Il s'agissait aujourd'hui simplement de marcher dans les pas des milliers de réfugiés républicains espagnols qui ont fui par les montagnes catalanes à la fin de la guerre d'Espagne, entre le 27 janvier et le 9 février 1939, pendant l'épisode que l'on a appelé la Retirada. Ils étaient quasiment un demi million. Autrement dit, nous n'étions pas ici pour les grands sommets et les vastes panoramas, même si depuis La Vajol (à 540m d'altitude) par temps clair, la vue vers la plaine de Figueras et l'Alt Emporda est tout de même très vaste.
Voilà, on vient ici parce que ce chemin est chargé d'histoire et que tout au long de son itinéraire les monuments et les mémoriaux permettent la conservation collective du souvenir de ce fait de l'histoire. Ici donc, par ces anciens chemins de contrebande, sont passés des milliers de réfugiés (civils et militaires) fuyant l'armée de Franco qui acculait la zone car aussi l'itinéraire le plus emprunté, celui du Perthus plus à l'est, était encombré et bombardé. Ici donc, le passage le plus notoire fut celui du président Manuel Azana qui dans la nuit du 5 au 6 février traversa à pied clandestinement dans la neige la frontière en compagnie du chef du gouvernement Juan Negrin Lopezet du président des Corts Diego Martinez Barrio. Ils furent rejoints quelques heures plus tard par le président de la Generalitat de Catalogne Lluis Companys et le président du gouvernement basque José Antonio de Aguirre. Une plaque a été apposée au col le 18 avril 2009. Ils arrivèrent ainsi à Las Illas (Les Illes en catalan car dans cette langue les pluriels sont en -es) sur le versant français, en passant par le col de Lly (à 710m d'altitude, borne frontière 557) et trouvèrent refuge à l'Hostal dels Trabucayres, aujourd'hui sur la placeta de la libertat, où le président mangea une omelette avant de repasser la frontière pour faire son entrée officielle en France, qui lui donna le droit d'asile. Une plaque apposée le 14/04/1990 près de l'entrée de l'auberge rappelle bien que "Par ce lieu le 5/02/1939 passèrent, chassés d'Espagne par l'agression nazi(e) fasciste internationale les présidents...". C'était donc un chemin de l'exil car peu d'entre eux ne reviendront un jour dans leur pays. Le président Azana est enterré aujourd'hui à Montauban. Ce chemin servira également en sens inverse pendant la Seconde Guerre mondiale à fuir les persécutions nazies et vichystes par ce que l'on appellera les chemins de liberté.
Photo 2: À Las Illas, en haut du village au débouché du sentier qui descend du col de Lli... |
Au préalable, à La Vajol, au pied de la frontière que domine le pic des Salines (1333m d'altitude), dans les jours précédents, le président et le gouvernement Negrin s'étaient installés dans une grande demeure datant 19ème siècle à un kilomètre du village "Can barris". Autour de La Vajol, ils cachèrent dans une mine à l'écart les réserves d'or de la banque d'Espagne ainsi que des tableaux du fameux Musée du Prado de Madrid. On aura aussi pu voir, près du parking à gauche à l'entrée du village, un peu à l'écart, le monument dédié à l'exil avec les deux statues de deux réfugiés Mariano Gracia et sa fille unijambiste Alicia arrivant à Prats de Mollo (une autre vallée plus à l'ouest et plus haute en altitude par laquelle les réfugiés ont pu passer) et reprenant la célèbre photo de Roger Violler publiée dans l'hebdomadaire L'illustration.
Photo 3: On est quand même dans la montagne... Pour l'évocation de la montagne et cette guerre, on pourra lire le très beau roman de Irene Solà Je chante et la montagne danse. Vue en remontant vers le col de Manrell. |
Il est donc aujourd'hui possible de reprendre cet itinéraire finalement assez court puisque deux petites heures (en étant large mais cela n'engage que moi) seront suffisantes pour aller d'un village à l'autre. Au départ, hormis quelques pancartes le chemin n'est pas vraiment balisé ce qui d'ailleurs est très étonnant vu le nombre de sites internet qui parle de cet itinéraire... À partir du croisement d'avec une route qui vient de la gauche, un sentier dans la forêt de pins et de chênes, notamment de nombreux chênes lièges (il faut quand même aller le chercher ce sentier car ce n'est pas indiqué, en remontant sur 30 mètres la route croisée), au milieu des jolis affleurements de granit, permet d'éviter de marcher le long de l'assez large route (un bus pourrait y aller me semble t-il) qui monte vers le col de Manrell. Ce sentier (et la route) arrive sur le parking d'un restaurant et juste après, à gauche, une piste s'enfonce dans la forêt pour rejoindre le fameux col. C'est indiqué de toute façon sur des pancartes (Coll de Lly), ce serait compliqué de se perdre. En croisant des promeneurs avec des sacs remplis de châtaignes vous vous rendrez peut-être compte qu'effectivement on remonte une châtaigneraie et que parfois on se met à penser à la montagne corse. Lorsqu'on passe côté français, on est obligé de rentrer dans un enclos avec des vaches (même si c'est balisé désormais), d'en ressortir un peu plus loin en longeant le grillage d'un enclos qui semble servir de réserve de chasse, dans laquelle on voit bien le surpâturage des sols qui n'ont de sol que le nom tellement ils ont été retournés par les sangliers et autres bestioles. Tout cela pour aller se faire flinguer comme des lapins... Je ne suis pas contre la chasse mais celle pour laquelle on élève des bêtes dans des enclos juste pour qu'un public (urbain de manière générale en France aujourd'hui) vienne dézinguer ces bêtes sans défense, c'est un peu gênant... d'autant plus qu'on privatise, sans droit de passage, une bonne partie du territoire... Bon c'est un autre débat...
Photo 4: En redescendant vers Las Illas... |
Pour le chemin du retour, on aura choisi de passer par le col de Manrell, mais cette deuxième partie de l'itinéraire reste assez décevante malgré le monument au sommet, car il s'agit de remonter d'abord une petite route qui passe dans une sorte de lotissement très peu dense (en passant devant un enclos dans lequel des chèvres et autres biches se promènent). Du col, il n'y a plus aucun sentier qui redescend (malgré ce que peut mentionner la carte sur les panneaux à La Vajol, il a été privatisé) et on est obligé de se farcir la route et ses 3,5 kilomètres pour retourner au village, en bénéficiant toutefois de quelques jolis points de vue. sur la vallée. On pourra tout de même prendre un verre dans le bar près de la mairie et constater encore que les espagnols sont chaleureux avant de traverser le vieux village et d'admirer la jolie et vieille église romane (San Martin de La Vajol), son clocher mur, et ses entrées sur la façade sud coincée entre deux habitations; ce qui lui donne un charme certain.
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