dimanche 5 février 2023

"La Montagne" au cinéma, le grand air

     Sur l'affiche du film La Montagne, exposée sur la façade du cinéma toulousain l'American Cosmograph, on peut voir Pierre interprêté par Thomas Salvador, aussi réalisateur du film, qui regarde au loin, assis sur un balcon naturel enneigé de la haute montagne alpine, dans le massif du Mont Blanc, au dessus de Chamonix. Il domine la vallée encombrée de nuages tandis que lui est au soleil tout comme une partie des hauts sommets environnants. Il a l'air apaisé et on se dit qu'en allant voir ce film on en ressortira de même. 

"TOUT QUITTER POUR ENFIN VIVRE    LA MONTAGNE" y est écrit.

Photo 1: Et voilà...

    Effectivement, le rythme général du film est calme et les dialogues sont peu développés mais restent malgré tout des moments-clés. La respiration, souvent lente et apaisée du protagoniste, s'écoute alors comme un dialogue avec soi-même qui nous emmène sur des itinéraires, plus que des chemins (car on est sur des glaciers), au-dessus de la civilisation bruyante, représentée par le brouhaha des bars chamoniards, vers une quiétude intérieure apaisée et apaisante et quelque peu psychédélique. La caméra laisse une grande place aux paysages de cette haute montagne car une grande partie de l'intrigue, et le camp de base de Pierre, se déroule en contre-bas de la gare d'arrivée du téléphérique de l'Aiguille du Midi. Il est vrai qu'on pourrait presque intituler ce film "La Haute montagne" plus que "La Montagne" car Pierre en sortant du téléphérique et en descendant vers le glacier doit franchir la barrière sur laquelle une pancarte vous indique bien Danger haute montagne... Une montagne, plus naturelle, dans laquelle les humains ne seraient que de passage ou se contenteraient des marges. Même si Chamonix, en fond de vallée, c'est aussi la montagne. Mais qu'importe, car finalement cela pourrait se passer presque n'importe où ailleurs en montagne tant qu'il y a de la roche... 

    L'intéressant dans ce film est que Pierre n'est pas vu comme un héros pour qui la montagne serait simplement un terrain de combat, une épreuve dans laquelle, comme souvent, comme trop souvent, la montagne est vue et filmée comme une épreuve physique notamment à surmonter, la victoire étant dans la conquête d'un sommet et du retour en vie. Certes, le séjour sera ici aussi initiatique comme on en a l'habitude. D'abord Pierre monte en téléphérique, puis il va installer une sorte de camp de base depuis lequel il s'initie et rayonne sans trop savoir où cela le mènera. Il prend surtout le temps de regarder. Et ce qu'il voit est probablement ce que la totalité d'entre nous tous et toutes ne voit pas. (Merci Carine pour cette observation). Quelque chose de lumineux, et à la fois étonnement intime et métaphysique. Le fantastique intervient, salué par le prix du Jury au festival du film fantastique de Gérardmer 2023 (la semaine dernière).

    Il y a aussi une approche de la montagne qui semble modeste et rafraîchissante, même si on sent bien que le réalisateur sait de quoi il parle. Pierre n'arrive pas dans la montagne en conquérant mais de manière progressive et à l'écoute des autres. D'ailleurs, il l'est clairement vis-à-vis de tous les intervenants qui expliquent, à lui et au spectateur, la montagne, que ce soit le guide qui l'initie, l'infirmière qui lui enseigne ou le couple d'alpinistes chevronnés qui lui montre leurs itinéraires. Il y a certes quelques vues aériennes, pas si fréquentes dans mon souvenir, et justement le film reste à hauteur d'humains sans trop tomber dans l'annonce publicitaire pour office de tourisme : le massif du Mont Blanc n'en a pas besoin.

    Ce second long métrage s'inscrit aussi dans son temps car la problématique du changement global est au coeur de l'histoire. On y arrive par petites touches pour finalement s'y inscrire totalement avec l'effondrement d'un pan de la montagne au dessus du glacier des Bravas (de la Brenva?). Tout d'abord, l'arrivée au bas de la Mer de la Glace par le petit train de Montenvers nous permet de visualiser le retrait et la fonte des glaces avec les jeux de couleurs, les moraines et les bas de versants usés et raclés, à l'air. Une pancarte sur l'escalier métallique menant au plus près des glaces indique bien le niveau du glacier en 2003 et on ne peut que constater le retrait est brutal effectif. On s'inscrit aussi peut-être (?) dans un temps post-covid et confinement avec cette envie irrésistible de sortir, même si Thomas Salvador a bien précisé dans divers entretiens que le scénario avait été écrit avant la période de pandémie. La scène de la biche égarée en plein centre ville nocturne (cf bande-annonce) m'a paru particulièrement touchante.  

    Le film s'inscrit aussi dans son territoire. On a bien compris qu'on était au coeur du massif du Mont Blanc. C'est assumé sans être pesant. Et les descriptions du guide ou des alpinistes chevronnés, sur les principaux sommets observés par Pierre et le spectateur (dont la Dent du Géant et les Grandes Jorasses), sont bien utiles et agréables à ceux qui aiment les montagnes, ou les curieux simplement, mais qui ne connaissent pas ce massif. On fait connaissance aussi avec l'arrivée du téléphérique et de son restaurant attenant, finalement mis en scène presque comme un refuge. Louise Bourgoin qui interprète la responsable du restaurant  joue parfaitement son rôle  Lors de leur rencontre, sur la plate-forme sommitale, avec les montagnes derrière, lorsqu'il s'approche d'elle, la conversation s'engage (cf bande-annonce): 

"- Vous êtes alpiniste?

 - Heu Oui...

- Vous êtes pas sûrs?

- Si, si..."  

    Les livres rouges que Pierre consulte sont-ils ceux des éditions Guérin de Chamonix ?

    Alors lorsque Pierre redescend à pied de la montagne, passant par tous les étages de la végétation, à la nuit tombée, on peut rentrer avec lui, probablement plus apaisé, en se disant que ce film est bien une réussite.