Pour une première dans les Vosges, il faut avouer que ce fut dépaysant. Dans la haute vallée de la Bresse, l'itinéraire nous a porté dans une succession de cirques glaciaires adossés au versant nord d'une longue ligne de crête qui courait de la petite ville martyr de La Bresse jusqu'à rejoindre les confins du Hohneck deuxième sommet du massif à 1363 mètres d'altitude, bien visible sur une bonne partie de l'itinéraire. Cette succession de cirques héritée des périodes de glaciation du quaternaire est aujourd'hui complètement colonisée par la forêt, ce qui donne à ces lacs qui s'y blottissent un environnement forestier assez exotique pour un pyrénéen et beau car en plus, en ce début de printemps, les dégradés de vert, entre les épineux et les feuillus pas encore à maturité et vert clair teintent et illuminent les versants, au-dessus du fond de vallée assez urbanisé de la Vologne qui comme son nom ne l'indique pas accueille la rivière la Moselotte.
Le départ du fond de la vallée à proximité du pont de Bramont (au départ de la route qui serpente jusqu'au col du même nom) suit d'abord une piste qui nous mènera vers le petit étang de Sèchemer, lui aussi dans la forêt, et qui se poursuit vers le fameux lac des corbeaux, premier objectif de la visite. L'endroit est assez fréquenté car une route y mène également (ainsi que vers son auberge...), laissant les marcheurs qui du parking peuvent faire le tour du lac rapidement et sans problème par une piste. On choisira ensuite de grimper au collet Mansuy à 1049 mètres d'altitude. De là, toujours par des chemins balisés, on rejoindra le fameux point de vue sus-mentionné sur la photo, puis par une piste forestière le col de la vierge et le refuge de l'Union. Toute la signalétique des balisages des sentiers de randonnée est gérée par l'emblématique Club Vosgien qui en a le monopole depuis 1921et il faut reconnaitre qu'il apparaît difficile de se perdre (ça n'engage que moi). Les figurés (par exemple losange vert pour les circuits interdépartementaux) apparaissant sur les endroits stratégiques du cheminement sont fidèlement retranscris sur la carte IGN du secteur (que je ne saurais que conseiller de se procurer... comme toujours...). Sont également bien présentes les nombreuses petites pancartes annonçant la durée nécessaire pour parcourir les portions d'itinéraire. Il est donc difficile de se perdre et ce côté rassurant est un des objectifs de cette signalétique unique en son genre en Europe. L'ensemble ressemblerait presque ainsi à un grand parc naturel balisé à proximité des grandes villes dont l'histoire du Club Vosgien reflète cet amour ancien de la nature. Du col de la Vierge, on aura le choix pour se rendre au col de Bramont (955 mètres d'altitude) et nous avons choisi de prendre par le versant sud de la ligne de crête qui passe par la grande clairière pastorale "la vieille montagne". De là, il est possible par une vague sente, indiquée sur la carte IGN de se rendre sur le sommet de l'Altenberg (1197m) où nous aurons la surprise de constater juste en dessous une sorte de tourbière, et sur le sommet des vestiges des anciennes bornes frontières, datant de la période où l'Alsace et la Moselle étaient dans le giron de l'Empire allemand, entre 1871 et 1919 et que la frontière courait sur ces crêtes. Certaines de ces bornes de granite ont vu le D (de Deutschland) dégradé par la suite ce qu'on aura constaté. On peut récupérer un peu plus loin le sentier balisé.
Photo 2: Une ancienne borne frontière au col de l'Étang. |
Photo 3 : Le petit étang de Sèchemer pour débuter |
Cette partie de la réserve naturelle du massif du Ventron permet de parcourir des portions de forêt mixtes feuillus et épineux avec ici des points de vue remarquables sur la vallée de la Thur qui file vers le sud. Du col de Bramont, on décidera une dernière prolongation pour aller visiter la fameuse tourbière de Machais, plus vaste du massif vosgien, étape avancée du comblement d'un lac issu lui aussi des glaciations du quaternaire. Le lac est encore bien présent avec une vingtaine de mètres de profondeur au milieu de l'espace mais les sphaignes qui par leur décomposition sont à la base de la création de la tourbe ont lentement mais sûrement colonisé le fond du cirque. Et phénomène original, probablement unique en Europe, cette tourbe est parfois suspendue c'est à dire que par un "évènement géologique soudain" (pour reprendre les termes des informations vues sur site) elle s'est décollée des rives et du fond pour flotter sur l'eau. On pourra alors bénéficier avec l'heure un peu tardive, il est vrai qu'après 17 heures la montagne à tendance à se vider de ses passants, de la quiétude des lieux et d'une forme de solitude bienveillante et romantique avec la lumière du soleil davantage caressante que l'on pourra partager à deux. On envisagera alors sereinement le retour à la voiture par une portion de la route départementale puis une piste non balisée qui aboutit tranquillement au point de départ, après une boucle d'environ 4 à 5 heures de marche (?) et environ 500 mètres de dénivellation...
Photo 4: Vue sur la tourbière de Machais, depuis les hauteurs car il est interdit de s'approcher des rives, la zone étant protégée. |
Ce qui était appréciable également dans cet itinéraire était la vue sur la longue ligne de crête sommitale du massif des Vosges, passant par le Hohneck sus-mentionné, se prolongeant vers le Grand Ballon vers le sud (mais non visible de là). Cette ligne de crête est plus élevée de cent à deux cents mètres par rapport à l'itinéraire et en même temps dégagée de la forêt, car peuplée de pelouses ce qui lui donne malgré ses formes douces de ces reliefs sommitaux une impression de haute montagne, renforcée par la lumière de fin de journée et la profondeur de la vallée boisée en contre-bas. Le terme de ballons dont on affuble les noms des sommets arrondis des Vosges serait dérivé du nom du dieu du soleil Bel ou Belen auquel les Celtes vouaient un culte au sommet de ces montagnes. Aucune théorie pour expliquer la toponymie ne fait cependant l'unanimité, gardant finalement une part de mystère bienvenue. On sera aussi peut-être étonné de trouver une telle densité de myrtilliers dans les sous-bois et on repensera immanquablement au coq de bruyère et à son habitat si bien décrits par Michel Munier dans son beau livre L'oiseau-forêt. Cette réserve naturelle nationale de la tourbière de Machais est aussi faite pour contribuer à la préservation de l'habitat de notre oiseau totem.
Photo 5 : Vers le sud... |