jeudi 28 juillet 2016

La Soulane d'Andorre (et le pic de la Cabaneta 2843m), suite et fin.

Passé l'impatience de début de saison, on peut revenir en cette première semaine de juillet et voir une soulane bien verte et colorée de mille fleurs. Alors cette fois-ci on prendra le chemin des crêtes, sans aucune difficulté technique. Mais depuis l'Hospitalet près l'Andorre, à 1440m d'altitude, via le barrage du Sisca et le col des clots (2169m), on grimpera à 2843 m au pic de la Cabaneta. Pour le chemin du retour, on prolongera sur la crête jusqu'à la porteille du Siscaro, d'où on descendra à droite dans la vallée du Sisca.
Photo 1 : Le 2ème lac des Clots à 2337 mètres d'altitude (3heures de marche depuis L'Hospitalet)
Photo 2 : Le même avec le Pas de la Casa en arrière plan. Et oui, on est bien en Andorre.
Photo 3 : Depuis le Cap de la Cometa del Forn, 2691 m, vue sur le Roc Mélé, 2811m. En poursuivant sur la crête, on parvient, peu de temps après, au pic de la Cabaneta.

Photo 4 : Depuis le Pic de la Cabaneta, vue sur l'étang du Sisca, dominé par le pic de l'Albe 2764m, et le pic de Nérassol, 2633m, à droite.
A partir de l'article de M.David dans le Bulletin de la Société Ariégeoise des Arts, Lettres et Sciences (1992, Tome 47, 22p.), un petit retour sur l'histoire de ce lieu particulier nous permettra de comprendre pourquoi ce petit territoire sur le versant atlantique est finalement aujourd'hui de souveraineté andorrane. Il convient d'abord de rappeler qu'au Moyen Âge, les vallées d'Andorre étaient sous co-suzeraineté de l'Evêque d'Urgell et du Comte de Foix. Ces derniers possédaient l'entière souveraineté sur leurs propres terres. Mais où passaient la frontière? Un procès verbal connu sous le nom de Rondaire, daté de 1272, permet de délimiter les frontières de manière précise. D'autres documents du début du 14è confirmeront que la Soulane, tout comme le bassin supérieur de l'Ariège, faisait partie du Comté de Foix.
Le Comte de Foix pourra alors en tout honnêteté donner toute ou partie de la Soulane aux Hospitaliers de Saint Jérusalem qui avaient fondé l'ospital de Saint Suzanne, à l'emplacement de l'actuel village de L'Hospitalet près l'Andorre, et qui étaient les seigneurs directs de la Soulane. Ils en affermèrent au moins en partie aux paroisses andorranes mais la date reste inconnue. Jusqu'en 1646, des documents montrent bien que les hospitaliers sont bien bailleurs et non pas locataires de la Soulane. Dans le même temps, il est fort probable que les habitants de Mérens aient continué à exploiter ces pâturages car ils en avaient le droit d'usage.
Mais au tournant du 18ème siècle, suite à la décadence du grand prieuré de Toulouse qui se désintéresse des possessions pyrénéennes et à l'assiduité des andorrans à mener leurs troupeaux sans payer de redevance, une nouvelle période va s'ouvrir et voir la Soulane changer de propriétaire. En 1603, l'arrentement de Mérens et L'Hospitalet est très clair, en 1705, on ne mentionne déjà que diverses rentes à Mérens ne sachant précisément en quoi elles consistent. C'est avec la grande peste de Marseille, qui se propagea dans tout le Midi en 1721 que se précipitèrent les évènements.
Pour limiter la circulation, les andorrans firent placer la garde civile espagnole à mi-pente de la Soulane et entraîna des conflits sanglants entre les 2 parties mais on reconnut que la montagne était bel et bien française. Suite à de nouvelles rixes, les méringeois soumirent l'affaire aux tribunaux, en dernier recours devant l'intendant du Roussillon. En attendant le verdict, on interdit aux méringeois d'envoyer des bestiaux sur la Soulane et le verdict fut rendu seulement 3 ans plus tard, en 1729, et fut défavorable aux ariégeois. L'affaire avait été réunie à 2 autres affaires qui n'avaient pas forcément de rapport avec (droits d'usage et de dépaissance au col du Puymorens entre ariégeois et cerdans, et litige sur perception des droits sur du minerai de fer extrait sur le versant ariégeois du Puymorens, en fait les mines du Puymorens). Les 3 affaires firent l'objet d'un seul jugement.
Le tribunal avait fondé son jugement sur la sentence arbitrale de 1304. Mais les 2 divergeaient sur un point : la sentence fixant la frontière au ruisseau de Palmerols (censé constituer une des sources de l'Ariège) et le jugement au ruisseau de Palomera (juste après l'actuel tunnel routier, voir carte IGN). La Soulane est ainsi devenue andorrane. La suite du 18ème siècle ne sera qu'une suite de contestations et autres requêtes des méringeois mais rien n'y fera. Ce n'était probablement pas la première des préoccupations de la royauté française. En 1785, un bail mettant un terme au conflit fut signé entre les 2 parties stipulant que les andorrans acceptaient de louer la Soulane aux ariégeois tout en renonçant eux-mêmes à y envoyer les leurs. Tout le 19ème siècle sera émaillé de très nombreux incidents (non paiement des loyers, non respect des zones de dépaissance...). La dernière requête semble avoir été faite en 1899.
Le moment où cette affaire de la Soulane a atteint son paroxysme correspond aux phases de croissance démographique importantes (18ème et surtout 19ème siècle), à un moment de l'histoire où était pratiquement atteint le maximum dans les déboisements et donc la mise en pâturage des montagnes. C'est là que les conflits furent les plus violents. L'équilibre entre population et possibilités en pâturages était atteint. La perte de l'usage d'une estive restaient le plus grand malheur qui puisse arriver à ces populations pastorales. Chacune des parties saisissaient la moindre occasion pour agrandir son territoire pastoral, soit en laissant divaguer par inadvertance les troupeaux sur les pâturages du voisin ou soit en profitant d'une grave crise, comme ce fut le cas en 1721 ou 1631-2 (peste aussi). On dit qu'il ne resta plus qu'une trentaine d'habitants à Mérens...


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