- Alors vous partez aux Canaries pour les vacances? Vous allez grimper le pico de Teide?
- Mais oui.
- C'est parce qu'il fait plus de 3000 mètres que vous en ferez l'ascension?
- Mais oui...
- Pourtant, il n'est pas dans les Pyrénées!
- C'est pas grave. Il est en Espagne.
- Et alors?
- Et alors, les Pyrénées sont bien en Espagne! Comme les Canaries. Donc, c'est pareil!
Bien sûr, avec Claire, nous aurions pu prendre le téléphérique qui nous porte sans aucun effort à 3550 mètres d'altitude mais vous ne nous auriez pas cru.
Photo 1 : La gare d'arrivée du téléphérique, vue depuis le chemin qui redescend du sommet. Les pavements du chemin sont nettement visibles, ainsi que la caldeira au second plan.
Alors nous avons choisi un cheminement un peu plus long, un peu plus long que la voie normale même (départ de 2325 m) et qui partait d'El Portillo (de la Villa) à 1950 mètres, où s'arrête la forêt de pins. Nous nous sommes fait déposer là par le bus quotidien qui part, à 9h15, de la ville côtière de Puerto de la Cruz pour se rendre au Parador de Cañadas del Teide. On a eu juste peur à un moment, à la station de bus, de s'être trompés, et d'aller au rendez-vous d'une sortie randonnée d'un club du 3ème âge allemand. Tout le monde avait l'air content de se trouver là. Pour les topo-guides classiques, vous pouvez utiliser, en espagnol, Los techos de España, de J.M. Hernandez, qu'on peut trouver dans une librairie spécialisée de montagne, à Barcelone, près de la Iglesia de Santa Maria del Pi du barrio gotico (Llibreria Quera, 2 Calle Petritxol) ou Trekking en Afrique, guide des meilleurs itinéraires, de S. Ardito, aux éditions Gründ. Voici aussi, le lien d'un blog, extrêmement complet et intéressant pour préparer son ascension et son voyage à Tenerife, .
Etaient donc au programme au moins 1300 mètres environ de dénivelé positif pour atteindre le refuge d'altavista, (voir photo 2 ci-dessous) à 3260 mètres, où nous comptions passer la nuit pour achever l'ascension au petit matin et voir le levé de soleil.
A titre indicatif, il faut savoir que le sommet est libre d'accès qu'avant 9h le matin et qu'après 17h le soir, avec la preuve du paiement de la nuit du refuge. Pour le reste de la journée, il faut avoir sollicité une réservation au préalable, un peu de temps à l'avance, pour un créneau horaire : cinquante personnes sont autorisées à faire l'ascension finale, à partir de la gare d'arrivée du téléphérique, par tranche de deux heures. On touche là une des contradictions du système. En effet, le refuge et le téléphérique sont exploités par la même entreprise. Alors, on bourre un maximum les cabines et après, on est obligé de limiter la fréquentation, que l'on surveille étroitement pour cause de classement en parc national, depuis au patrimoine de l'humanité de l'U.N.E.S.C.O.. Le sommet au dessus du cratère est aussi étroit et peu étendu, entre les fumeroles de souffre. Le refuge n'est pas donné (20 euros la nuit, sans service de restauration), les dortoirs inaccessibles à partir de 6h30 du matin (7h15 pour Claire!!!) jusqu'à 17heures, je crois. Il y a des machines automatiques qui pour la modique somme de 4 euros, vous vendent un coca, un sprite ou autres sodas divers, ou pour deux euros un café. Mais, il faut reconnaître que c'est impeccablement propre (notamment les toilettes), qu'on vous prête des couettes pour la nuit et qu'il peut être chauffé. Chacun y trouvera source à palabres.
Donc nous partons, cheveux au vent et pour Claire, comme d'habitude, en tenue légère, malgré la chaleur de cette fin de matinée. L'envie nous porte, je dirais même, nous transporte (hum...). Ce pic, ça faisait longtemps que je voulais y aller (où n'ai-je pas envie d'aller?), et on le voit tellement partout et de (presque) partout sur l'île que ça en devenait une véritable obsession. En plus, il est beau.
Photo 3 : Le pico de Teide, dans toute sa splendeur, dont le terme Teide proviendrait du terme guanche echeide qui signifie « enfer ». En effet, pour les premiers habitants des îles Canaries, le volcan et ses environs étaient interdits d'accès. Une autre éthymologie dans cette langue donne pour signification « montagne enneigée ».Notre itinéraire rejoint l'épaule blanche sur la gauche (Montaña blanca).
Alors, après avoir soigneusement choisi, au centre de visite, l'itinéraire balisé (pour ne pas dire encadré, sans aucune mais aucune difficulté technique, jusqu'au sommet) qui nous y mènera, nous bifurquons.
- Dis-donc, le promontoire rocheux, là-bas, c'est pas celui qu'on a vu l'autre jour sur la carte postale?
- Non, je crois pas car ce n'est pas le bon versant.
- Tu crois? Si, si, je suis sûre!
- Non, c'est pas possible car sur la carte, on voit le téléphérique et pas là.
- Si, je t'assure! Qu'est-ce qu'on pari? Un petit livre?
- Ok, mais pour aller vérifier, il faut faire un détour par le chemin qui descend par là et on devra faire une boucle qui rallonge ...
- Ouais, tu ne veux pas dire que tu te trompes. On y va...
- Avouer à une femme que je me suis peut-être trompé ne me pose aucun problème... (de suite les grandes phrases!)
Nous descendons donc dans la petite plaine, en direction de la Fortaleza (parois rocheuses).
- A ouais, tu as raison...
Nous sommes trop engagés et donc nous faisons un peu de distance supplémentaire. Ce n'est honnêtement pas un problème. Les tons orangés l'emportent avec toute une série de dégradés. La chaleur augmente. La végétation reste buissonnante mais maigre. Les vipérines rouges du Teide sont décharnées. Et plus on monte, et donc que l'on s'approche du cône, plus le terrain est parsemé de gros blocs ronds de basaltes, expulsés depuis (depuis quand d'ailleurs?), un véritable champ.
Photo 4 : A l'assaut des blocs de basalte, Claire est emportée et se retient comme elle peut.
Les itinéraires sont impeccablement balisés et nous avons l'impression de marcher dans le désert sous la surveillance du volcan qui se rapproche. Seuls des petits oiseaux, appelés Pipit de Berthelot, nous accompagnent parfois.
Photo 5 : La Fortaleza, à gauche au fond, depuis les pentes de la Montaña blanca. La piste au premier plan, concerne la voie normale qui descend vers les parkings sur la droite. Nous la prendrons au retour.
Nous attaquons la montée vers la Montaña blanca (2750m), une sorte de petite épaule sur notre gauche, pour arriver en longeant la dernière coulée de lave (17ème siècle???, je ne me rappelle pas de ce qu'il y avait exactement écrit sur le panneau d'information! Et puis on s'en fiche, ce qui compte, c'est que c'est la dernière).
Photo 6 : On s'approche! Le refuge est situé derrière la partie supérieure de la coulée de lave du centre (qui est aussi la plus récente).
La pente se relève sérieusement à partir de là. Il fait vraiment chaud : Claire a préféré se déguiser en schtroumpfette (vous aurez deviné la couleur de sa veste) plutôt que de se transformer en piment d'Espelette. Quant à moi, ça fait déjà un moment (depuis le départ en fait), que j'ai revêtu ma combinaison de cosmonaute. Face aux rayons de soleil trop brûlants, je couvre quasiment toutes les parties de mon corps (sauf le nez, qui crame donc parfois!), à croire que je reviens d'un vide grenier, car j'ai renoncé à m'enduire le corps de tout élément gras protecteur. Au bout de la 2ème ou 3ème couche, je ne sais plus ce qui me recouvre: de la crasse certainement... Le versant semble interminable, et toutes les vingt secondes, on peut entendre:
- Oh, c'est beau, c'est beau!
C'est vrai qu'il suffit de se retourner pour admirer la caldeira (vaste dépression, de forme grossièrement circulaire , formée par l'effondrement de la partie centrale d'un cône volcanique) qui s'étend à nos pieds, avec toutes ces couleurs. Au fur et à mesure de la montée, le paysage prend de l'ampleur et s'ouvre considérablement, rapetissant ce qui pouvait nous impressionner plus bas.
On cherche le refuge du regard. Ne le trouvant pas, on se demande bien où il peut être. L'itinéraire passe entre deux coulées noires, refroidies depuis longtemps. Nous avons les sacs qui comportent toutes nos affaires pour le séjour, et comme cela ne suffisait pas, Claire s'est chargée de tous les beaux cailloux qu'elle voit. Mais peut-être devrions-nous être plus discret sur cet aspect! Le versant, ample, décidément, me paraît interminable pourtant j'ai l'impression d'être en forme, physiquement et moralement. Puis finalement, le refuge apparaît sans crier gare.
Il est tôt, 16h30. Que pouvons-nous faire? Je n'ai pas envie d'attendre le lendemain pour monter. J'ai des fourmis dans les jambes, des palpitations, je parle, je parle. Bon, on y va, après s'être inscrit au refuge. On sera accompagné d'un couple, agréable, dont nous venons de faire la connaissance et qui semble converti à mes arguments: je, finalement, on voudrait voir le coucher de soleil. Alors, on repart pour se rendre bien compte que l'ascension n'est pas courte, car il reste encore plus de cinq cents mètres de dénivelé. Le chemin est particulièrement aménagé, notamment dans la partie finale, où il ressemble à un escalier avec des marches de basalte. Immanquablement, je repense au Fuji San (bon, là je me la joue un peu!!!). Claire m'a abandonné car nos opinions divergeaient sur le chemin à prendre pour atteindre le sommet dans la partie finale: elle voulait aller au plus court, donc tout droit et je voulais suivre le chemin (la peur du gendarme???). Enfin, on arrive en même temps, quasiment.
Comment vous décrire le panorama fantastique, à 360°, sans tomber dans les poncifs? Plusieurs îles de l'archipel sont bien visibles à quelques dizaines de kilomètres de l'île de Tenerife. Cette dernière se découvre dans sa quasi-totalité, à l'exception de la région de la ville de Santa Cruz. La température est encore agréable. Les nuages forment dans certains endroits une véritable mer de nuage. Enfin, le soleil se couchant petit à petit, la projection progressive et géante de l'ombre noire du volcan se fait vers l'est. On domine tout cela et dire que c'était fantastique, n'est pas usurpé. D'autant plus, que dans un premier temps, nous étions seuls au sommet. Nous partageons ces moments en suivant avec nos deux compagnons de montée (qui n'auront pas regretté de s'être accrochés jusqu'au bout) puis la re-descente, à la frontale pour les autres, à la rien du tout pour moi, car évidemment, je l'ai oublié (comme les piles de rechange de l'appareil photo d'ailleurs).
Photo 7 : Vue depuis le sommet, et l'ombre du pico de Teide qui se projette vers l'est, au couchant, au dessus de la caldeira.
La soirée au refuge est douce, accompagnée par la lune orange qui se lève. Là aussi, le spectacle est beau et gratuit. Alors, finalement, je décide que le lendemain, je remonterai pour voir le levé du soleil. Tout seul car personne ne veut m'accompagner. Je suis resté séduit par le spectacle du soir.
Je me couche, mais je dors mal car je suis, en fait, complètement excité. Dans le noir, Claire se lève pour aller aux toilettes:
- Quelle heure est-il? (inutile de vous demander ce que j'ai fait du réveil?)
- Je ne sais pas...
Je me tourne et me rendors pas. J'écoute les bruits du dortoir et attend 5h45 que le portable de Claire sonne. Je tourne, me retourne, ne tenant plus en place. Certains randonneurs se lèvent et se préparent, discrètement. Je fais comme eux, car rester au lit ne me sert à rien, en avalant deux chocolats chauds. Je suis obligé de réveiller Claire pour lui dire d'éteindre son portable... Croisant les deux gardiens du refuge, à l'extérieur sur la terrasse:
- Vous savez à quelle heure, le jour vient? (en espagnol, donc la traduction est littérale...)
- Vers sept heure quinze.
- Ah, et le soleil, il vient à quelle heure?
- Pas avant 8h10.
- Ah, bon pas avant?
J'en ai pour à peine une heure de montée. Il est 5h50. Qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire en attendant? Il faut partir quand même et léger, car le sac est resté au refuge. Je fonce. Effectivement, le sommet est là rapidement, à peine une heure, d'autant plus que la lune m'éclaire tout du long. J'attends, en tenue légère, puis au bout de cinq minutes, m'habille chaudement, car en fait il gèle (au sens premier du terme!). Je fais le planton en regardant la constellation du littoral urbanisé illuminé. Petit à petit, tout le monde arrive au sommet et à l'heure fatidique, nous pouvons tous observer l'ombre du sommet qui se projette à nouveau, cette fois-ci vers l'ouest dans des tons rose et bleu. Les îles autour sont bien là: Gran Canaria, plein est, et à l'ouest, Gomera, Hierro et La Palma dont les sommets dépassent des nuages. La fatigue s'est effacée et le géographe qui sommeille en moi, jubile, c'est peu de le dire.
Photo 8 : Vue depuis le sommet. A gauche, l'île de Gomera, à droite la projection de l'ombre du pico vers l'ouest, au levant.
Los (o las) que todavía no tomaron vacaciones están esperando con impaciencia el relato del viaje...y las fotos...porque sólo creemos lo que vemos !
RépondreSupprimerIl me tarde d'en savoir plus ...
RépondreSupprimervraiment très impressionnante , cette grande ombre iréèlle et magique.
RépondreSupprimermerci pour ce récit :)