samedi 25 novembre 2023

La rivière, au cinéma l'American Cosmograph

     


    Hier soir avait lieu au cinéma l'American Cosmograph, à Toulouse, juste après sa sortie nationale, une projection du film documentaire La Rivière de Dominique Marchais, suivie d'une discussion avec le réalisateur, présent, et bien agréable. Comme son titre l'indique, le film tente de suivre le cours d'une, ou dirons-nous, plusieurs rivières qui irriguent le sud-ouest de la France, de la source à l'embouchure. Comme l'a malicieusement suggéré un des spectateurs, et que n'a pas contredit Dominique Marchais, il aurait pu tout aussi bien s'appeler le bassin versant.

Photo 1: L'affiche du film dans la nouvelle entrée du plus ancien cinéma de Toulouse

    Les problématiques du changement climatique et des différentes atteintes aux rivières sont développées en faisant témoigner certains acteurs, non institutionnels, sans jamais les nommer directement, ou informer le spectateur par des sous-titres à visées informatives. Attachants, ils rendent ce film sur l'environnement finalement très humain. Même si les noms de lieux ne sont également pas précisés, et je trouve ça pas plus mal, même pour un géographe (...), ils sont forcément évoqués par les intervenants du film. C'est donc autour du gave de Pau, qui se jette dans l'Adour, 10 km en aval de Peyrehorade après avoir parcouru près de 190 km depuis sa source sur les hauteurs du cirque de Gavarnie que s'inscrit le récit du film. La fameuse cascade du cirque serait la source officielle, bien qu'un affluent venu de la vallée d'Ossoue et de Vignemale le rejoigne au niveau du village. Le gave de Pau ne prend en fait son nom qu'à hauteur de Villelongue (tout près de Pierrefite-Nestalas) lorsque le gave de Cauterets le rejoint. À la mi-octobre d'ailleurs, cette année, fait rarissime, la cascade du cirque était à sec comme le mentionne un article de presse du journal Sud Ouest, ce qui évidement nous permet d'illustrer un des thèmes de ce film. L'embouchure de l'Adour dans l'Océan Atlantique, comme déversoir ou entrée, tout dépend si on l'envisage comme un saumon qui rentre à la fin de sa vie vers le lieu qui l'a vu naître, ou qui part pour la découvrir, est aussi prise en compte, et c'est légitime. On notera la patience de tout ceux qui relèvent les laisses de crue et enlèvent les déchets de plastique qui vont avec.

    Le choix du réalisateur sur cette (ou ces) rivière s'est en effet porté sur ce gave de Pau, pour, nous a-t-il répondu, plusieurs raisons. La première c'est qu'il connaissait plusieurs des personnes intervenantes et filmées dans le film. Que deuxièmement, il permettait d'évoquer les problématiques qu'il voulait traiter et enfin, parce que cette rivière est belle. Effectivement, on ne le contredira pas ! Le fait que ni le titre, ni des indications géographiques ne soient clairement mentionnées, permet de donner au film un caractère universel ou tout au moins, on se dit que cela toucherait des gens n'importe où en France. Et à ce titre, on souhaitera vivement à ce film une destinée nationale. Une des scènes d'ailleurs du début du film lorsqu'un des intervenants, celui qui traversera plus tard le gave à pied sans avoir à nager..., entre dans la narration au cours d'un repas et que celui-ci discute avec un interlocuteur espagnol, ils abordent aussi la problématique des espèces animales en danger et celles qui de par leur prolifération, menacent les autres. Ils parlaient des sangliers qui mangeaient les oeufs des coqs de bruyère que l'on tente de sauver par l'élevage. On pensera alors à Michel Munier dans les Vosges et son Oiseau-forêt, et on pourra lire également Sanglier, Géographies d'un animal politique. Il reste que ces différents acteurs annoncent bien une simplification de la faune actuelle, et que l'on reste finalement surpris de la présence de ces saumons qui étaient bien plus nombreux avant la construction de ces nombreux barrages qui ferment les passages. On apprendra notamment que les premiers d'entre eux dataient du 16ème siècle. On ne sera pas surpris non plus de l'impact des cultures de maïs dont la production nécessite de grandes quantités d'eau puisées soit directement dans la rivière, soit dans la nappe phréatique. Et l'agriculteur qui se met à cultiver du maïs grand roux basque, nécessitant beaucoup moins d'eau, apparait de suite très sympathique. En fait, passionné par ce qu'il fait, et par l'idée de le transmettre, il a l'air vraiment de l'être !

    À plusieurs reprises, dans le déroulé du film, on peut donc apprécier que des situations de transmission fassent sens. Du chercheur en son laboratoire et son stagiaire au professeur qui amènent ses élèves de l'ENS dans une randonnée vers les sources du gave de Cauterets dans le glacier des Oulettes. Une séance pédagogique montre alors l'enseignant en train d'expliquer photo à l'appui, le recul des principaux glaciers pyrénéens, du glacier du Taillon à celui de Pays Baché... Les plans sur les discussions avec les étudiants sont entrecoupés de vues sur les paysages montagnards embrumés qui entourent le refuge des Oulettes, tel des paysages-drames en participant aux stratégies discursives déployées dans le film. En somme, ces brumes montagnardes restent en adéquation avec le constat alarmant, même si de certains de ces intervenants, de l'espoir nous est donné. 

    Simplement, ce film nous fait prendre conscience dans toute sa complexité de la fragilité de la rivière. On appréciera également la modestie mais aussi la rigueur intellectuelle du réalisateur, ancien critique de cinéma aux Inrockuptibles, passé depuis derrière la caméra avec déjà un parcours bien rempli de plusieurs films comme Le Temps des grâces, Nul homme n'est une île ou La Ligne de partage des eaux. Son choix de filmer en 1.37/1, comme il a pu le dire en répondant à une vraie question de cinéma posée durant le débat, permet de ne pas noyer les personnages dans un panoramique en les mettant au centre. 

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jeudi 2 novembre 2023

Le site gallo-romain de Grand... Les Pyrénées dans les Vosges (le département) et depuis assez longtemps...

    On ne vient pas par hasard visiter le site gallo-romain de Grand, village de 350 habitants, aux confins du département des Vosges et aux limites de la Haute-Marne et de la Meuse. La route depuis les principales villes et axes de la région passe dans des régions boisées ou pastorales de faible densité de population et on peut bien se demander comment une ville romaine d'environ 20000 habitants a pu exister et prospérer ici, sur ce plateau calcaire, avant de disparaître à la fin du Haut Moyen-Âge, laissant enfouies sous deux mètres de sol des vestiges qu'on a fini de déblayer à la fin du 20ème siècle. Ces vestiges archéologiques se composent en particulier d'un immense amphithéâtre pouvant accueillir de 15 à 17000 spectateurs et datant de la fin du premier siècle de notre ère, construit en demi-ovale qui épouse le relief de colline, des kilomètres de galeries souterraines qui alimentaient en eau les thermes notamment, sa muraille tourelée, son épigraphie "anormalement" abondante et surtout la magnifique mosaïque de 224 mètres carrés de surface d'un seul tenant, la plus vaste qui ait été dégagée en France et l'une des mieux conservées du monde romain.

Photo 1: Seul le tableau central a subi une mutilation. Pour le reste l'ensemble est complet, et la mise en scène muséographique m'a paru parfaite. On domine quelque peu la mosaïque au sol... L'abside au fond est décorée de motifs géométriques en pelta (petits boucliers)
 

    Cette mosaïque a été mise à l'abri à la fin du 19ème siècle dans un ensemble muséal qui lui donnerait presque l'aspect d'une église romane et permet au lieu finalement de dégager une dimension sacrée et intime, qui le protège des intempéries de l'extérieur. Cette mosaïque constituait la base et pavait le sol d'une basilique, encore que nous ne soyons pas si sûrs que cela qu'il s'agisse bien d'une basilique. Le nom de basilique évoque presque automatiquement la basilique du forum, édifice pouvant se présenter sous la forme d'un vaste hall portiqué dont un des longs côtés ouvre sur une place publique et qui renvoie à diverses fonctions (lieu de réunion pour l'administration locale, tribunal, temple...) "L'identification comme une basilica forensis n'a donc jamais vraiment emporté la conviction des chercheurs du XXè siècle, soit par manque d'indices archéologiques complémentaires allant dans ce sens, soit parce que cette hypothèse ne s'accordait pas avec la thèse retenue (le sanctuaire). Malgré l'impasse dans laquelle menait l'attachement au terme "basilique", cette appellation a toutefois été maintenue, sans doute faute de pouvoir proposer autre chose et parce que ce nom avait le mérite d'être éminemment romain." (cf La "Basilique de Grand (Vosges) : L'histoire d'un nom de Pascal Vipard dans Grand Archéologie et territoire, 2013)

Photo 2: Une des quatre figures animales qui entourent le tableau central... ici le sanglier (photo de Catherine)

    Le site m'a paru absolument remarquable et il est peut-être dommage que sa renommée au près du grand public ne paraisse pas dépasser les limites de la région. Quelques 15 à 18 000 visiteurs y viennent chaque année et aujourd'hui en cette journée pluvieuse nous étions seuls (ce qui en soit n'était pas mal..). Sur la carte générale du guide Michelin de la Lorraine (2019), il n'est même pas mentionné et dans le guide, il n'est même pas pourvu d'une étoile...  Quel rapport me diriez -vous avec les Pyrénées? Et bien cette mosaïque s'inscrit dans une salle à abside dont les murs sont particulièrement bien conservés. L'enduit de mortier rose encore présent servait de support aux plaques de marbre qui complétaient le décor de la salle. Les différents fragments de marbres exposés dans la vitrine dans la salle de la mosaïque proviennent du bâtiment original de la mosaïque et de sa périphérie. Le nombre de fragments et la très grande variété (plus de 60) illustrent le soin apporté à l'ornementation mais aussi à la facilité des échanges économiques entre les différentes parties de l'Empire romain car la plupart de ces marbres et autres matériaux ne proviennent pas de l'est de la France. Et même si certaines attributions de la vitrine (faite en 1965) sont remises en cause, on sera alors très étonné de retrouver une quasi carte géologique des marbres des Pyrénées, et pas seulement des marbres d'Italie finalement aussi près : de la brèche violette de Villefranche dans les Pyrénées orientales aux brèches romaines de Saint-Béat en Haute-Garonne en passant par la fleur de pêcher de Castelnau-Durban en Ariège, du blanc de Saint-Béat (à nouveau), du blanc rose de Balacet (près de Saint-Girons en Ariège), du rose de Rivenert (Ariège), du brèche de Sarrancolin (Hautes-Pyrénées). Voir photo ci-dessous.

Photo 3

    On peut donc venir ici spécialement pour voir l'ensemble et en particulier cette mosaïque.

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mardi 24 octobre 2023

Le film "Monsieur Le Maire" en avant-première à L'Hospitalet-près-L'Andorre.

     Hier soir, en ce mardi 23 octobre 2023, à la salle des fêtes Robert Diaz de L'Hospitalet près l'Andorre, les rangs étaient serrés pour assister à l'avant première du film Monsieur Le Maire. Il y avait bien plus d'une centaine de spectateurs. Le film raconte l'histoire de Paul Barral, maire d'un petit village de montagne au pied du Mont-Blanc, qui "se bat pour maintenir les commerces et préserver l'école d'une fermeture annoncée. Alors qu'il cherche désespérément comment attirer de nouvelles familles, l'arrivée de mères célibataires en situation difficile dont Joe-Lynn, chanteuse au franc-parler et ses deux enfants, va vite faire des étincelles dans ce village paisible. Non sans détermination, Monsieur Le Maire a peut-être trouvé là une solution inédite pour amener de la vie dans un territoire à l'abandon..." (Allocine.fr). Plus que la localisation de l'histoire du film, c'est l'histoire en elle-même qui a probablement attiré les spectateurs et justifié cette belle soirée de cinéma. En effet, celle-ci s'inspire librement mais directement, comme c'est écrit à la fin du générique, de l'élaboration du projet de La maison des Cimes dans la commune, à L'Hospitalet-près-l'Andorre, qui accueille depuis 2020 des mères isolées avec leurs enfants, et qui donc bénéficie à l'école primaire publique du village. Où quand la solidarité n'est pas qu'un mot, il s'agit ici d'une réelle innovation sociale dans un contexte de déprise démographique. Pour ceux qui voudront aller plus loin, le film-documentaire La maison des cimes de Johanna Bedeau apportera peut-être plus de réponses. Mais le film, pour reprendre les mots du maire de L'Hospitalet-près-l'Andorre, ne trahit pas le projet.

Photo 1: L'affiche à l'intérieur de la salle...

    Il est évident que l'on passe un bon moment en regardant ce film, film grand public avec dans le rôle principal Clovis Cornilhac que j'ai trouvé, en ce qui me concerne, tout à fait convaincant, mais comme tous les autres acteurs d'ailleurs d'une manière générale. Si l'histoire se déroule dans les Alpes, et non dans les Pyrénées, c'est en l'occurrence un choix des réalisateurs, qui le voulait clairement, étant originaire l'une de la région grenobloise et l'autre de Bourg Saint-Maurice, mais tous les eux, l'ont-ils bien rappelé issus de milieux ruraux. Les paysages du massif du Mont-Blanc feront parfois un peu carte postale pour office du tourisme savoyard, mais ils restent magnifiques et bien sûr cela donne envie d'aller y passer des vacances, au milieu des chalets en bois et des espaces alpestres. Surtout, la thématique du rôle des maires des petites communes dépasse bien entendu ces limites-là. Il s'agit en effet, d'un des rouages essentiels à notre démocratie et un cadre d'expression probablement privilégié à celle-ci. Fabien Conord dans Les espaces ruraux français: une géopolitique en mutation (dans Les espaces ruraux en France, dirigé par L.Rieutort en 2018) dit bien en effet que "la sociologie des maires ruraux illustre deux différences par rapport aux moyennes nationales. Elle révèle la participation non négligeable des classes populaires à la gestion des affaires publiques et la surreprésentation des agriculteurs." Même si dans le film la commune regroupe plus de 400 habitants ce qui n'est pas si mal en soi, il faut relever qu'en France pour les très petites communes, celles de moins de 50 habitants (et L'Hospitalet près l'Andorre c'est un peu plus de 80 habitants), les ouvriers et employés constituaient environ 18% des maires (contre une moyenne nationale de 8 et quelques). De même, les femmes en constituaient presque 20% contre 14 au niveau national. (cf J.B.Grison La très petite commune en France. Héritage sans avenir ou modèle original?, 2009). 

    Ainsi donc, à l'heure où la tendance est aux regroupements de structures, et parfois au dépouillement ou à la dilution des prérogatives des maires, au profit des communautés de communes aux profils divers et variés notamment, il est bon de rappeler le rôle majeur des maires de ces communes rurales. De rappeler également que ces maires, accompagnés de leur équipe (sans oublier le rôle pertinent des secrétaires de Mairie, bien mis en scène dans le film) très souvent avec un engagement important sont capables de faire beaucoup, pour peu que l'État centralisateur leur en laisse les moyens. Le film vient à propos et de belle manière rappeler tout ça.

    

vendredi 6 octobre 2023

Leçon d'alpinisme au pic occidental des Crabioules (3106m)

     Le pic Occidental des Crabioules (3106m) n'est vraiment pas loin du refuge du Portillon-Jean Arlaud, moins de 600 mètres de dénivellation, il n'y a qu'à remonter le vallon du col inférieur de Literole (2983m). En deux heures, on est au sommet de cette crête effilée car la dernière partie avec l'accès à la brèche Mamy, en bifurquant juste en dessous du fameux col, sur une moraine persistante, puis la partie terminale vers le sommet est finalement beaucoup moins facile qu'envisagée, nécessitant, mais c'est relatif, en ce qui me concerne, d'être encordé. Pour être honnête, je n'y ai pas été à l'aise, probablement un peu parce que la veille, j'avais atteint un objectif et que je n'aime pas enchaîner les sommets. Je préfère simplement avoir le temps de digérer une ascension, ne serait-ce qu'au moins quelques jours, pour être émotionnellement au point. Sinon honnêtement, je n'arrive pas à me mobiliser. C'est ce qu'il s'est passé ce jour-là, car l'objectif était de poursuivre avec le pic oriental des Crabioules (3116m), mais une fois arrivé au sommet, après une discussion avec N. mon guide, qui avait bien remarqué dès la veille au retour mes lenteurs, et après avoir bien observé la suite engagée du cheminement sur la crête, et constaté mes difficultés pour monter là alors que ce n'était pas plus difficile que le pic Jean Arlaud de la veille, j'ai préféré renoncer. Ce sera pour une autre fois.

Photo 1 : Depuis le sommet du pic Occidental des Crabioules vue sur le pic Oriental... Ce sera donc pour la prochaine fois... Le Maupas est derrière et les montagnes du Couserans sont au fond à gauche.

    L'ambiance, ce jour-là, était bien différente de la veille, car l'affluence en ce dimanche matin était forte, puisqu'il y avait énormément de monde sur tous les sommets et cols du secteur, du pic de Perdiguère à la crête de Crabioules-Lézat. Il fallait bien déverser les quatre vingt personnes qui avaient dormi au refuge le samedi soir (ils étaient environ 70 à y manger dans un brouhaha parfois assourdissant, malgré les discussions d'alpinistes intéressantes, qui contrastait avec le calme si charmant de la veille) et que pour certains nous entendions clairement claironner. Ainsi, on a beau être dans la nature, en haute montagne, il n'en reste pas moins qu'on peut se retrouver dans une situation de presque tourisme de masse qui nous oblige à relativiser. Je suis donc simplement content d'être monté là-haut, où nous étions finalement seuls, et d'avoir pu admirer la magnifique vue plongeante sur le versant méridional espagnol, son lac de Literole et les petits étangs connexes ainsi que le petit étang sur le versant français du col inférieur de Literole qui se dégage à cause du réchauffement climatique et dont on voit bien, tout proche, les morceaux de glace protégés par les éboulis, ce qui ressemble bien à un glacier noir. En tout cas, ce sommet qui se trouve sur la crête franco-espagnole et sur la ligne de partage des eaux, porte un nom qui en patois local (gascon) signifierait petites chèvres, territoire à isard. En fait, le nom a été donné à ce pic par le Pyrénéisme du 19ème siècle qui baptisait les sommets de plus de 3000 mètres du massif. Celui-ci a été baptisé en fonction du pâturage des Crabioules sur le versant nord, autrefois dominé par le glacier du même nom qui a récemment disparu.

Photo 2: Vue depuis le sommet sur le lac de Literole (le grand). la massif de l'Aneto est au fond à gauche (donc à l'est)

Photo 3 : Le petit étang sous le col inférieur de Literole versant français...


    Du coup, la descente sera plus tranquille et permettra de rejoindre le lac d'Oô puis les Granges d'Astau et constater que la fréquentation est aussi dans le fond de la vallée, deux milles mètres plus bas.

Photo 4 : La brèche Mamy...Le pic est à droite...


Photo 5: Au menu... le refuge du Portillon


lundi 2 octobre 2023

Le pic Jean Arlaud (3065m) et le pic des Gourgs-blancs (3129m) depuis le refuge du Portillon (et avec un guide de haute montagne)

     Le pyrénéiste Jean Arlaud a perdu la vie sur les crêtes du Pic des Gourgs Blancs le 24 juillet 1938 et une plaque commémorative a été élevée au sommet en son honneur. Un sommet voisin, tout juste à l'est, le pic du port d'Oô sera d'ailleurs baptisé pic Jean Arlaud (3065m) en 1953 et le refuge du Portillon tout en haut de la vallée d'Oô porte aussi le double nom Jean Arlaud. Ainsi on trouvera ce lien pour cette double ascension qui m'a paru engagée et pour laquelle clairement j'avais besoin d'un guide pour me monter là-haut et me ramener vivant! Jusqu'au Port d'Oô à la base est du pic Jean Arlaud, depuis le refuge du Portillon, il n'y a pas vraiment de difficulté si ce n'est le cheminement dans les éboulis des moraines qui marquent le si net et terrible recul des glaciers pyrénéens. On devra parcourir d'abord les 4h30 annoncées pour atteindre le refuge depuis le parking des Granges d'Astau (1140m) la veille, afin de partir à l'aube (pas trop tôt en cette saison) de ce samedi 30 septembre pour cette course d'altitude. Du refuge, il faudra rejoindre le col du pluviomètre vers l'ouest, sous la tusse de Montarqué, en croisant en cette matinée, deux isards, par la Haute Route Pyrénéenne, en surplombant le lac Glacé puis donc aboutir au Port d'Oô à 2904 mètres d'altitude en environ deux heures de temps. Au passage, on prendra note de la quasi disparition de la partie ouest du glacier du Seil de la Baque dont il ne reste qu'une faible superficie accrochée sous le cap du même nom... 

Photo 1 : Depuis le col, vue sur le pic Jean Arlaud (3065m) puis juste derrière le pic des Gourgs-blancs (3129m). À gauche, le port d'Oô (2904m) et à droite celui des Gourgs-blancs (2877m) par où passe la HRP. Vue depuis juste après le col du pluviomètre en allant vers l'ouest.

    À partir de là débute la course de crête qui permettra d'enchaîner les deux sommets qui sont séparés par une brèche à 3027 mètres d'altitude. Il faut alors s'élancer encordés dans la face est en allant chercher par des petites vires vers la droite en montant une cheminée qui permettra de s'élever vers la partie supérieure de la face dont on escaladera le dernier tronçon par un itinéraire en écharpe beaucoup plus accessible et qui débouche sur la crête finale. Du sommet, on se rendra compte que la partie finale du sommet des Gourgs blancs, juste en face, a l'air facile mais avant cela il faut descendre en des-escaladant vers la fameuse brèche, peut-être en posant un rappel. Effectivement la remontée est simple, de la quasi randonnée. Mais une fois sur la crête, lorsqu'on poursuit vers l'ouest, après le cairn sommital, cela devient à nouveau engagé avec une longue succession de vires, cheminées et autres lieux assez vertigineux dans laquelle j'ai laissé beaucoup d'énergie, tout en me laissant complètement guider pour finalement rejoindre le col de Gias dans la direction du pic de Clarabide, point le plus occidental de l'itinéraire, duquel il va falloir désormais revenir. Pour cela on redescendra par l'itinéraire espagnol vers le beau lac de Gias (2636m) sans cependant complètement l'atteindre pour remonter à nouveau vers le port d'Oô et reprendre l'itinéraire de l'aller. Cette descente m'aura permis d'observer les autres itinéraires présentés dans les divers topo-guides utilisés pour préparer la sortie, notamment le fameux Pyrénées, Guide des 3000 mètres de Luis Alejos, qui rejoignent la brèche entre les deux sommets, tout deux sur la frontière franco-espagnole, et se dire que vraiment ce n'est pas simple ni à trouver, ni à parcourir... Ceci-dit il faut toujours se méfier de ce que l'on peut voir de loin sur un versant, et à cela il vaut mieux préférer ce qu'on constate concrètement sur place même si cela n'est pas toujours simple... Certains vous diront que finalement l'itinéraire que nous avons utilisé semble être le plus propre. Il l'est d'autant plus que l'ancienne voie normale du pic des Gourgs-blancs qui passait par le glacier du versant nord est aujourd'hui quasiment plus utilisée du fait de la disparition du glacier qui laisse une longue parois raide. En tout cas, comme je ne suis clairement pas un alpiniste, cette description de la journée et de son itinéraire n'est absolument pas à prendre en compte comme un topo-guide et chacun prend ses responsabilités de manière individuelle pour trouver son itinéraire. Étant donné la position centrale du massif au coeur des Pyrénées, le panorama sur les grands sommets mais aussi les plaines au nord, ainsi que certains petits massifs, au nord comme au sud, est assez vaste. 

Photo 2 : En montant vers le sommet du pic des Gourgs-blancs, en se retournant, vue sur le lac glacé avec en arrière plan sur le pic Quayrat et au devant la face est du pic Jean Arlaud en redescendant vers la fameuse brèche (3022m)


Photo 3 : Avec vue plongeante sur le chemin parcouru dans la face du pic Jean Arlaud puis en contre-bas, l'itinéraire de la marche d'approche qui passe par le contrefort de la moraine de l'ancien glacier du port d'Oô. Au fond le lac Glacé est dominé par la Tusse de Montarqué. On trouve le col du pluviomètre à droite. Ce pluviomètre se trouvant sur le petit sommet juste à droite de la tusse, d'où le nom qui a été donné au col.


Photo 4 : En s'approchant au plus près du lac de Gias. Au fond, à gauche, qui dépasse à peine, on trouvera le pic d'Aneto.

    En tout cas, cette ascension du Pic Jean Arlaud m'aura laissé un souvenir vif car lors de la marche d'approche, tout en me disant que N. mon guide de toute façon, allait m'aider à monter là-haut (et me redescendre), je me suis demandé tout de même longtemps par où il allait passer, tant ce sommet en forme de canine a une forme imposante. 

    Le fameux Jean Arlaud, savoyard d'origine, qui a découvert les Pyrénées lors de ses études de médecine à Toulouse, est enterré au cimetière de Gavarnie dans le carré des Pyrénéistes. Le nouveau baptême de ce sommet a pris du temps au cours du 20 ème siècle et il faut aussi avoir en tête que du côté espagnol celui-ci a gardé son appellation d'origine. Côté français, la double appellation sur le site officiel de l'IGN reste de mise même si l'appellation Jean Arlaud a été entérinée à la fin des années 50 mais pendant longtemps, au 19ème siècle, il y a eu confusion chez certains entre les sommets pour l'appellation du pic du port d'Oô que le pic des Gourgs-blancs possédait aussi. En ce qui concerne les Gourgs blancs, le premier terme signifie lac profond en patois local. Et blanc, car l'eau des lacs des Gourgs blancs offrait un aspect laiteux. Pour aller plus loin, on peut lire l'article de Francisco Termenon et Robert Aumard Histoire d'une montagne, les Gourgs-blancs dans la revue Pyrénées de janvier 2010 (n°241).

Photo 5 : Sur la crête sommitale du pic des Gourgs-blancs dont le sommet est au fond surmonté du fameux cairn. À l'horizon, juste à gauche du fameux cairn, le pic Schrader ou Bachimala, à droite, enneigé au loin, le massif du Vignemale. Au milieu de la double barre du pied de la croix, s'intercale le Pic Long puis à droite, les crêtes du Néouvielle.

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    En redescendant, on pourra tout de même admirer le lac d'Oô et comparer avec le tableau observé au musée des Augustins.

samedi 2 septembre 2023

Les Pyrénées au musée des Augustins à Toulouse, le tableau La chasse à l'ours vers la cascade du lac d'Oô de L.F.Lejeune

         On pourra admirer le tableau de Louis François Lejeune La Chasse à l'ours vers la cascade du Lac d'Oô, près de Bagnères-de-Luchon au musée des Augustins qui malgré les travaux reste ouvert de manière exceptionnelle jusqu'au 16 octobre dans une configuration différente mais non dénuée d'intérêt (le musée ré-ouvrira ensuite qu'en 2025). Cette fois-ci on entrera par la rue Mercier et les tableaux sont exposés dans l'église avec un accrochage renouvelé dans lequel on sera content de retrouver le tableau sus-mentionné.


Photo 1: Une agréable surprise que l'ouverture estivale du musée...

        Il est écrit sur la note de présentation près du tableau, huile sur toile datant de 1834, la chose suivante :"Formé auprès de Pierre-Henri de Valenciennes, reçu à l'Académie royale de peinture en 1789, Lejeune s'engage dans l'armée révolutionnaire en 1792, participe aux campagnes de Napoléon avant d'être fait baron d'Empire en 1810. Il quitte l'armée en 1813 et s'installe à Toulouse, où il devient tour à tour directeur de l'école des Beaux-arts, du musée des Augustins, puis maire de la ville en 1841. Il livre ici deux tableaux inspirés des paysages des Pyrénées; parcourue de petits personnages pittoresques, la nature prend des allures grandioses, dans une veine typiquement romantique".

        Dans la revue du souvenir napoléonien sur le site d'Histoire de la Fondation Napoléon, on trouvera, dans un article tiré du numéro 302,  tout un rappel des péripéties de l'auteur à travers les campagnes militaires de l'empereur mais aussi l'évocation des tableaux de batailles qui furent à l'origine de sa renommée comme probablement la plus accomplie La bataille de la Moskova. On pourra lire tirés de ses textes également son approche quant à la représentation de ces scènes tragiques mais aussi spectaculaires:

        "Si, lorsque des scènes aussi tragiques surprennent nos regards, on pouvait, en admirant, repousser de son coeur le besoin de compatir aux malheurs que causent les flammes, aucun spectacle ne présenterait un intérêt plus vif et plus saisissant. Devant ces affreuses catastrophes j'étais sans doute honteux d'éprouver encore autre chose que des émotions déchirantes et d'y voir aussi de brillants tableaux; mais je me rassurais en songeant que si la guerre, pour donner l'essor aux grands coeurs, les ferme si souvent à la pitié, elle doit leur conserver le pouvoir d'admirer tout ce qui est grandiose, magnanime ou magnifique pour qu'ils puissent le reproduire quand l'occasion leur en est offerte. Alors à mes yeux, avides, saisissaient les contours de ces belles horreurs, j'ambitionnais, je portais envie au talent du célèbre Joseph Vernet qui, en peignant les incendies et les éruptions du Vésuve, avait animé ses toiles jusqu'à les faire croire brûlantes. Ainsi, entraîné par mon admiration devant ces effets extraordinaires que l'on ne saurait inventer, je les crayonnai promptement sur mon "agenda" pour en conserver le souvenir."

    À y regarder de plus près, on trouvera sans doute effectivement les montagnes grandioses mais on peut penser qu'elles écrasent complètement la scène au premier plan et donne un ton au tableau qui, personnellement, ne m'apparait pas spécialement en adéquation avec ce qui est dit en guise de conclusion dans ce même article de la même revue : " Mais nul ne contestera que sa "chasse" et sa "pêche" (l'autre tableau exposé aux Augustins) empreints de romantisme souriant, ne soient des tableaux à la fois charmants et charmeurs, bien éloignés du fracas des batailles, et qui portent l'empreinte d'un artiste qui, jusque dans sa vieillesse, sut demeurer épris de beauté jeune de coeur et d'imagination."

Photo 2 : Plan rapproché sur la scène au premier plan.

    Peut-être que la lecture de cette scène est faite avec des éléments d'aujourd'hui et apparaîtra anachronique. Il m'apparaît néanmoins que cet ensemble d'hommes participant à cette chasse à l'ours semble avoir quelque chose de militaire. Les animaux apparaissent tous victimes d'eux, de leurs violences, avec le cadavre d'un ours porté par une sorte de procession, trois autres ours qui sont attachés et semblent destinés à être montrés lors de foires futures. Il en est de même d'un énorme rapace, qui ne semble pas être un vautour, enchaîné et qui s'agite sous la direction de son maître. Que font les deux petits isards au premier plan, dont un avec un collier, qui semblent également apeurés? Ainsi la nature y semble bien domestiquée au contraire de l'arrière plan et de la montagne sauvage et de toute la violence dont elle peut être capable. Tout cela ne semble évoquer donc que de la violence et non des sourires et semble finalement pas si éloigné de ses grands tableaux de champs de batailles pour lesquels "l'exactitude se retrouve dans le détail des scènes représentées, qui sont autant d'instantanés dont la seule distorsion résulte parfois d'une compression de leur juxtaposition dans le temps et l'espace. Les personnages sont de dimensions réduites par rapport à la surface du tableau, mais chacun est un portrait. Le naturel plutôt que le théâtral est recherché dans leurs attitudes. Mais ce souci de vérité poussé dans les moindres détails d'expression, d'habillement, de flore ou de faune, n'empêche pas l'artiste de donner à l'ensemble de son oeuvre une harmonie et un équilibre de volumes et de couleurs qui font du tableau une oeuvre d'art. Et pour y parvenir, il s'accorde une certaine licence dans le traitement du paysage, accusant les reliefs, agrandissant les arbres, jouant des lumières du ciel et des teintes plus sombres des fumées du champ de bataille ou du  crépuscule" (ou ici le contraste entre le ciel clair et la pénombre du fond de vallée sous les grands arbres) de Lejeune, Témoin et peintre de l'épopée : l'artiste par  Dutemple de Rougement dans la revue du souvenir Napoléonien (302). 

Il reste néanmoins effectivement la beauté grandiose des montagnes représentées qui pour tout connaisseur de la vallée, rappellera ce lieu de manière assez concrète. Et effectivement, l'artiste semble en être puisqu'en 1805, il écrit alors "Nous étions au 4 novembre 1805; il faisait froid, la terre et les arbres de la forêt d'Amstetten étaient couverts de masse considérable de neige produisant un effet très remarquable sur nous autres... de volumineux bourrelets de neige arrondissaient leur cime, en faisaient de belles grottes, comme celles de nos Pyrénées si riches en brillantes stalactites et en élégantes colonettes. Je faisais remarquer ces beautés au maréchal Murat..."

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Une traversée des Vosges à pied de Phalsbourg à Giromagny

     Dans son livre Du bois dont on fait les Vosges, François Nourrisier disait justement, en 1978, à propos de ce massif montagneux "Il vous faut inventer vous-même vos Vosges. Des aventures de cette qualité, au long desquelles, vingt fois on s’extasie devant la grandeur et le calme d’un lieu, vous en vivrez une chaque jour." Oubliant souvent le GR5 (qui passe par Saverne puis à partir du Champ de Feu bifurque vers l'est, le Mont Saint-Odile et les vignobles avant de revenir) et profitant de l'extraordinaire réseau de sentiers (très bien) balisé et entretenu par le Club Vosgien, hérité de la période allemande, dans tout le massif et bien indiqué sur les belles et efficaces cartes IGN (dans leur version papier que je porte toutes et ce n'est pas négociable...), nous avons construit facilement et librement notre propre itinéraire. Pour joindre Giromagny dans la banlieue de Belfort au sud, nous avons décidé de partir de la porte d'Allemagne à Phalsbourg en Moselle au nord, cité fortifiée par Vauban au 17ème siècle. 

Photo 1 (de Catherine): Au milieu des myrtilliers...

        Il aura fallu faire aussi avec les conditions météorologiques, les fortes pluies, qui nous auront parfois fait changer de direction ou gentiment patienter dans un abri confortable et charmant. Une fois cet abri sera simplement un grand hêtre qui comme sur le parcours à la Chaume de Lusse, au-dessus de Sainte-Marie-Aux-Mines, nous aura protégé du déluge, nous permettant même de nous faire chauffer un petit plat de pâtes. Et d'une manière générale, les arbres et la forêt auront été nos amis. Notre parcours général comporte donc onze étapes, certaines très courtes, pour parvenir à réaliser notre périple en cette fin de juillet et de début août 2023. En voici ci-dessous la liste des fameuses étapes, dont je n'indiquerai pas le nombre d'heures qu'il nous aura fallu pour les parcourir chacune car objectivement, si nous avions des buts journaliers, nous avions également la tente et le parcours est truffé de cabanes et abris divers qui permettent une certaine autonomie et une certaine liberté. Probablement avons-nous parcouru plus de 200 kilomètres. En fait, je n'aime pas trop les topo-guides qui, je trouve, vous enferment dans des itinéraires et des indications horaires qui ont tendance à formater les itinéraires et à ne pas trop regarder au-delà de celui qui apparaît officiel. Ainsi on fait le GR5 et pas la traversée ou la visite des Vosges... Ce voyage n'était donc pas une fin en soi car il n'a nullement la prétention de visiter tout le massif pour se dire c'est bon c'est fait, au suivant... Au contraire, il sera une initiation qui n'appelle simplement qu'à revenir dans la région pour parcourir à nouveau ces montagnes, en les ayant rendu plus familières ou intimes comme vous voulez. Nous avons parfois marché une heure simplement (avant le déluge) comme le troisième jour, et plusieurs fois environ sept heures. Mais après 17 heures, en fin de journée, la montagne a tendance à se vider dans les secteurs fréquentés alors que dans beaucoup d'autres, la majorité, nous n'avons réellement pas rencontré grand monde, ce qui n'était pas plus mal. Voici donc les étapes qui n'incluent pas les Basses-Vosges gréseuses du nord, au delà du seuil de Saverne, aux altitudes plus basses et qui se déroule dans les Hautes Vosges gréseuses et les Hautes-Vosges cristallines constituées de roches granitiques.

Photo 2 : Depuis le château d'Engenthal le Haut- Wangenbourg...

- 1 Phalsbourg - Rocher du Dabo.  

- 2 Rocher du Dabo - Freudenech. 

- 3 Freudenech - Engenthal le haut/Wangenbourg (Camping les Huttes)

- 4 Wangenbourg - ascension du Schneeberg, du Rocher de Mutzig et du Donon - Abri de Colbéry 

- 5 Abri de Colbéry - Schirmeck - ascension du Champ du feu - Col de Steige 

- 6 Col de Steige - Le Climont - Sainte Marie Aux Mines

- 7 Sainte Marie Aux Mines - Col du Bonhomme - Entre le col de Louschbach et le Gazon du Faing (tout près, juste avant, en dehors de la zone classée)

- 8 Gazon du Faing - ascension du Gazon du Faing, du sommet du Tanet, du Hohneck - Refuge du ski club de Mulhouse au Col du Herrenberg 

- 9 Col du Herrenberg - Le Markstein - Refuge du ski club de Riedisheim, près du col du Haag (et ascension du Grand Ballon)

- 10 Refuge du ski club de Riedisheim - Ranspach - Urbès - Storckensohn - Ferme de Gazon vert.

- 11 Ferme de Gazon vert - col des Charbonniers - ascension du Ballon d'Alsace - Giromagny 

Photo 3 : Depuis une trouée sous le refuge du Schneeberg...

De sommets en sommets

    On vient souvent dans un massif montagneux pour gravir certains de ses principaux sommets. Ceux des Vosges bien que d'altitude modeste par rapport à leurs confrères du territoire national n'en sont pas moins des ascensions intéressantes et ont constitué un fil directeur dans l'itinéraire choisi. Les panoramas depuis là-haut m'ont paru tout simplement exceptionnels et si les conditions météorologiques l'avaient permis, cela aurait été encore plus sensationnel. 

    Cette dernière remarque vaut en particulier pour le Grand Ballon, point culminant du massif, qui du haut de ses 1424 mètres d'altitude nous offre un panorama qui m'a paru le plus grandiose. Toute la vallée du Rhin, du nord de Strasbourg jusqu'à Bâle, en passant par Freiburg, les lignes de crête de la Forêt Noire en face vers l'est, du Jura au sud, Mulhouse que l'on domine quasiment au pied et quasiment tous les grands sommets du massif jusqu'au Donon dont on voyait émerger au delà des crêtes les parties supérieures du double sommet (le Grand et le Petit Donon juste à côté). Les Alpes auraient du être également visibles, jusqu'au Mont Blanc (la partie au-delà de 3500 mètres d'altitude) mais, en ce jour, la météorologie ne l'a pas permis car il faut un temps plutôt sec ce qui n'était pas trop le cas... Le Grand Ballon porte souvent le nom de Ballon de Guebwiller, parce que c'est la ville la plus proche, alors que la partie sommitale se retrouve en partie dans la commune de Soulz par une enclave, raison pour laquelle on trouve également le nom de Ballon de Soulz. La zone du sommet essentiellement composée de lande subalpine est classée en Zone Naturelle d'Intérêt Ecologique Faunistique et Floristique. Il est évident que la forte fréquentation de ce lieu amène à essayer de canaliser la masse de touristes (au Hohneck on peut aussi parler de tourisme de masse...) mais la météo en ce jour nous a permis, à défaut de voir les Alpes au fond, d'être quasiment seuls tous les deux au sommet et d'observer tranquillement le monument des Diables bleus qui a été érigé en 1926 à l'initiative du Club Alpin Français et du Club Vosgien en hommage aux victimes des bataillons de chasseurs alpins engagés dans les combats de la Première Guerre mondiale. La visite de ce sommet nous a paru incontournable dans une traversée des Vosges et nous avons pu longuement le regarder, le dernier soir, non sans un brin de mélancolie, à travers la fenêtre de la ferme de Gazon vert, le voir se décliner et changer d'apparence de manière très fréquente avec le temps instable qui a caractérisé cette semaine-là, le voir se débattre avec les flux nuageux, la pluie et le soleil. Pour l'ascension, nous avions laissé les sacs à dos au refuge du ski club de Riedisheim pour ainsi profiter de l'éclaircie qui depuis le col du Haag, 200 mètres dessous, nous a permis de contempler concrètement la dernière partie de l'ascension. 

Photo 4 (de Catherine): En arrivant au Markstein, vue au loin(g) à gauche sur le Grand Ballon...

    Plus au nord, le panorama depuis le Donon (1008m) aux confins de 4 départements (Vosges, Bas-Rhin, Moselle et Meurthe et Moselle), après une dernière demi-heure d'ascension finalement un peu raide depuis le col d'Entre Deux Donons, m'avait paru tout aussi exceptionnel, d'autant plus avec ce monument, reconstitution d'un temple gallo-romain érigé en 1869, au sommet qui fait son effet. De par cette position stratégique, le plus haut sommet des Vosges gréseuses (à égalité avec le Rocher de Mutzig sur la même longue ligne de crête) et le plus méridional des principaux sommets de celles-ci (un des deux donc supérieurs à 1000 mètres) a été choisi depuis longtemps, 1821, comme point de triangulation par les géomètres. Sa forme élancée, quasi trapézoïdale, sa domination de 700 mètres de la vallée de la Bruche au sud, lui donnant une impression de haut sommet, sa fréquentation très ancienne comme lieu de culte sacré, le rendent attachant et ce d'autant plus lorsque du sommet, par une fin de journée ensoleillée, on peut apercevoir la cathédrale de Strasbourg, ce qui était notre cas, ainsi que les plaines de Lorraine et de Moselle ou le beau Rocher de Dabo au nord, la longue ligne de crête du Hohneck au sud. Le Rocher de Mutzig plus tôt dans la journée nous avez permis de nous poser sur un groupe de roches crevassées sans doute très résistantes à l'érosion glaciaire, aujourd'hui entouré de grands arbres mais dénudé vers le sud, ce qui nous donnera là aussi un panorama intéressant sur la suite de notre parcours. Tous les dérivés toponymiques de ces formations géo-morphologiques de roches crevassées, en Kat ou chatte ne doivent pas nous faire penser à un quelconque lien avec ce félin, comme la rue du champ de la chatte à Sainte-Marie-Aux-Mines par exemple. Au premier sommet important gravi plus tôt dans la matinée, le Schneeberg (961m) nous sommes entrés réellement dans le territoire des hautes Vosges. La vue depuis le charmant refuge du Schneeberg (sous vidéo-surveillance ! en tout cas, il y avait une pancarte...) juste en dessous est orientée vers le nord à travers les grands arbres. Enfin, depuis le sommet du Champ de Feu, au-dessus de la petite station de ski, à 1100 mètres d'altitude et point culminant du département du Bas-Rhin, on aura un regard sur les sommets déjà gravis, et le réellement attachant Donon, et sur la suite vers le sud.

Photo 5 (de Catherine) : Le fameux monument érigé au sommet du Donon. La vue sur la cathédrale de Strasbourg est dans le dos de la photographe.

    Enfin le Hohneck, troisième sommet du massif par son altitude de 1361m, bien qu'étape incontournable du tourisme de masse (car la route monte au sommet) et son vent à décorner les boeufs ce jour-là, nous a aussi laissé un souvenir impérissable de par son magnifique panorama. La route, ainsi que de nombreux randonneurs, montent donc au sommet et vous ne serez évidemment pas seuls pour boire un chocolat chaud au restaurant-bar du sommet. Mais comme tout le monde est content d'être là, et que le roulement des tables est plutôt rapide, l'ambiance reste chaleureuse. Arriver au Hohneck signifiait pour nous l'engagement sur la longue ligne de crête, sur les fameuses hautes chaumes, donc en milieu ouvert, utilisés et créés même pour le pâturage, même si nous y étions en fait depuis le Gazon du Faing (avec quelques grandes gentianes jaune au passage). Cette longue ligne de crête aboutit au Grand Ballon. Ces hautes chaumes n'ont rien de naturelles puisqu'elles proviendraient des défrichages de l'âge de bronze, et non des défrichements médiévaux liés aux monastères. Il y avait donc une succession de petites ascensions, toutes aussi belles les unes que les autres car elles permettaient de mettre en perspective le versant lorrain, donc occidental, plus doux du versant oriental, disons alsacien, plutôt abrupt, plus "alpin" que nous surplombions tout comme les quelques chamois que nous avons pu observer longuement à une heure matinale ce jour-là. Ce versant alsacien est composé de cirques glaciaires fortement érodés et poncés et de lacs glaciaires, comme le lac Blanc (grand de 29 hectares pour une profondeur de 72 mètres), ou d'origine glaciaire nichés dans ces cirques, comme celui de Schiessrothried au pied du Hohneck qui n'était en fait qu'une tourbière sur-creusée et aménagée avec un petit barrage à la fin du 19ème siècle, ou celui de Fischboedle par exemple... Entourés de forêts, ils donnent souvent l'impression d'être des lacs naturels car les arbres et le relief cachent souvent depuis les hauteurs ces barrages construits pendant la période impériale allemande et qui servaient à donner des réserves d'eau estivales et à réguler le débit des cours d'eau pour les zones en aval. À titre personnel, j'étais aussi content d'avoir un aperçu sur le domaine skiable de la station de ski la plus étendue des Vosges, celle de La Bresse dont le Hohneck en est l'étendard, à côté du point culminant de celle-ci au Kastelberg (1350m) tout proche. Depuis cette fameuse ligne de crête, parcourue par la fameuse route des crêtes pendant l'été, on pouvait également avoir une vue sur la tourbière de Machais sur le versant lorrain en aval de la station de La Bresse où j'avais fait mon initiation vosgienne par un passé récent. Cette fameuse route des Crêtes, et les routes de montagne en général, ne sont pas sans poser des problèmes face à la forte fréquentation et notamment celles des motos qui viennent en rang d'oignon et que l'on entend fortement, longtemps avant et après les avoir croisées (ou pas d'ailleurs). En Allemagne, d'ailleurs, sur certaines routes escarpées de la Forêt Noire, il est interdit aux motards de circuler pendant plusieurs week-ends de mai à octobre pour éviter les nuisances sonores. Logiquement, certains se reportent sur la France et se mêlent aux locaux...

Photo 6 : Le Hohneck (1361m) et son restaurant au sommet, avec son versant "lorrain" à gauche et "l'alsacien" à droite. Vue depuis le Haut Pâquis des Fées en partant vers le sud...


De plats en plats ou de cépages en cépages    

    Il ne manquait que le Ballon d'Alsace du plateau sommital perché à 1247 mètres duquel, nous ne verrons quasiment rien, si ce n'est la statue de la sainte vierge. 

Photo 7 (de Catherine)...: Le lac des Perches à 985 mètres d'altitude, après le refuge de Gazon vert sur le chemin du Ballon d'Alsace... D'une profondeur de 17 mètres et d'une surface d'environ 4,4 hectares, il est probablement le produit d'une succession de petites digues qui ont rehaussé le niveau de l'eau depuis la fin du Moyen Âge. Le nom alsacien du lac provient probablement d'une altération du terme original et le français d'une erreur d'interprétation du patois local car il s'agissait primitivement du lac des Bers, du nom des chaumes anciennes ou des sommets (juste au dessus la Haute-Bers) qui l'entouraient. Mais ce mot est devenu Bärsch, soit perche en allemand et la traduction a suivi...

    Mais le point positif à cela, c'est que si le temps pour cette dernière journée n'avait pas été aussi venteux, bouché et humide sur la fin, nous ne serions probablement pas allé manger à la Chaumière, table de montagne tel qu'il est écrit sur l'enseigne du restaurant en contrebas sur la route du Ballon d'Alsace, près des téléskis. Lorsque nous y sommes entrés, après s'être changé les chaussures trempées avant de pénétrer dans la salle à manger (tout de même...), nous avons été saisi par la chaleur et le confort (et FIP la radio qu'on entendait doucement) des deux fauteuils devant la cheminée. L'apéritif nous attendait et surtout le gratin de pommes de terres au Munster et à la saucisse de Montbéliard. Il y avait là une belle définition de ce que pouvait être les Vosges, à la fois l'Alsace mais aussi autre chose bien sûr, en l'occurence ici la Franche-Comté, mais ailleurs la Lorraine. Nous avons pris le temps d'accompagner ce plat si bon d'un pinot blanc. Nous n'avons évidemment pas fait qu'escalader des pics abrupts et sauvages.... 

Photo 8 : Sur le marché de Sainte-Marie-Aux-Mines... Plus loin les fromages, le Munster, puis un petit fromage frais de lait de vache à l'ail des ours, une tome de vache excellente fabriquée par l'exploitant lui-même... 

    Comme j'ai pu l'écrire à un ami sur une carte postale présentant les principaux cépages alsaciens, avec des bouteilles exposées les unes à côté des autres devant un paysage de collines et de vignes, et envoyée de Sainte-Marie-aux-Mines, nous "essayons de traverser les Vosges à pied (à ce moment-là nous étions sur le point d'y arriver tout de même...) et parfois nous sommes fatigués alors nous faisons des pauses" pendant lesquelles pour nous réconforter nous goutions les produits locaux et surtout les différents cépages (sur la carte les mentions des dates de consommation étant inscrites au dessus des bouteilles... ). La première de ces pauses, dès le deuxième jour, fut au hameau de Freudenech où la pluie et les orages nous ont poussé vers l'hôtel dans lequel, au-delà du lit immense et confortable, nous avons pu déguster un magnifique quasi de veau accompagné d'un muscat. La troisième de ces pauses, parce que la deuxième pause nous avait enfermé pour l'après midi de déluge dès le lendemain midi au camping des huttes le bien nommé, nous a obligé à rester une journée à Sainte-Marie-aux-Mines, pour faire tout sécher. Comme il fallait bien nous occuper nous avons dévalisé le marché local (le samedi matin) de tout ce qu'on nous proposait en saucisses locales fumées, ainsi que de fromage et nous avons alors découvert quelques merveilles, qui se sont ajoutées dans le sac à dos pour le lendemain... Le surlendemain, comme le temps était venteux, et un peu frais, sur les crêtes à l'arrivée au col de la Schlucht, en venant du nord, une excellente flammenkuche au munster accompagnée d'un sylvaner nous a permis de repartir ragaillardi avant de vivre un des grands moments de cette longue marche. 

Photo 9 (de Catherine): Au camping des Huttes, un refuge lors du déluge qu'il a fallut quitter... L'accueil de la responsable était à la hauteur du réconfort de l'abri. Au fond, ce climat humide, c'était bien...

    En effet, le même jour, le soir, au bout d'une longue journée de marche débutée tôt le matin, à l'approche de l'arrivée au col de Herrenberg (1191m) où nous devions terminer l'étape du jour dans l'abri là-présent, une envie frénétique de manger et dormir dans une ferme-auberge m'a complètement excité. Peut-être parce que nous en avions aperçu un certain nombre ce jour-là le long de la très touristique route des crêtes, et qu'en fait je n'avais pas envie de dormir sous ou près de l'abri qui nous attendait. Comme s'il suffisait d'attendre, marchant à deux depuis le début, l'auberge Huss nous est apparue en contrebas, qui de l'extérieur, ne payait pas de mine mais qui se dévoilait de manière si belle et spectaculaire dès la porte d'entrée franchie avec toutes les cloches des vaches montées en estive, suspendues dans la salle à manger du restaurant, au milieu des odeurs et au-dessus des plats qui passaient vers les autres tables dans une ambiance chaleureuse. Les cloches les plus légères en tôle sont les trinkels (orthographe à vérifier car je ne sais pas si j'ai bien noté ce que m'a dit la serveuse qui nous a raconté avec un plaisir non fin toutes ces histoires passionnantes de transhumance) et les autres, de forme cylindrique, plus lourdes et plus travaillées, les clarines.

Photo 10 (de Catherine) : À l'auberge Huss...

    - Je veux manger là! Vous avez des chambres pour dormir? - Non, mais vous avez le refuge du Huss du Ski Club de Mulhouse juste là-bas (à 500 mètres). Vous pouvez y aller le gardien est là. - Ok! Mais ensuite on vient manger. Jusqu'à quelle heure vous servez...? Alors on a fait l'aller-retour pour déposer les sacs sauf ... sauf que lorsqu'on a débarqué dans le refuge, que l'on a poussé la porte d'entrée de la salle à manger qui est restée dans son jus et surtout dans ses boiseries... Que le poêle trône au milieu de cette salle à manger commune avec ses faïences vertes et que l'ensemble dégage une chaleur incommensurable, d'autant plus que le gardien, et ceux qui vont le relayer, le lendemain, sont absolument adorables, dévoués, passionnés et généreux. P., le fameux gardien, nous explique tout le système de ces refuges associatifs gérés par les skis-clubs, nous fait visiter ce lieu merveilleux, et honnêtement, j'ai du mal à croire que cela puisse exister, tellement je l'ai trouvé magnifique... Merci au ski-club de Mulhouse pour ce cadeau...Alors on a trainé un peu pour finalement réussir à s'extirper de là tout de même et repartir vers l'autre lieu merveilleux du jour, pour manger tout ce qu'on nous aura proposé et ne rien laisser dans les plats, ainsi que le verre de vin d'Edelzwicker qui va avec, ça va de soi... C'est le lendemain qu'il faudra s'arracher de tout ça pour poursuivre la route après avoir attendu que les fortes pluies de la nuit et du matin cessent. Les trois jeunes qui avaient dormi dans la cabane la veille, sont arrivés trempés pour se réfugier là d'ailleurs un peu sans gêne, franchement même... Le soir même nous aurons à nouveau la possibilité de dormir dans un autre refuge de ski-club, celui de Riedisheim où là aussi nous saurons apprécier l'hospitalité proposée par les maîtres des lieux. Enfin, le dernier soir de marche, alors que nous nous réjouissions d'aller au gîte de Gazon vert, car il commençait à pleuvoir fortement, d'où nous avons été renvoyés car complet, et sur le coup, on a trouvé cela pas très accueillant (le ton m'a paru un peu commercial...) vers la vieille ferme réhabilitée de Gazon vert à dix minutes de là. Deux salles de réfectoire y sont aménagées, une fontaine à l'extérieur... Nous n'avons eu qu'a sortir nos matelas pour nous installer au sol. Mais nous étions seuls et la vue sur le Grand Ballon était imprenable et a évolué toute la soirée. La pluie a recommencé à tomber drue et j'en ai profité pour prendre une douche dehors à poil sous les gouttières pour un nettoyage intégral et efficace. Nous étions bien là, sans regrets, et encore une fois, il s'agit de remercier les bénévoles qui ont fait les travaux dans ce lieu si charmant que la venue au petit matin d'un troupeau de chamois avec quelques petits nous a rendu un peu plus intime encore.  

Photo 11 (de Catherine): La fameuse ferme de Gazon vert. Seul le rez-de-chaussée est ouvert. La fontaine et au second plan à droite. Les chamois dans la forêt...

Photo 12: La cabane-abri du col sans nom (910 mètres d'altitude sur la carte IGN) au sud immédiat de la Tête du Violu (993m) à environ deux heures de marche de Sainte-Marie aux-Mines sur l'itinéraire conduisant au col du Pré de Raves, puis col du Bonhomme... Il aurait constitué un arrêt parfait pour dormir.

Au milieu des bêtes sauvages, dans la profonde forêt vosgienne.

    Les chamois évoqués plus haut, observés à des heures matinales dans les deux cas, ainsi que quelques chevreuils nous auront permis de toucher quelque peu de façon spectaculaire cette faune sauvage. Il s'agissait de passer un moment particulier à les observer à la jumelle depuis la ferme de Gazon vert sur le petit col dégagé en face, vers le nord. Les petits jouaient avant qu'ils ne pénètrent tous à nouveau dans la forêt. Mais la faune sauvage c'était aussi les cris des oiseaux lorsque nous nous arrêtions pour les écouter et prendre parfois la forêt vosgienne pour une jungle équatoriale. À l'arrêt de bus d'Egenthal le bas, le deuxième jour, à l'abri sous la cabane de bois qui marque l'arrêt, alors qu'une petite coccinelle est restée accrochée à la sangle de mon sac à dos, ma belle étoile faisait défiler sur son portable les sons et cris d'oiseaux pour essayer de retrouver ceux que nous avions entendus le matin même notamment en descendant le col de la Schleif, alors que l'orage menaçait et que finalement nous avons changé d'itinéraire. 

    En ce qui concerne les grands prédateurs comme les lynx ou les loups, nous ne verrons que les petites pancartes colorées n'indiquant que leur possible passage dans les parages. Il en sera de même du fameux coq de bruyère tant décrit par Michel Munier dans son livre, si touchant, L'oiseaux-forêt, dans lequel il décrit l'inexorable disparition de celui-ci, sous les coups de butoir à la fois du réchauffement climatique, de l'exploitation forestière, de la chasse aujourd'hui interdite et mais aussi du tourisme et des touristes parcourant la montagne en toute saison, en tout endroit et finalement ne laissant jamais une période de tranquillité à cette espèce qui en a tant besoin et détruisant son habitat naturel. Je reprends ce que dit Michel Munier à la page 61 de son livre « Je songe à cette période où la montagne était peuplée de bêtes sauvages disparues sous la contrainte des hommes ; à la présence des aurochs, des bisons, et, plus récemment, des ours au XVIIIème siècle et des loups au tout début du XXème siècle. Je revois la tête naturalisée de ce loup tué dans la forêt proche de ma maison natale de la plaine des Vosges, avant la Première Guerre mondiale, accrochée dans la cabane de chasse où, gamin, j’accompagnais mon oncle. Je ne comprenais pas pourquoi l’homme avait tué ces bêtes jusqu’à la dernière. Je regrettais de savoir nos vastes forêts amputées de cette espèce, qui offre au monde sauvage un supplément d’âme. » Mais aussi, page 183, « En 2010, enfin, un évènement marque le retour du sauvage sur le massif : la réapparition du loup, après un siècle d’absence. »

    Le très gentil patron du restaurant Les merveilles de Fati, au col de Steige, où nous avons mangé un délicieux tajine et campé dans son près, nous a aussi raconté les neiges d'antan, de l'époque où, originaire du petit village voisin de Ranrupt, il pouvait descendre l'hiver à ski pour se rendre à l'école, où également il avait mangé du coq de bruyère dans son enfance et déjà vu un lynx. Tout cela était raconté avec un fort accent, ce que j'apprécie beaucoup. Ce fort accent tout comme celui de la serveuse du restaurant du Champ du Feu, qui n'a pas compris de suite quand je lui ai commandé une tarte à la myrtille. Il faut dire que le mien, accent, est un peu gratiné aussi...

    Ah les bêtes sauvages... Tout aussi sauvage mais un peu moins spectaculaire et ragoutante comme la tique plantée dans mon mollet droit, que ma belle étoile avait repéré dans la descente vers Sainte-Marie-aux-Mines, et que je me ferai délicatement enlever par la pharmacienne de la commune du même nom afin d'éviter d'y laisser la tête. Ce n'était que la première. On pourra se sentir aussi entouré sans que l'on voit grand chose, évitant de sortir la nuit de la tente et du chaud duvet dans la clairière au milieu de la forêt pour aller aux toilettes: - Tu m'as fait dormir au milieu des bêtes sauvages !

    On gardera alors la douce impression de marcher sur des chemins qui empruntent souvent des pistes forestières, mais souvent tapissées d'épines de pins ou sapins qui rendent le pas agréable, enveloppée dans une odeur acidulée d'épineux, entrecoupée parfois de celle plus fruitée des muriers. Les sous-bois peuplés de myrtilliers nous sont apparus nombreux même si on n'a pas pensé que les nombreuses tartes aux myrtilles vendus dans tous les restaurants et bars du circuit trouvaient leur matière première dans le massif... On ne sait pas en fait. La forêt est donc omniprésente depuis le panorama du sommet du Rocher du Dabo vers le sud jusqu'à l'inscription sur les tombes du cimetière de Engenthal par exemple, avec la dédicace de l'Amicale des bucherons de Saverne et les motifs représentants des sapins et des montagnes boisées, ou même des plaques tombales en forme de sapin ne sont pas rares, en passant par la toponymie et la presque incontournable rue de la scierie (même si le secteur a connu une très forte concentration) ou les machines laissées dans la forêt, le bruit des tronçonneuses dans la forêt nous accompagnant souvent (un peu comme les hélicoptères dans le cirque de Mafate sur l'île de la Réunion). Les décorations extérieures sur les façades des maisons illustrent elles-aussi cette omniprésence de la forêt avec des scies, des motifs en bois représentant des traineaux, des sapins, des tas de bûches de bois qui couvrent les murs... ou parfois même des montages à base de petites bûches de bois comme cette moto à Neuviller la Roche. Évidemment, comme le décrit Michel Munier, tout au long du chemin, on passera de parcelles plantées d'essences qui poussent rapidement, agglutinées les unes aux autres, sans sous-bois dignes de ce nom, certaines complètement coupées, à d'autres qui offrent une composition plus variées. La forêt protège de la pluie mais aussi du soleil et parfois en fin d'après-midi la pénombre ou le manque de lumière en seront troublants. 

"Lors des premiers jours, les formations gréseuses visibles et spectaculaires sont nombreuses comme au Margarethenfels. Les sapins semblent alors trôner sur un socle rose, les racines s’insinuant -on ne sait trop comment dans les strates aux grains plus ou moins grossiers de ce grès vosgien si typique et que différents lichens ont réussi à coloniser au fil des années." 

"Au rose omniprésent du sol et au vert sombre des branchages vient s’ajouter- le temps d’une brève éclaircie- le vert vif des mousses qui prospèrent, allant même jusqu’à coloniser sans gène le tronc des résineux si imposants. Si on complète cette esquisse avec quelques fougères et des belles (mais dangereuses) digitales violacées nous avons une bonne idée des charmants sous-bois sillonnés lors de notre périple." 

Photo 13: Pas très sauvage la vache de la fameuse race vosgienne qui est réputée être une excellente marcheuse peu sensible aux brusques variations de températures et au stress... Comme nous... Ici peu après le sommet du Tanet.
   
    "Entre le Grand Ballon et Storkensohn (aussi l'avant dernier jour), pour éviter la route (avant Urbès), nous décidons de longer le seebach (= rivière du lac), découvrant alors une ambiance très différente : mi-marécage -mi prairie (quelques vaches paissent tranquillement) la végétation est luxuriante, le chemin étant bordé notamment par une espèce invasive de balsamines taille XXL qui malheureusement semble proliférer".
    Plus loin, sur le chemin qui nous mène au refuge de Gazon vert les myrtilliers cèdent la place aux muriers et framboisiers et l’on ne peut résister à l’envie d’en gouter quelques fruits dont la saveur sucrée contrebalance l'instant de la dégustation, le désagrément de la pluie battante."
    "Déjà le premier jour, après avoir déjeuné dans le parc du château de Lutzelbourg, sous l’effet de la digestion, de la douceur du sentier ou encore de la température idéale et de la présence du soleil (mais pas trop) on s'était mis à rêvasser à propos de cette forêt si accueillante avec ses fleurs colorées et variées telles les épilobes roses, les pensées vosgiennes jaunes ou celles-ci brun-violacées au bord du chemin dont les tiges peuvent atteindre 2m …. qui nous ont tirés de notre monde imaginaire puisqu’il s’agissait de belladones extrêmement toxiques. Nous sommes bien aussi dans une forêt sauvage, non soumise uniquement au bien-être humain, restons humbles devant sa richesse."

D'une guerre à l'autre... 

    Cette traversée des Vosges au plus près des lignes de crête nous aura aussi permis de rester au plus près des changements historiques des questions de frontières et de vestiges, nombreux des guerres, qui parsèment cette région, de cette ligne bleue. Mon seul regret, lors de ce voyage, aura été de ne pas s'être arrêté pour visiter le fameux mémorial canin d'Alaska au Breitfirst, tout près du col du Hahnenbrunnen, sur le longue ligne de crête, alors que nous sommes passés à 500 mètres et que c'était un des endroits que je voulais absolument visiter... Des fois... On reviendra..  Au Tanet, cependant, une pancarte d'information relate les principaux épisodes de cette épopée. Tout comme on ira au Mémorial du Hartmannswillerkopf au Vieil Armand. Le massif du Hartmannswillerkopf est un éperon rocheux surplombant la plaine d'Alsace au sud-est du Grand Ballon dont la position stratégique à 956 mètres d'altitude a donné lieu à de furieuses batailles entre décembre 1914 et janvier 1916. Les traces des combats y sont nombreuses notamment les nombreux abris et kilomètres de tranchées. 

    Entre Phalsbourg et Belfort, le point commun aura été l'intervention de Vauban pour reconstruire la première détruite lors de la Guerre de Trente ans et lui donner les fortifications que l'on connait, et pour la deuxième de l'agrandir et de la fortifier pour empêcher les pénétrations allemandes, leur donnant en grande partie leur visage actuel. Phalsbourg est d'ailleurs le point de départ du (Le) Tour de France par deux enfants de G.Bruno qui servira de livre de d'apprentissage de la lecture du cours moyen de la IIIè République (il servira jusqu'en 1950). On pourra aussi y longer le cimetière israélite au sud de la ville sur le chemin du château de Lutzelbourg au delà du canal de Strasbourg à la Marne. 

    L'ensemble du parcours s'accompagnera donc de vestiges liés au combat de la Première mais aussi de la Deuxième Guerre mondiale mais aussi de la guerre franco-prussienne de 1870 puisque la perte de l'Alsace et de la Moselle à l'issue de cette dernière s'inscrit dans le paysage. Nombreuses seront en effet les bornes frontières croisées avec un F d'un côté et un D, souvent égratigné, de l'autre symbolisant l'effort important et rapide pour matérialiser cette nouvelle démarcation. Celle-ci concernera notre itinéraire des environs du Climont jusqu'au Hohneck car la vallée de la Thur deviendra allemande, puis sur la crête entre Gazon vert et le chaume de Rouge Gazon et le Ballon d'Alsace. Cette frontière qui deviendra la fameuse "ligne bleue des Vosges", évoquée pour la première fois par Jules Ferry député puis sénateur des Vosges, sera l'objet d'âpres combats lors de la Première Guerre mondiale dont nous avons déjà évoqué des lieux de mémoire et autres vestiges plus haut. Sur la crête des hautes chaumes, peu avant le col de la Schlucht qui marquait lui aussi la frontière, un tramway montait jusqu'en 1914. Le sommet du Tanet, déjà évoqué rappelle que les combats eurent lieu sur les plus hauts sommets car le sentier nous permet de visiter un ensemble défensif mis en place en 1915 pour défendre les positions avancées des français sur les crêtes. On retrouvera au col du Donon et plus largement dans ce massif également de nombreux vestiges. Le sommet du Grand Ballon n'a pas fait l'objet de combats et batailles importantes. On trouvera aussi au gré du parcours des anciens abris en béton ou creusés dans la roche, des anciens cimetières (français ou allemands), dont les corps des soldats enterrés là ont été depuis déplacés...

   À Wangenbourg - Engenthal le Haut, nous apprendrons même que la commune a servi lors de la drôle de guerre entre 1939 et 1940 de siège de commandement secret de la 5ème armée française commandée par le générale De Lattre de Tassigny avec près de 1000 soldats et officiers placés sous ses ordres. et une quarantaine de voitures et camions ainsi que 250 chevaux. Le général, à l'époque colonel, De Gaulle y passera 8 mois.

Photo 14: Avec une superficie de 7,2 hec et une profondeur de 17 mètres, le lac Vert se situe au nord est du Tanet (1293m) à 1053 mètres d'altitude.  Son nom est du au reflet des sapins qui l’entourent et à une algue qui prolifère de fin juin à fin juillet.


Il faut bien terminer

     Dans un contexte post-covid dans lequel les gens expriment un besoin accrue de plein-air, à l'image de Michel Munier, page 241 de son livre, on peut s'interroger sur l'avenir de ces montagnes « Le massif des Vosges sera-t-il une terre d’harmonie, où bêtes et hommes retrouveront le juste équilibre ? Est-il condamné à devenir un vaste parc d’attractions entrecoupé de champs de culture de bois, sans considération pour ses hôtes ? ». À l'évidence aussi ces questions nous auront été posées et nous sommes restés perplexes lorsque nous avons repensé à la rencontre avec un garde du parc naturel, à l'approche du Grand Ballon lorsque celui-ci s'est intéressé de manière assez directive à l'endroit précis où nous comptions dormir alors qu'à ce moment-là nous n'avions encore rien décidé, ou, comme nous l'ont rapporté les hôtes de ce soir-là, certaines personnes avaient été verbalisées car elles étaient allées dans des zones qu'elles pensaient accessibles. Il est vrai que de nombreuses et légitimes (?) zones de quiétude ont été aménagées par le Parc Naturel des Ballons des Vosges qui offrent la tranquillité à la faune sauvage en en interdisant l'accès à un tourisme de masse envahissant, même s'il marche, et qu'une charte du randonneur à l'inverse n'est pas non plus un luxe.

    Notre traversée des belles montagnes des Vosges, même avec la pluie (ou peut-être grâce...), nous sera finalement apparue passionnante grâce à la beauté des paysages, la gentillesse des gens rencontrés mais aussi parce que la marche au long cours permet une approche intimiste en toute liberté encore... On peut alors souvent y repenser en toute quiétude et se sentir simplement apaisé.

(Écrit à deux)

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