quasi 1800 mètres d'altitude sous la crête des fameux Trois Salazes. Je ne sais pas si ce sentier était ouvert à la fréquentation car je n'ai pas vérifié, mais il était assez raide et long (quasiment 300 mètres de dénivellation), dans les bois, rempli de plantes qui avaient parfois tendance à recouvrir la sente, cairné mais glissant en ce jour et qui a fini par déboucher sur un vaste plateau, dans le brouillard. Finalement après avoir pas mal maugrée, je me suis retrouvé dans une ambiance auvergnate ou écossaise quasi-surréaliste (bonjour les clichés...) au milieu des vaches qui paissaient là, au fond peut-être à la recherche d'un paysage qui aurait ressemblé à quelque chose d'européen, avec la mare au milieu qui avait des airs de lac de montagne. J'ai finalement pu arriver au gîte à la tombée de la nuit juste avant de passer à table. Les journées ne s'arrêtent jamais avec la fin de la marche. Car l'accueil au gite chez Madame Hoareau a été simple mais au fond chaleureux. Je n'avais pas réservé le repas car je ne savais pas qu'on pouvait y manger mais j'y ai pris mon repas bien sûr. Ce qui m'a notamment touché chez cette dame c'est qu'au fond malgré une certaine réserve ou timidité de prime abord, c'est sa gentillesse qui semblait déborder. Elle m'avait mis dans un dortoir tout seul alors que j'aurais pu atterrir dans un autre déjà en partie rempli. Lorsqu'on feuillette l'album de Jean Philippe Vivre à Mafate lontan (Hors du temps au coeur de la Réunion) déjà évoqué, on fait déjà connaissance avec le personnage qui déjà accueillait les randonneurs de passage dans les années 80. Bien sûr cela a beaucoup changé, et tant d'années après, il est difficile de reconnaitre les lieux. On trouve même des restaurants-bar. À l'époque, j'avais croisé un randonneur belge qui faisait la traversée intégrale et je me rappelle très bien avoir pensé à ce moment là, lorsqu'il m'a dit qu'ils faisaient cette traversée - Mais c'est ça que je veux faire... Ses gîtes ont été modernisés et franchement on y est bien. Les bâtiments sont presque coquets... J'ai retrouvé à table un des couples de randonneurs qui était la veille à Roche plate, un couple d'avocat qui faisait un circuit en se faisant transporter les affaires. Lui, patient, semble t-il plus âgé qu'elle car il avait 74 ans, travaillait encore, mais je dois reconnaître que j'étais assez admiratif, et elle, jolie et super bavarde, qui tout en faisant la remarque que le pain était quand même rassis (ce n'est pas très étonnant...), m'a glissé, amusée qu'elle trouvait son mari plein d'énergie et que, non sans une pointe d'humour, cela faisait 30 ans qu'elle en cherchait un plus âgé! Assis à ma gauche, une jeune médecin et son mari en face, qui faisaient une petite ballade avec leur garçon de moins de 2 ans qu'il portait la plupart du temps mais qui marchait un peu et semblait tout à fait content d'être là avec ses parents! Elle me disait qu'elle était venue très jeune avec ses parents habiter à la Réunion, pour en repartir afin de faire ses études en métropole, en se promettant de revenir y vivre quand elle voudrait des enfants... Ils y étaient... Comme quoi beaucoup de choses sont possibles.

Photo 14: Plus tôt dans la journée, à l'approche de 3 Roches (mais cette cascade n'est pas Trois Roches)...

Photo 15: Dans la plaine des Tamarins. Il fallait ici prendre à droite, hors cadre pour rejoindre Marla.


Photo 16: La fameuse mare de Kelval dans un lieu à l'écart pour lequel on pourra trouver une certain romantisme, même si les vaches selon 

    De bon matin, mais pas trop quand même, car l'étape du jour, telle que je l'ai choisi, ne sera pas très longue pour rejoindre Cilaos et quitter le cirque de Mafate, ce qui marque le franchissement symbolique de la moitié du parcours, sans oublier la très bonne confiture de chouchou du petit déjeuner au gîte. Et surtout ce qui m'a paru évident c'est que, au delà de son inclusion au patrimoine mondial de l'humanité par l'UNESCO ou de son classement dans le parc national de la Réunion et sa zone habitée, l'on quittait un monde. Je n'ai absolument rien reconnu de mon premier voyage et du col de Taïbit à plus de 2000 mètres d'altitude qui ouvre le passage vers le cirque de Cilaos. Une pause et une dernière vue sur le cirque de Mafate permet d'en embrasser tous les 14 kilomètres de sa longueur vers le nord globalement et de se rappeler à quel point l'érosion a formé son relief car vu d'ici le rempart ouest contraste tellement avec le chaos des versants écroulés et révèle que le phénomène gravitaire a joué dans l'écroulement du flanc du volcan (mais dans les autres cirques c'est pareil). À cela on ajoutera l'érosion classique sur des matériaux peu stables ou peu compacts dans un régime climatique soumis notamment aux cyclones et ses fortes pluies, ce qui donne ce relief si compartimenté, si entaillé, si chaotique donc... Le bal des hélicoptères a repris et s'il apparait nécessaire au maintien d'une activité digne dans ces Hauts, qui permette aux gens de rester y vivre, que je n'ai pas trouvé, à aucun moment, qu'on nous assommait sur les prix, je m'interroge tout de même sur le bilan carbone du touriste randonneur de base que je peux être. Même la tournée du facteur ne se fait plus à pied. Le dernier à avoir réaliser ces exploits hebdomadaires, pour une durée de 4 jours et 120 kilomètres sur des chemins escarpés, Angelo Thiburce, aujourd'hui retraité, a été fait Chevalier de l'Ordre national du mérite en 1999. Un livre écrit par son fils retrace sa vie dans les Hauts et une statue du facteur de Mafate a été érigée à Grand Place Les Hauts, mais je n'y suis pas allé. Le tourisme semble être devenu la principale ressource et l'agriculture semble délaissée malgré les projets de développement et de réhabilitation.. Au col du Taïbit, on serait presque submergé par les randonneurs, les traileurs qui s'entraînent (et ils sont nombreux partout) dans la perspective probablement de la fameuse Diagonale des fous qui aura lieu en octobre prochain. Au milieu de tout ça, un créole porte le maillot de l'équipe de rugby du Stade toulousain. Je peux entamer la descente d'une bonne heure pour rejoindre la route qui m'amènera à Cilaos. Le GR se poursuit néanmoins par un autre itinéraire en fond de vallée avant de remonter vers la ville. Mais mes muscles voulaient faire des grandes foulées, se détendre après avoir encaissé des pentes raides pendant une semaine et nous ont emmené, avec le couple rencontré à Roche plate, après une petite visite de l'église de Cilaos, directement dans un restaurant pour manger un très bon canard à la vanille... Cette petite ville thermale, au bout d'une route de 35 kilomètres appelée la route aux 400 virages, constitue un lieu idéal pour faire une pause et j'aurais finalement bien aimé rester un jour de plus avant de passer à la suite. Mais avec le jeu des réservations dans les gîtes, il y a moins de place pour l'imprévu. Pour me consoler, après avoir fait les emplettes d'usage, être allé à la poste pour renvoyer le bouquin terminé et symboliquement la carte topographique utilisée et été accueilli chaleureusement par la patronne de la pension, je suis retourné au restaurant, un autre dans un cadre plus traditionnel en bois dans une vieille bâtisse, très agréable et beau avec au menu un gratin de chouchou et un cabri massala avec riz et lentilles (de Cilaos), arrosé d'un vin blanc de Cilaos puis un rhum arrangé ...puis la chambre de la pension, où le chauffage avait été allumé, m'attendait.

Photo 17: Les gîtes de madame Hoarau à Marla. La mare de Kelval se situe sous le pic en arrière plan. Au matin, du départ vers Cilaos...

Photo 18: Le long de la route vers Cilaos...

Photo 19: Le repas sous la galerie dans un restaurant complet... 

    Car ce matin-là, le lendemain, j'ai vraiment eu du mal à me lever et sortir du lit sachant que je n'avais pas forcément une longue journée devant moi même si j'avais l'intention d'aller dormir au sommet du Piton des Neiges, point culminant de l'île à 3071 mètres d'altitude, même si les températures annoncées étaient négatives. J'aurais adoré me retrouver sous la neige. Finalement, je suis resté au refuge de la caverne Dufour, à 2478 mètres d'altitude, car il pleuvait des cordes depuis le début de la montée et que les prévisions météorologiques n'annonçaient pas de changement et surtout pas de neige et que je n'avais franchement plus l'intention d'aller me cailler et me tremper là-haut. J'ai donc demandé s'il y avait une place qui se désistait et j'ai pu dormir là dans un dortoir, en retrouvant ceux qui avaient pris le wagon de la traversée avec moi, le jeune couple franco-allemand G. et T., et D. le professeur de français belge vivant aux États-Unis qui se promènent avec ses deux fils. L'ambiance était particulière comme si c'était une veille de combat, avant le levé matinal pour aller affronter la bête... Le refuge est donc quasi complet, ce qui n'empêche pas là aussi un accueil chaleureux. Et si je n'y avais pas réservé c'est parce qu'au moment de le faire c'était déjà complet... La montée depuis le parking, endroit appelé le bloc, est quasiment sans répit pour avaler le rempart que constitue de ce côté-ci le côteau de Kervegen avec environ 3 heures de temps... Beaucoup de randonneurs débutent ici le parcours très tôt dans la nuit en faisant l'itinéraire d'un trait.

    Voilà le morceau de bravoure avec l'ascension du sommet que j'avais déjà visité il y a fort longtemps. Le temps, à nouveau, ne sera pas avantageux mais comme je suis là, comme d'autres aussi, on a envie d'y aller et on y va. Après pour les quelques uns qui descendent vers Bourg-Murat, la journée est longue pour avancer... Du sommet, à part un vent violent, de la pluie qui vous rince brutalement et de manière continue et juste la pancarte indiquant le sommet, je ne verrai rien d'autre. À peine si avant l'aube, dans un ciel quelque peu éclairci par le jour naissant, j'aurais pu voir les lumières de la côte du nord-est, celles de Saint-Pierre également au sud, mais aussi la silhouette massive du Piton de la Fournaise où je devrais être dans quelques jours. Cela suffira à mon bonheur, car j'ai tellement eu froid au sommet avec ce vent que je n'y suis resté que quelques secondes, constamment rincé. Un trailer me double juste avant le sommet m'empêchant d'arriver premier (ah mince!) du contingent parti du refuge dans un silence d'avant-match. Clairement en forme, bien aidé de l'ivresse des sommets ainsi qu'un optimisme béat (qui me joue souvent des tours) me laissant espérer imaginer arriver au dessus de la mer de nuage (mais que nini), comme les autres, je me suis fait rincer simplement en bonne due et forme... Après m'avoir salué et demandé si je venais du refuge, il a enchaîné : - Alors tu as mis combien de temps depuis le refuge? (il est complètement obnubilé par le chronomètre...). Il n'y a plus qu'à redescendre vers le refuge et engager la suite vers la vallée. Cette deuxième partie durera environ 6 heures dans un chemin glissant rempli de flaques d'eau, dans lesquelles on marche joyeusement car si on veut les éviter on va mettre la semaine pour arriver, dans une ambiance quasi-solitaire, parfois d'ailleurs en glissant et en se retrouvant sur le cul. Avant d'arriver sur la plaine des cafres et ses joyeux pâturages grillagés, je suis simplement un homme de boue. Mais la vue de ces bovins dans les prés, donnant à cette montagne une ambiance pastorale tropicale, me met en joie d'autant plus que le soleil se pointe. Le nouvel itinéraire du sentier passe plus au sud pour permettre au marcheur d'arriver directement à la ville de Bourg-Murat, juste en face de la cité du volcan, ce qui est une excellente nouveauté, ce qui évite de marcher le long de la route nationale sur plusieurs kilomètres depuis le col de Bellevue, qui marque symboliquement la limite entre les deux volcans qui forment l'île. Et aux Agapanthes, la pension choisie sur booking, en plus d'être quasiment sur l'itinéraire du sentier, l'accueil est encore plus chaleureux et ce n'est pas ici que j'affinerai ma ligne malgré les efforts du jour. On se retrouvera aussi ici, par hasard, avec notre ami belge, pour partager un apéritif à base d'acras de morue et d'un bon choix de rhums arrangés (...), sorte de mise en bouche avant le repas, son gratin de chouchou et son formidable cari au thon...

Photo 20: Histoire simplement de dire que j'y étais au piton...

Photo 21: Un petit air de Normandie...?

    On est donc prêt à rejoindre le volcan du piton de la Fournaise et le gîte de Bellecombe par une portion très intéressante de l'itinéraire qui permet d'approcher la bête, de changer d'ambiance et de s'y préparer. Au sortir de Bourg Murat, la forêt tropicale humide de moyenne altitude laisse rapidement et souvent la place aux pâturages et ses vaches laitières, donnant une ambiance plutôt douce au paysage traversé et ce globalement jusqu'au Nez de boeuf, voire au piton Textor (2184m) et ses pylones de radio télécommunication. Sur la fin, on trouvera également des arbres typiques des forêts de ces latitudes et altitudes comme le Mahot, le Tamarin des Hauts... On aura également traversé une forêt de cryptomérias (Cryptomeria japonica), espèce introduite par l'ONF dans les années 50 mais dont le sous-bois est plutôt pauvre en végétation à cause de l'acidité des sols et du manque de lumière. Sur la ligne de crête qui termine cette portion, des parkings et des zones de pique-nique sont aménagées et si le temps le permet, comme c'était le cas en ce jour, en se retournant on peut admirer le Piton des neiges qui se dégageait nettement au dessus des quelques nuages, ce qui était encourageant. Ça l'était d'autant que je n'avais pas pu réserver là aussi le gîte et que je devais attendre 15 heures pour appeler et demander si une place se libèrerait, étant donné que la météo pour le lendemain s'annonçait mauvaise sinon exécrable, et que je n'avais une place réservée que pour le lendemain soir... Dans ces conditions-là, je n'avais pas du tout envie de planter la tente même si je savais d'avance que j'allais me faire rincer pendant la journée consacrée à la visite et l'ascension du volcan... La place s'est libérée, ce en quoi j'avais plutôt confiance puisque R., un randonneur parti comme moi pour la traversée le premier jour, et ayant un jour d'avance et donc déjà au gîte, m'a informé par texto le matin qu'il y avait des annulations...  À partir du piton Textor (et même un peu avant), et bien que dans un premier temps, à travers la plaine des remparts, le sentier coupe la piste carrossable du volcan, le paysage semble devenir plus lunaire, plus sec, avec beaucoup moins de végétation même si celle-ci reste buissonneuse. Avec le passage par l'oratoire Sainte-Thérèse, le sentier commence la descente du rempart de la vieille caldeira et marque l'entrée dans la plaine des sables qui apparait dans toute sa largeur et sa splendeur avec ses quelques petits cratères. Ce qui accentue cette beauté sauvage est le contraste qu'elle oppose avec le Fond de la Rivière de l'Est, beaucoup plus verdoyant au nord. Lui aussi est enserré dans les remparts, quelques centaines de mètres en contrebas, comme un gradin, lui même également au-dessus de la vallée encaissée de la rivière de l'Est qu'on devine plus qu'on ne voit mais qui s'engage vers le littoral par un ressaut que l'on devine impressionnant, le Rond des cascades, dans lequel le vide semble nous attirer. Si alors un arc en ciel vient traverser la zone et qu'en regardant également vers le sud-est, le sommet et le cratère principal du Piton de la Fournaise dépassent du rempart de Bellecombe, se dégageant des quelques nuages restants, et qu'en plus, vous venez d'apprendre que c'est bon il y a une place qui vous attend, alors vous n'avez plus qu'à traverser cette plaine des Sables avec une légère émotion, du bonheur simplement car aussi vous touchez au but...

Photo 22: Sur la fin de la plaine des sables après une belle journée. La route du volcan passe bien au fond sur l'image. À droite, le rempart de Langevin. Le volcan serait sur la gauche ainsi que le gîte.

    Mais comme le dit un proverbe anglais, "Il n'y a pas de bonheur sans nuage ("no joy without annoy")",  pour l'ascension du volcan du piton de la fournaise, et en l'occurence du cratère dolomieu, je vais me faire rincer pendant quatre bonnes heures dans un froid certain, et rentrer trempé au gîte où je passerai l'après-midi à faire sécher mes vêtements pour la dernière journée de la traversée. Le sentier est entièrement balisé par des marques blanches au sol, pour éviter que l'on se perde, qui mèneront donc sur le rebord du cratère Dolomieu, dans une zone clairement délimitée à ne pas dépasser, car les rebords du volcan sont fragilisés à quelque 2530 mètres d'altitude, sachant qu'il ne s'agit pas ici du point culminant du volcan qui est à 2632 mètres. Mais le gîte du volcan s'offre comme un havre de paix avec son repas en abondance et son très bon cari d'espadon, mais également l'ambiance. Si j'ai passé l'après-midi près du poêle à granulé, le soir après le repas, une fois tout le monde couché, j'ai pu profiter du lieu pour moi seul à bouquiner tranquillement. On peut profiter alors de la chaleur du poêle et du silence dans le fauteuil, un peu comme à la maison, à la montagne dans un cadre presque intimiste. À ce moment-là, Mafate et son beau-temps me paraissent bien loin... Le projet de nouveau gîte plus respectueux de l'environnement pour absorber la fréquentation croissante et importante (environ 350 000 personnes par an), financé à hauteur de quasiment 60% par l'Union européenne pour un coût total de 9,3 millions d'euros risque encore de changer l'ambiance dans ce lieu tout de même particulier, que je n'ai pas reconnu depuis mon premier voyage.

Photo 23: Comme pour le petit poucet pour ne pas perdre son chemin, entre deux coulées de lave. Le sentier s'en ira dans les nuages vers le cratère Dolomieu tout en haut à gauche...

    Parce que c'est bien beau de se réchauffer près du poêle, il s'agirait quand même d'achever cette traversée en descendant vers le refuge de Basse Vallée, annoncé à 6h20 de marche,  et de là, terminer au Cap Méchant au bord de l'Océan Indien à une heure trente de plus... Par beau temps, l'itinéraire qui remonte du gîte du volcan pour venir suivre le rebord du rempart de Bellecombe, haut de 200 mètres, et permet une vue probablement magnifique sur le volcan, pour redescendre à partir des Puys Ramond n'offre pas trop de difficultés. Mais au gîte du volcan, on vous émettra un avis consultatif pour entreprendre la descente, que j'ai préféré ne pas entendre. Les fortes pluies peuvent entraîner la montée des eaux et le passage infranchissable de quelques ravines, notamment dans la dernière partie. À ce moment-là, il faut être patient et attendre que le niveau de l'eau redescende. Ça peut prendre des heures. Ce ne fut pas le cas. J'avais imaginé un sentier sur un terrain plus effilé sur la crête or cela ressemblait davantage à un plateau sur lequel passait une piste. J'aurais presque aimé poursuivre sur le bord de cette caldeira jusqu'à l'océan vers l'est de l'île. Mais je devais avoir probablement quelque chose à expier et à laver, car pour la dernière fois, en partant assez tôt le matin, avec un vent à décorner les boeufs qui parfois lors des puissantes rafales, m'empêchait tout simplement d'avancer, je me suis, cette fois-ci en petit short, malgré le froid, fait complètement rincé pendant deux-trois heures...  À partir du moment où l'on passe sous les nuages, que l'on peut voir l'océan, quelque peu agité ce jour-là, on se sent simplement rempli de joie, et on sait à ce moment-là qu'on ira balancer d'un grand geste à la poubelle tous les vêtements usés comme mon coup-vent qui ne coupe plus rien, qu'on ira se trouver un hôtel sur la plage à Saint-Pierre et que de là, on pourra admirer une dernière fois la beauté de la couronne de montagnes qui forment le cirque de Cilaos juste au-dessus, avec le piton des neiges qui coiffe le tout, en se disant combien cette traversée fut fantastique de bout en bout...

Photo 24: On quitte enfin le manteau nuageux et on aperçoit l'océan mais pas les baleines dont on nous a dit qu'elles étaient là au large jusqu'au mois de septembre.

Photo 25: Le fameux Cap Méchant... où quand la coulée de lave rencontre l'océan Indien. On n'ira pas tenter de se baigner mais les pirates y avaient l'habitude de cacher leur butin notamment des barils de rhum.


Récapitulatif des étapes :
1/  Centre historique de Saint-Denis - Refuge de la Roche écrite (1800m). (9 juillet)
2/ Refuge de la Roche écrite - Roche écrite (2277m) retour- Dos d'Âne (1080m)
3/ Dos d'Âne - Deux Bras (250m)- Aurère (920m)
4/ Aurère - Îlet à malheur - Îlet à bourse - Grand Place les Hauts (800m)
5/ Grand Place les Hauts - Îlet des Lataniers - Îlet des Orangers - Roche Plate (1150m)
6/ Roche Plate - La Nouvelle (1450m) - Plaine des Tamarins - Mare de Kelval (1790m) - Marla (1640m)
7/ Marla - Col du Taïbit (2080m) - Cilaos (1220m)
8/ Cilaos - Refuge de la Caverne Dufour (2470m)
9/ Refuge de la Caverne Dufour - Piton des Neiges (3071m) retour - Bourg Murat (1580m)
10/ Bourg Murat - Oratoire Sainte-Thérèse (2410m) - Gîte de Bellecombe (2240m)
11/ Gîte de Bellecombe - Cratère Dolomieu (2530m) retour
12/ Gîte de Bellecombe - Piton de Bert (2274m) - Gîte de Basse-Vallée (620m) - Cap Méchant (3m)







vendredi 19 août 2022

L'étang des Bésines (09) presque à sec...

 


    Mauvaise surprise, odeur de vase... L'étang de retenue des Bésines n'est pas très profond, à peine six ou sept mètres en temps normal. Mais là, il ne reste plus grand chose... 

    Le barrage est cependant venu sur-élever un étang à la réputation très poissonneuse.


Photo1:  Vue depuis le barrage, vers l'amont. Au fond le pic des Bésineilles...


Photo 2 : Près du barrage.

Photo 3 : D'un peu plus près...

Depuis l'Hospitalet près l'Andorre

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mercredi 17 août 2022

Le tour des Aiguilles de Chambeyron (04) dans la haute vallée de l'Ubaye, depuis le Queyras (05)

    C’est chaque année la même histoire, alors que je laisse un peu mes chères Pyrénées pour rejoindre les Alpes. J’ai beau être très attaché aux premières, c’est toujours un choc esthétique que de parcourir les sentiers des secondes dans les Hautes-Alpes et cette fois-ci aussi les Alpes de Haute-Provence. Au départ du refuge de la Basse Rua, à quasi 1800 mètres d'altitude, dans le Guillestrois (05), l’itinéraire ici arpenté, en 4 étapes, nous ramènera dans la vallée voisine de Ceillac dans le Queyras, après avoir fait le tour des aiguilles de Chambeyron, point culminant des Alpes de Haute Provence à 3412 mètres d’altitude, plus au sud, par la haute vallée de l’Ubaye et une petite pirouette dans les vallées italiennes voisines pour y revenir (l'itinéraire est tracé sur la carte IGN adéquate) et passer la dernière nuit finalement à Maljasset.

Photo 1 : Sur le versant italien, le lac dont je ne connais pas le nom (il n'est pas sur la carte IGN) dans la Montagna di Stroppia. Le rocher à droite en cache un autre... Et les sommets de la ligne de crête en arrière plan dépassent les 3000 mètres.

          Maljasset où le chaleureux et très accueillant refuge du CAF, repris cette année par la nouvelle patronne italienne s’est avéré un formidable endroit pour terminer le périple. Et si l’on est sûr d’une chose, c’est que si on a réellement manqué d’eau au long de ce parcours en cette année 2022 de sècheresse exceptionnelle par sa sévérité, on n’a pas manqué la très bonne eau de vie de poire proposée en ce lieu. Ça n’aide certainement pas à la ré-hydratation... Mais réellement on a pu relever la baisse de niveau d’eau importante de nombreux lacs d’altitude (souvent de 4 ou 5 mètres), des sources taries, des torrents ou ruisseaux à sec ou alors passés sous les rochers et inaccessibles. De mon expérience de la montagne, jamais je n’avais connu une telle sècheresse, avec du coup si peu de fleurs (des edelweiss tout de même...) et il a fallu réellement gérer nos ressources en eau au quotidien sur les sentiers. Le seul avantage à cette bizarrerie climatique de moins en moins fréquente, c’est qu’on a pu se baigner dans les nombreux lacs et étangs d’altitude, dans des cadres réellement très beaux.

Photo 2: Dans la soirée, vue imprenable sur les aiguilles de Chambeyron et à droite au fond le Brec de Chambeyron.

        Dès le soir de la première étape, après avoir installé le bivouac, dans le vallon des Houerts, au pied du très beau lac vert (2677m), en contrebas du col des Houerts, 2823m, franchit plus tôt, à l’heure où le soleil se cachait derrière les hauts sommets du pic des Houerts, les mouflons (probablement ceux que nous avions aperçus plus haut plus tôt) ont détaché leur silhouette sur le ressaut morainique qui semblait alors dessiner comme une ligne de crête, hésitant certainement à descendre s’abreuver au ruisseau près duquel nous avions installé nos tentes. Le lendemain matin, alors que le soleil se levait après avoir fait son tour nocturne, une harde s’est mise à remonter le versant à travers les éboulis et sous les couloirs du pic de Panestret. Un des mâles dominants, majestueux, avait déjà donné sens à ce mouvement me surplombant à vingt mètres tout au plus alors que j’étais complètement à poil dans le torrent pour me laver, sans savon, dans l’eau fraîche et revigorante du matin. Ces immenses cornes m’ont fait accélérer le mouvement pour me rhabiller alors que je l’imaginais tentant de m'embrocher après avoir essayé de fuir dans la nature. Les premiers randonneurs remontent aussi le sentier vers le col des Houerts (2817m), certains râlant à voix haute en voyant notre campement en train d’être défait, « Bientôt on montera en camping-car jusqu’ici... » et d’autres nous racontant, des lumières pleins les yeux qu’ils ont vu la harde plus bas au lever du jour, mangeant dans le replat herbeux à côté du torrent près de la cabane des Houerts où ils avaient passé la nuit. Mais pas de troupeaux domestiques dans les parages. La vue depuis notre camp sur la face nord du massif des Aiguilles de Chambeyron était à proprement extraordinaire tant celles-ci, au couchant avec les contrastes de lumière liés au déclin progressif des rayons, nous sont apparues dans toute leur austérité et sauvagerie minérales, affublées de pointes toutes aussi menaçantes les unes que les autres, dans des dégradés de marron, me laissant penser à ces montagnes maudites que les populations montagnardes jusqu’à la fin de l’époque moderne côtoyaient et craignaient sans vraiment y accéder. 

Photo 3: Le fameux lac Vert (de Houerts) sous le col des Houerts. Le lac Bleu est quant à lui à gauche hors cadre.

        Pour arriver au soir du deuxième jour, il a donc fallu poursuivre la descente vers la haute vallée de l’Ubaye que j’ai trouvé beaucoup plus belle et spectaculaire que me l’avait laissé imaginer les lectures des cartes topographiques avec ses immenses forêts de pins sur les versants abrupts… En redescendant vers des lieux plus accueillants passant devant la petite chapelle de Saint Antoine, traversant le pont des gorges du Châtelet large de 27 mètres à peine, qui surplombe l’Ubaye d’une centaine de mètres (108)… depuis lequel la vue sur les derniers hameaux de Saint Paul sur Ubaye est intéressante, on remonte ensuite l’itinéraire du GR5 vers le longiligne hameau d’estive de Fouillouse (cher à l'Abbé Pierre dont la branche paternelle est originaire), ancien chemin stratégique vers la frontière italienne, et donc à ce titre surveillé par l’administration (des douanes notamment...), aujourd’hui lieu de villégiature touristique, et on se prend à programmer une descente vers le sud et la mer pour poursuivre une hypothétique traversée des Alpes. On continuera ensuite la montée par un large chemin facile vers les étangs de Chambeyron après avoir fait une pause méritée au refuge du même nom situé, face au lac Premier, entre le Brec de Chambeyron, considéré du haut de ses 3389 mètres d'altitude comme inaccessible jusqu’en 1878, et les parois des aiguilles précédemment évoquées mais cette fois-ci en version versant sud pas forcément plus accueillant mais dominant le bassin lacustre des nombreux lacs situés par là, et notamment le grand lac (de 11 hectares) des Neuf Couleurs si haut à 2841 mètres d’altitude. C’est vrai qu’on est haut! Tous les cols franchis était à quasi 2700 mètres. La deuxième nuit fut douce, quelques gouttes de pluie sur la tente, c’est tout… L'article wikipedia, bien que les informations n'y soient pas vérifiées par un comité de lecture, rappelle le lien étymologique entre le mot valéian Chambeiroun, désignant des guêtres ou des petites jambières et le toponyme du massif, sachant que ce dernier était un lieu de passage important avec le Piémont italien voisin.

Photo 4: En redescendant dans la vallée, la petite chapelle de Saint Antoine, sur les chemins anciens qui menaient aux cols alpins, a été construite à la fin du 18ème siècle. Son clocher campanile date lui de 1819. Le thème de Saint Antoine de Padoue intercédant auprès de la Vierge pour les âmes du purgatoire, déjà traité à l'intérieur, a été copié en façade en 1811 (depuis déposée et refaite en 1992)

        Troisième journée et morceau de bravoure de ce périple avec le passage côté italien, dans les hautes vallées de Chiappera, par la montagne de Stroppia, car il s’agit bien de contourner cet ensemble austère que constitue le massif des aiguilles de Chambeyron, principalement calcaire, pour arriver à Maljasset, petit hameau très harmonieux et un des plus hauts lieux d’habitat d’Europe à plus de 1900 mètres d’altitude dans la partie supérieure de la vallée de l'Ubaye. On est donc déjà haut alors le col suivant, celui de Gippiera (2948m), est atteint en à peine une petite trentaine de minutes, et comme cela ne me suffit pas car j’aime admirer les panoramas, je me permets de faire, de manière complètement euphorique, l’ascension de la Tête de la Fréma à 3151 mètres d’altitude, de laquelle descend un groupe d’adolescents italiens guillerets qui me met de bonne humeur, enfin qui l’accentue… Ce sera le deuxième des trois petits sommets (tous à plus de 3000 mètres) dont l’ascension sera possible et facile sur ce circuit et qui permettent de nuancer finalement les panoramas sur ces hauteurs, même si à aucun moment je n’ai pu voir le Mont Viso, si haut et tant recherché dans les nuages (les Écrins et Rochebrune l'ont été). Ce passage entre le col de Gippiera et le col de Marinet (2787m) ce dernier à nouveau en territoire français, permet un itinéraire sauvage, moins fréquenté, franchissant des passages aménagés un peu plus vertigineux après celui de(l) Infernetto (petit enfer...), gravissant la dernière partie sous le col(le) de Ciaslaras à 2972 mètres, sous le pic du même nom (3011m), qu’il faut dépasser après une ascension de 200 mètres de dénivellation très raide, au bout du vallone dell’infernetto, en économisant l’eau que l’on ne trouve de toute façon pas dans les torrents (car ils sont à sec) et en se détournant de celle des lacs. On évitera donc de la boire mais on ne se fera pas l’économie de se baigner dans le merveilleux lac de … (voir photo 6) et son eau laiteuse et rafraichissante. De retour en territoire "national" (les sentiers y sont forcément de suite meilleurs...), nous ne manquerons pas de nous baigner à nouveau dans le lac du Marinet plus fréquenté, de boire de l’eau (un peu) dans un torrent (enfin un vrai !), qui semble venir du glacier de Marinet, en net recul (rien d'étonnant ici ou ailleurs) mais tout de même il est le plus méridional des Alpes françaises, autour duquel de nombreuses crottes de biques parsèment les pelouses. Ça c’est pas bien, je sais… je ne le conseille à personne. Le troupeau de brebis, de chèvres est juste là en dessous avec ses chiens de garde patous qui surveillent (les Pyrénées ne sont jamais loin…) qu’on aimerait bien aller caresser et prendre dans nos bras comme des peluches (on sait bien que ce ne sont pas des peluches car ils se battent contre les loups) mais que des pancartes d’information nous rappellent bien de n’approcher ou croiser qu’après avoir pris certaines précautions : enlever ses lunettes de soleil, ne pas regarder les chiens dans les yeux (il ne faut pas les défier...), placer ses bâtons de marche le long de son corps et si possible les appeler par leurs doux noms comme c'est ici indiqué sur la pancarte, le prénommé (le seul dont je me rappelle) parmi les trois autres Didier, Didier le patou…

Photo 5 : Depuis le chemin qui monte vers la Tête de la Fréma, vue sur le lac italien le lago del Vallonas di Stroppia. Au bout du lac les plus observateurs repèreront le petit refuge/bivouac bleu Beppe Barenghi du Club Alpin Italien de la section de Cuneo (2825m). L'aménagement intérieur impeccable n'a pas été sans me rappeler ceux que l'on peut trouver en Catalogne espagnole. Notre itinéraire contournera le petit sommet dans l'ombre avant de filer... (voir image ci-dessous)


Photo 6: À peine une trentaine de minutes plus tard, alors que l'ambiance est toujours aussi minérale et asséchée, le merveilleux petit lac de ... (à vous de le chercher). Parfait pour la baignade...

        Enfin, la dernière étape nous permettra de rentrer sur Ceillac après avoir franchi le dernier col Girardin à 2699 mètres. La principale difficulté de cette ultime ascension, après une première partie assez raide, sera de ne pas marcher sur les marmottes qui sont là parfois au milieu des sentiers, mais qui ne vous regardent pas, la mâchoire remplie d’herbes fourragères, dodues prêtes à être rôties (mais non j’déconne) préférant faire des réserves pour l’hiver. On retrouve sur le versant nord, côté Queyras, les grandes affluences, près du lac Saint Anne transformé en station balnéaire (c’est un peu normal vu la chaleur), malgré ses plusieurs mètres de niveau d’eau en moins. Nous rejoignons alors les pistes de la station de ski de Ceillac et le très beau lac Miroir un peu plus bas, en voie de comblement peu avancé cependant avec de nombreux végétaux sur ses rives, déjà dans la forêt de pins à crochets, dans laquelle zigzague le beau chemin qui nous ramènera en bas vers Ceillac et le restaurant du cousin d’Agnès, dans lequel une bouteille de vin rouge des Hautes Alpes finira de m’achever !

Photo 7 : Depuis le pic de Ciaslaras (3011m), vue sur le col du même nom, qui fut le point culminant de l'itinéraire si on n'avait pas la manie de grimper sur tous les petits promontoires. Il en avait été de même le premier jour avec la pointe d'Escreins (3038m), au dessus du col des Houerts (je ne sais toujours pas ce que ça veut dire) 

Heureusement, je n'étais pas seul dans cette épopée, et retrouver les joies d'un parcours en groupe, avec des enfants et adolescents notamment, a été un moment vraiment plaisant. Chapeau à Agnès et Arnaud qui avaient préparé la logistique de manière impeccable pour l'ensemble de l'itinéraire, même si bon je me suis coltiné les boîtes de pâté Henaff (il n'y avait pas des bretons pour rien dans le groupe) presque jusqu'au bout... Le choix du parcours m'a paru remarquable (bravo Arnaud car je me suis laissé porter), surtout en peu de préparation. Merci donc aussi aux autres participants car cela m'a permis de ne pas faire trop le sauvage, enfin ce sont les autres (J, V, L, P, J, et A) qui me le diront...

Photo 8: La première rencontre...

Pour se familiariser avec la toponymie locale, on pourra toujours essayer de lire le dictionnaire Le langage de la vallée de Barcelonnette de F. Arnaud et G.Morin (1920). Et puis tant qu'il n'est pas trop tard, et que ce n'est pas loin, il faut aussi visiter l'exposition Gardien des cimes au Centre d'Art contemporain dans la vieille ville de Briançon, dans laquelle les photos de M.Eisenlohr côtoient les tableaux et dessins de C.Galleron dans une mise en scène réussie (à mon goût...).

Petit rappel des étapes:

1/ refuge de la basse Rua- étang vert des Houerts 2/ étang vert- étang long de Chambeyron. 3/ étang Long de Chambeyron- Maljasset. 4/ Maljasset- Ceillac (une carte viendra plus tard). Pour les horaires, vous les  calculerez vous-même avec les cartes topographiques (c'est le mieux).

Et si vous n'en avez pas encore marre de me lire, vous pourrez toujours enchaîner sur le petit chef d'oeuvre de Mathias Debureaux De l'art d'ennuyer en racontant ses voyages, aux éditions Cavatines.

Photo 9: L'itinéraire...

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