C'était lors d'une longue et belle descente assez minérale dans sa première partie, depuis le sommet du pic Posets, dans l'Aragon, pendant la dernière pause à côté du refuge belvédère Angel Orus, sous la menace de l'orage encore un peu lointain, au-dessus de la forêt de tous les dégradés de vert, du plus foncé au plus clair, même en cette fin de saison, parsemée aussi de sorbiers des oiseleurs qui ne faisaient pas qu'enflammer la forêt. La sensation grisante du sac allégé après avoir éliminé tous ensemble les deux kilos de fromage, le champagne bu au sommet sous les échos chantants des basques et des catalans présents (bien sûr je n'ai pas balancé la bouteille vide par-dessus bord), la charcuterie et tout le reste (tente, duvet, matelas...) ... Oui nous étions bien et l'ivresse des sommets n'était pas un vain mot... Un groupe de randonneurs espagnols, visiblement content de terminer la descente, et amené par un accompagnateur de montagne réellement chaleureux, s'est alors approché de nous.
(Bon qu'est-ce qu'ils veulent encore???) (intérieurement)
- Nous avons trouvé une polaire et un cortaviento (coupe-vent). Ça ne serait pas à vous par hasard?
-Ben... (en se regardant tous) non! Non non...
- Je demande comme ça!
Et puis l'ombre d'un doute... On ouvre le sac... Et on court pour les rattraper... La polaire n'est-elle pas noire?? Le coupe-vent n'est-il pas de la marque ...?
- Et oui! Et oui...
- Muchas gracias muchas muchas gracias (j'avais acheté le coupe-vent trois jours auparavant)... Mais quand même (tout ça en espagnol), vous les avez trouvé où ?
- En la puta cima...
Photo 1 : Depuis le col (vers 3010m) sous la Diente de Llardana, vue en direction du sommet des Posets que l'on devine avec la petite pointe blanche qui dépasse de l'ultime ligne de crête. |
Alors effectivement, voici une bonne idée que de boire du champagne à fines bulles au sommet de la deuxième plus haute montagne des Pyrénées! Qu'en plus ce pic Posets est en Espagne et qu'en Espagne souvent les hauts sommets ressemblent à des bodegas car les Espagnols aiment la montagne et qu'ils expriment souvent leur joie d'être là de manière chaleureuse et que cette fois-ci avant que le groupe n'arrive, il y avait quatre jeunes catalans et basques (et nos amis basques et commingeois à nous et G. ) à qui on a offert de partager notre champagne et qui ont donc entonné en cœur un joyeux anniversaire à Guillaume, en basque puis en catalan (ou l'inverse).
Alors voilà encore que finalement, la description de l'itinéraire peut apparaître secondaire, que malgré tout le panorama depuis ce sommet en particulier me parait être un des plus beaux des Pyrénées car depuis là, en position centrale, et bien au-dessus de la plupart, presque tous les principaux sommets du Balaïtous au Montcalm, en passant par le Cagire ou le pic du Midi de Bigorre, sont visibles.
Monter là-haut prend du temps de toute façon, surtout si vous décidez d'aller bivouaquer au bord du très beau lac de Llardaneta (Llardana signifierait terre brulée) vers 2650 mètres d'altitude en s'écartant de peu de la voie normale en direction des granges de Viados (sur l'autre versant), pour y revenir ensuite le lendemain. Au bout du lac, des aires de bivouac informels ont été aménagés et de là on suivra facilement l'itinéraire pour gravir les pics de la Forqueta en guise de bonus, par l'itinéraire du GR11. Le départ se fait depuis le dernier parking de la cascade d'Espigantosa dans la vallée du rio Eriste au-dessus du village éponyme juste avant Benasque, à 1500 mètres d'altitude (jusqu'au 30 septembre normalement un bus vous y emmène). Tout est indiqué (balises et pancartes et cairns) jusqu'au bout et vous passerez devant le refuge d'Angel Orus déjà cité à 2100 mètres, le canal Fonda qui peut-être enneigé tardivement et sujet à avalanche puis le col sous la Diente de Llardana impressionnante avec ses parois vertigineuses... et enfin le sommet à 3375m (ou 3369m fréquemment sur les cartes espagnoles ou sur la borne du sommet). Voilà si vous le faites d'un seul trait c'est minimum entre cinq et six heures qu'il faudra pour monter seulement même s'il n'y a aucune difficulté technique (ça n'engage que moi...). C'est presque sûr que les bergers et chasseurs ont dû gravir la cime avant les premiers pyrénéistes officiels qu'il n'est pas du coup nécessaire de mentionner (bon allez si quand même H.Halkett avec P.Redonnet et P.Barrau le 6 août 1856). Mais je citerai aussi Patrice de Bellefon dans son classique et beau et éternel Pyrénées, les 100 plus belles courses et randonnées : "Son ascension est longue et monotone. Pourtant on aime à le faire et à pénétrer lentement dans l'intimité de ce grand solitaire. Des glaciers poussiéreux et de vastes éboulis engendrent cette monotonie qui, comme celle des déserts, inspire parfois même une mélancolie qui n'est pas dénuée de douceur."
Photo 5: Une douce mélancolie... |
Les géologues en herbe y trouveront majoritairement sur un socle granitique du schiste et du calcaire d'où peut-être la signification du nom du sommet qui voudrait dire gouffre, puit. C'est vrai qu'au bout du lac où nous avions campé, un petit phénomène endoréique empêchait l'écoulement de l'eau du déversoir du lac d'aller directement dans une mer lointaine. L'ensemble fait partie du parc naturel de Posets-Maladeta.
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