dimanche 15 août 2010

Carrefour (Haïti, fet pou viv lib.)

Je devais quitter Port au Prince ce jour, et bien finalement ce sera demain car Juliette, une amie haïtienne de Jérémie, qui devait me prendre en voiture, ne part que le dimanche. C'est pas très grave, on décide d'aller avec Marie à Petit Goave, à 70 km à l'ouest, pour essayer de trouver la maison de Da, la grand mère de l'écrivain D.Laferrière, mis en scène dans notamment Le charme des après-midi sans fin.

On est parti un peu tard et nous sommes d'abord allés en tap-tap à Petionville pour chercher de l'argent et un DAB qui marche. Cette commune est le faubourg riche de la capitale, moins touchée par le tremblement de terre, à quelques centaines de mètres d'altitude au dessus. Après quelques efforts, nous sommes arrivés à trouver car le premier ne marchait pas, le second ne prenait que les cartes haïtiennes, mais ici la poésie, la vraie, n'est jamais loin.

Photo 1: C'était calme et presque agréable de faire la queue au guichet.


On est donc prêt à prendre le bus mais pour cela, il faut descendre au bas de la ville de Port au Prince, en tap-tap puis moto-taxi. Les bus vides attendent au portail Léogane que les voyageurs s'installent. Il ne faut pas tergiverser longtemps au risque de se retrouver à cheval entre la travée centrale et le siège extérieur. Là où il devrait y avoir deux personnes, c'est à dire une par siège, et bien on est trois. On paye 75 gourdes (1,5 euros), on attend 45 minutes le remplissage. On a déjà chaud mais ça va. Marie discute philosophie avec son voisin et s'évente avec un bouquin de Sartre. J'écoute, transpire et regarde aussi par la fenêtre l'animation qui règne, les publicités qui dépassent... depuis notre bus qui doit être un ex-bus de ramassage scolaire américain jaune. (voir photo 2, ci-dessous)



Le bus démarre, s'extrait des embouteillages et de la concentration piétonne intense pour se lancer sur la route nationale et s'enfoncer plus loin (pas trop) dans un autre embouteillage. Ici, on les appelle blocus. Nous sommes encore dans la banlieue, on avance au pas, souvent, et on préfère retenir les couleurs et le ton des enseignes diverses qui sont un des charmes de ce pays, plutôt que les multiples camps de tentes qui jalonnent l'itinéraire. Un nous a particulièrement frappé, au milieu du terre plein central de l'avenue, au ras des voies de circulation.

Photo 3: Spéciale dédicace pour Cri cri.



Marie est imperturbable et s'est lancée dans la fin de la lecture de Saison de porcs, roman policier haïtien de G.Victor. En ce qui me concerne, mais je ne dis rien, je commence à bouillir : ça fait trois heures qu'on est là. Je transpire abondamment, comme si un top-model venait s'adresser à moi de manière franche et favorable !

On semble percevoir la fin du blocus à l'approche de la ville de banlieue de Carrefour. Et puis tout s'enchaîne : certains chauffeurs de bus qui doivent partager mon état d'esprit, veulent doubler par la droite. Une troisième file se créée alors que nos deux préalables se réduisaient à une, d'où l'embouteillage. Mais notre chauffeur ne veut pas se laisser faire. Il est en cela conforté par un bon nombre de voyageurs de notre bus qui, se levant, scandent avec force de persuasion : kole kole kole...(traduction évidente!) un bras de fer se met en place et aucun des chauffeurs ne cède. La chevauchée s'arrête. Le rétroviseur de notre bus a brisé une vitre de l'autre.

Bon, on fait quoi ? L'excitation monte. Les passagers de devant hurlent sur les passagers du bus d'à côté qui sont à cinquante centimètres de nous. Je me lève pour voir ce qui se passe : notre chauffeur n'a pas bougé de son siège, juste un peu plus adossé. Il regarde le chauffeur de l'autre bus qui lui est descendu, s'appuyant sur le rétro de son bus, de son bras gauche et téléphonant de son bras droit, probablement à la police. Mais les deux font la même chose : ils se défient du regard sans se laisser déconcentrer par une autre histoire. Là dessus, il ne manque plus que la musique d'un face à face de western, spaghetti ou pas.

C'est clair, on ne pourra pas revenir à Port au Prince à temps ce soir alors, on descend, on réfléchit deux secondes, (Marie a fini son bouquin) et on négocie un taxi-moto qui nous ramène à l'hôtel Oloffson, en virtuose, à travers les embouteillages et l'activité débordante des trottoirs, en sens inverse. Je fais l'erreur de complimenter le pilote, qui se sent pousser des ailes, et peu après, je suis obligé de lui rappeler que madame la, li fragil, (pardon Marie ! Je sais bien que c'est pas vrai) pour qu'il se calme un peu. On vient de laisser le bus et ses voyageurs à leur patience. Là aussi, on de la chance.
On boit un jus de citron vert et on plonge dans la piscine, couverts de poussière. Là aussi deux mondes.

Photo 4: Un exemple de bus assurant le transport collectif (avec peut-être 50 passagers, contre une quinzaine pour un tap-tap, et une centaine pour notre bus plus longue distance).


5 commentaires:

  1. y a meme ma voiture VIVE JESUS !
    bonne journée !

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  2. ces conducteurs de bus me rappellent ceux de l'île maurice , à fond , à fond , que le meilleur gagne !

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  3. Tu écris très bien...comme tu racontes...et j'imagine...Je suis heureuse pour toi.

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  4. "Christian Loto" : ça c'est trop fort !!!!!
    A afficher en salle à la rentrée...
    Sylvain

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  5. Et juste à côté il y avait écrit en gros ciment. j'ai aussi la photo que je lui enverrai directement;

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