C’est chaque année la même histoire, alors que je laisse un peu mes chères Pyrénées pour rejoindre les Alpes. J’ai beau être très attaché aux premières, c’est toujours un choc esthétique que de parcourir les sentiers des secondes dans les Hautes-Alpes et cette fois-ci aussi les Alpes de Haute-Provence. Au départ du refuge de la Basse Rua, à quasi 1800 mètres d'altitude, dans le Guillestrois (05), l’itinéraire ici arpenté, en 4 étapes, nous ramènera dans la vallée voisine de Ceillac dans le Queyras, après avoir fait le tour des aiguilles de Chambeyron, point culminant des Alpes de Haute Provence à 3412 mètres d’altitude, plus au sud, par la haute vallée de l’Ubaye et une petite pirouette dans les vallées italiennes voisines pour y revenir (l'itinéraire est tracé sur la carte IGN adéquate) et passer la dernière nuit finalement à Maljasset.
Maljasset où le chaleureux et très accueillant refuge du CAF, repris cette année par la nouvelle patronne italienne s’est avéré un formidable endroit pour terminer le périple. Et si l’on est sûr d’une chose, c’est que si on a réellement manqué d’eau au long de ce parcours en cette année 2022 de sècheresse exceptionnelle par sa sévérité, on n’a pas manqué la très bonne eau de vie de poire proposée en ce lieu. Ça n’aide certainement pas à la ré-hydratation... Mais réellement on a pu relever la baisse de niveau d’eau importante de nombreux lacs d’altitude (souvent de 4 ou 5 mètres), des sources taries, des torrents ou ruisseaux à sec ou alors passés sous les rochers et inaccessibles. De mon expérience de la montagne, jamais je n’avais connu une telle sècheresse, avec du coup si peu de fleurs (des edelweiss tout de même...) et il a fallu réellement gérer nos ressources en eau au quotidien sur les sentiers. Le seul avantage à cette bizarrerie climatique de moins en moins fréquente, c’est qu’on a pu se baigner dans les nombreux lacs et étangs d’altitude, dans des cadres réellement très beaux.
Photo 2: Dans la soirée, vue imprenable sur les aiguilles de Chambeyron et à droite au fond le Brec de Chambeyron. |
Dès le soir de la première étape, après avoir installé le bivouac, dans le vallon des Houerts, au pied du très beau lac vert (2677m), en contrebas du col des Houerts, 2823m, franchit plus tôt, à l’heure où le soleil se cachait derrière les hauts sommets du pic des Houerts, les mouflons (probablement ceux que nous avions aperçus plus haut plus tôt) ont détaché leur silhouette sur le ressaut morainique qui semblait alors dessiner comme une ligne de crête, hésitant certainement à descendre s’abreuver au ruisseau près duquel nous avions installé nos tentes. Le lendemain matin, alors que le soleil se levait après avoir fait son tour nocturne, une harde s’est mise à remonter le versant à travers les éboulis et sous les couloirs du pic de Panestret. Un des mâles dominants, majestueux, avait déjà donné sens à ce mouvement me surplombant à vingt mètres tout au plus alors que j’étais complètement à poil dans le torrent pour me laver, sans savon, dans l’eau fraîche et revigorante du matin. Ces immenses cornes m’ont fait accélérer le mouvement pour me rhabiller alors que je l’imaginais tentant de m'embrocher après avoir essayé de fuir dans la nature. Les premiers randonneurs remontent aussi le sentier vers le col des Houerts (2817m), certains râlant à voix haute en voyant notre campement en train d’être défait, « Bientôt on montera en camping-car jusqu’ici... » et d’autres nous racontant, des lumières pleins les yeux qu’ils ont vu la harde plus bas au lever du jour, mangeant dans le replat herbeux à côté du torrent près de la cabane des Houerts où ils avaient passé la nuit. Mais pas de troupeaux domestiques dans les parages. La vue depuis notre camp sur la face nord du massif des Aiguilles de Chambeyron était à proprement extraordinaire tant celles-ci, au couchant avec les contrastes de lumière liés au déclin progressif des rayons, nous sont apparues dans toute leur austérité et sauvagerie minérales, affublées de pointes toutes aussi menaçantes les unes que les autres, dans des dégradés de marron, me laissant penser à ces montagnes maudites que les populations montagnardes jusqu’à la fin de l’époque moderne côtoyaient et craignaient sans vraiment y accéder.
Photo 3: Le fameux lac Vert (de Houerts) sous le col des Houerts. Le lac Bleu est quant à lui à gauche hors cadre. Pour arriver au soir du deuxième jour, il a donc fallu poursuivre la descente vers la haute vallée de l’Ubaye que j’ai trouvé beaucoup plus belle et spectaculaire que me l’avait laissé imaginer les lectures des cartes topographiques avec ses immenses forêts de pins sur les versants abrupts… En redescendant vers des lieux plus accueillants passant devant la petite chapelle de Saint Antoine, traversant le pont des gorges du Châtelet large de 27 mètres à peine, qui surplombe l’Ubaye d’une centaine de mètres (108)… depuis lequel la vue sur les derniers hameaux de Saint Paul sur Ubaye est intéressante, on remonte ensuite l’itinéraire du GR5 vers le longiligne hameau d’estive de Fouillouse (cher à l'Abbé Pierre dont la branche paternelle est originaire), ancien chemin stratégique vers la frontière italienne, et donc à ce titre surveillé par l’administration (des douanes notamment...), aujourd’hui lieu de villégiature touristique, et on se prend à programmer une descente vers le sud et la mer pour poursuivre une hypothétique traversée des Alpes. On continuera ensuite la montée par un large chemin facile vers les étangs de Chambeyron après avoir fait une pause méritée au refuge du même nom situé, face au lac Premier, entre le Brec de Chambeyron, considéré du haut de ses 3389 mètres d'altitude comme inaccessible jusqu’en 1878, et les parois des aiguilles précédemment évoquées mais cette fois-ci en version versant sud pas forcément plus accueillant mais dominant le bassin lacustre des nombreux lacs situés par là, et notamment le grand lac (de 11 hectares) des Neuf Couleurs si haut à 2841 mètres d’altitude. C’est vrai qu’on est haut! Tous les cols franchis était à quasi 2700 mètres. La deuxième nuit fut douce, quelques gouttes de pluie sur la tente, c’est tout… L'article wikipedia, bien que les informations n'y soient pas vérifiées par un comité de lecture, rappelle le lien étymologique entre le mot valéian Chambeiroun, désignant des guêtres ou des petites jambières et le toponyme du massif, sachant que ce dernier était un lieu de passage important avec le Piémont italien voisin. |
Troisième journée et morceau de bravoure de ce périple avec le passage côté italien, dans les hautes vallées de Chiappera, par la montagne de Stroppia, car il s’agit bien de contourner cet ensemble austère que constitue le massif des aiguilles de Chambeyron, principalement calcaire, pour arriver à Maljasset, petit hameau très harmonieux et un des plus hauts lieux d’habitat d’Europe à plus de 1900 mètres d’altitude dans la partie supérieure de la vallée de l'Ubaye. On est donc déjà haut alors le col suivant, celui de Gippiera (2948m), est atteint en à peine une petite trentaine de minutes, et comme cela ne me suffit pas car j’aime admirer les panoramas, je me permets de faire, de manière complètement euphorique, l’ascension de la Tête de la Fréma à 3151 mètres d’altitude, de laquelle descend un groupe d’adolescents italiens guillerets qui me met de bonne humeur, enfin qui l’accentue… Ce sera le deuxième des trois petits sommets (tous à plus de 3000 mètres) dont l’ascension sera possible et facile sur ce circuit et qui permettent de nuancer finalement les panoramas sur ces hauteurs, même si à aucun moment je n’ai pu voir le Mont Viso, si haut et tant recherché dans les nuages (les Écrins et Rochebrune l'ont été). Ce passage entre le col de Gippiera et le col de Marinet (2787m) ce dernier à nouveau en territoire français, permet un itinéraire sauvage, moins fréquenté, franchissant des passages aménagés un peu plus vertigineux après celui de(l) Infernetto (petit enfer...), gravissant la dernière partie sous le col(le) de Ciaslaras à 2972 mètres, sous le pic du même nom (3011m), qu’il faut dépasser après une ascension de 200 mètres de dénivellation très raide, au bout du vallone dell’infernetto, en économisant l’eau que l’on ne trouve de toute façon pas dans les torrents (car ils sont à sec) et en se détournant de celle des lacs. On évitera donc de la boire mais on ne se fera pas l’économie de se baigner dans le merveilleux lac de … (voir photo 6) et son eau laiteuse et rafraichissante. De retour en territoire "national" (les sentiers y sont forcément de suite meilleurs...), nous ne manquerons pas de nous baigner à nouveau dans le lac du Marinet plus fréquenté, de boire de l’eau (un peu) dans un torrent (enfin un vrai !), qui semble venir du glacier de Marinet, en net recul (rien d'étonnant ici ou ailleurs) mais tout de même il est le plus méridional des Alpes françaises, autour duquel de nombreuses crottes de biques parsèment les pelouses. Ça c’est pas bien, je sais… je ne le conseille à personne. Le troupeau de brebis, de chèvres est juste là en dessous avec ses chiens de garde patous qui surveillent (les Pyrénées ne sont jamais loin…) qu’on aimerait bien aller caresser et prendre dans nos bras comme des peluches (on sait bien que ce ne sont pas des peluches car ils se battent contre les loups) mais que des pancartes d’information nous rappellent bien de n’approcher ou croiser qu’après avoir pris certaines précautions : enlever ses lunettes de soleil, ne pas regarder les chiens dans les yeux (il ne faut pas les défier...), placer ses bâtons de marche le long de son corps et si possible les appeler par leurs doux noms comme c'est ici indiqué sur la pancarte, le prénommé (le seul dont je me rappelle) parmi les trois autres Didier, Didier le patou…
Photo 6: À peine une trentaine de minutes plus tard, alors que l'ambiance est toujours aussi minérale et asséchée, le merveilleux petit lac de ... (à vous de le chercher). Parfait pour la baignade... |
Enfin, la dernière étape nous permettra de rentrer sur Ceillac après avoir franchi le dernier col Girardin à 2699 mètres. La principale difficulté de cette ultime ascension, après une première partie assez raide, sera de ne pas marcher sur les marmottes qui sont là parfois au milieu des sentiers, mais qui ne vous regardent pas, la mâchoire remplie d’herbes fourragères, dodues prêtes à être rôties (mais non j’déconne) préférant faire des réserves pour l’hiver. On retrouve sur le versant nord, côté Queyras, les grandes affluences, près du lac Saint Anne transformé en station balnéaire (c’est un peu normal vu la chaleur), malgré ses plusieurs mètres de niveau d’eau en moins. Nous rejoignons alors les pistes de la station de ski de Ceillac et le très beau lac Miroir un peu plus bas, en voie de comblement peu avancé cependant avec de nombreux végétaux sur ses rives, déjà dans la forêt de pins à crochets, dans laquelle zigzague le beau chemin qui nous ramènera en bas vers Ceillac et le restaurant du cousin d’Agnès, dans lequel une bouteille de vin rouge des Hautes Alpes finira de m’achever !
Heureusement, je n'étais pas seul dans cette épopée, et retrouver les joies d'un parcours en groupe, avec des enfants et adolescents notamment, a été un moment vraiment plaisant. Chapeau à Agnès et Arnaud qui avaient préparé la logistique de manière impeccable pour l'ensemble de l'itinéraire, même si bon je me suis coltiné les boîtes de pâté Henaff (il n'y avait pas des bretons pour rien dans le groupe) presque jusqu'au bout... Le choix du parcours m'a paru remarquable (bravo Arnaud car je me suis laissé porter), surtout en peu de préparation. Merci donc aussi aux autres participants car cela m'a permis de ne pas faire trop le sauvage, enfin ce sont les autres (J, V, L, P, J, et A) qui me le diront...
Photo 8: La première rencontre... |
Pour se familiariser avec la toponymie locale, on pourra toujours essayer de lire le dictionnaire Le langage de la vallée de Barcelonnette de F. Arnaud et G.Morin (1920). Et puis tant qu'il n'est pas trop tard, et que ce n'est pas loin, il faut aussi visiter l'exposition Gardien des cimes au Centre d'Art contemporain dans la vieille ville de Briançon, dans laquelle les photos de M.Eisenlohr côtoient les tableaux et dessins de C.Galleron dans une mise en scène réussie (à mon goût...).
Petit rappel des étapes:
1/ refuge de la basse Rua- étang vert des Houerts 2/ étang vert- étang long de Chambeyron. 3/ étang Long de Chambeyron- Maljasset. 4/ Maljasset- Ceillac (une carte viendra plus tard). Pour les horaires, vous les calculerez vous-même avec les cartes topographiques (c'est le mieux).
Et si vous n'en avez pas encore marre de me lire, vous pourrez toujours enchaîner sur le petit chef d'oeuvre de Mathias Debureaux De l'art d'ennuyer en racontant ses voyages, aux éditions Cavatines.
Photo 9: L'itinéraire... |
C'est toujours un plaisir de te lire, Éric. Merci pour ce partage de tes souvenirs. Michel.
RépondreSupprimerMerci Eric pour ce magnifique partage. Quel plaisir de te lire et d'admirer ces jolies photos. Que du bonheur. Bises. Eliane. Pablo.
RépondreSupprimerAh, les marmottes dodues ! Et Didier le patou ! Bien de se laver sans aucun produit : les lacs de montagne sont un écosystème fragile. Pourquoi votre campement faisait-il râler ? Le but de certains est-il de faire une course sans étape ? Lecture toujours instructive et qui donne envie. Merci !!
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